RSE. Les cadres parmi les lecteurs reconnaitront sans doute l’acronyme, les autres peut-être moins. La Responsabilité Sociale des Entreprises (à prononcer d’un ton grandiloquent, et si possible avec en arrière fond sonore une musique appropriée, l’ouverture 1812 de Tchaïkovski par exemple, ou la Chevauchée des Walkyries du vieux Richard). Qu’est-ce, me direz-vous ? Et bien l’ensemble des initiatives prises par les entreprises (d’où une certaine cohérence avec le nom) visant à intervenir dans un sens jugé bénéfique pour la société (d’où re-cohérence avec le nom, les choses sont décidément bien faites). Concrètement, lorsqu’une banque décide de ne plus investir dans le charbon, c’est de la RSE, lorsqu’elle embauche un certain quota de travailleurs handicapés, c’est de la RSE, lorsqu’elle permet à ses employés plus de télé-travail, c’est de la RSE, lorsqu’elle externalise une partie de sa production à des détenus payés un pourcentage à un chiffre du SMIC, c’est… mauvais exemple.
Mais bon, en tous cas, ça c’est la RSE. Un acronyme cryptique pour signifier que l’entreprise contribue à un monde meilleur pour chacun d’entre nous, rend un peu à la société de ce qu’elle lui a donné, montrant par la même sa grandeur et sa philanthropie, méritant et obtenant par là même notre reconnaissance éternelle…
Bon, maintenant que la musique s’est arrêtée, examinons un peu ça avec un œil critique, sans chausser les lunettes béates d’admiration des managers de la start-up nation.
Donc, une entreprise, privée, possédée par des entités privées, contribue au bien-être social et ce en dehors de toute obligation légale ou de toute ambition de bénéfices financiers. Il ne s’agit pas là de mécénat, lequel ne vise pas au bienêtre social, ni de sponsoring, lequel vise à des retombées publicitaires ou économiques indirectes. Non, il s’agit là, par essence, d’actions désintéressées, menées par des entreprises. Il est vrai que de premier abord, on est tentés par l’admiration. Un peu d’argent est toujours bon à prendre, c’est pour la bonne cause, ça rend service, et puis ça permet de soutenir un peu des gens dans le besoin. Des gens dans le besoin… Intéressant, ça. Pourquoi ces gens seraient-ils dans le besoin …
Effectivement, et d’autres que moi en ont fait une étude plus détaillée (et de loin), mais, et sans rentrer dans un comparatif historique, il y a aujourd’hui une proportion notable de la population qui ne peut dans les fait subvenir à ses propres besoins. Chômeurs en fin de droits, retraités paupérisés, étudiants pauvres, réfugiés, mères célibataires, enfants issus de l’ASE. En dehors également de toute considération d’inégalités, leurs conditions de vies paraissent souvent indignes. L’entreprise contribue donc à y remédier via ses œuvres sociales. Cela dit, un œil attentif notera que ces situations ont un dénominateur commun. Chômeurs en find e droits, donc hors indemnisation de l’assurance chômage, étudiants pauvres, donc ne disposant pas de bourses ou de logements, enfant issus de l’ASE lâchés dans la nature à leurs 18 ans. Ces situations résultent, directement ou indirectement d’un certain désengagement de l’état. Lequel état est contraint (there is no alternative) de réduire les budgets sociaux, d’année en année (comme illustré, récemment, par la réforme de l’assurance chômage). Nous avons donc une entreprise qui contribue (faiblement) à panser les plaies d’une société, plaies résultant d’un désengagement de l’état, du fait de la baisse de son budget. Plus qu’un seul domino.
En effet, un certain nombre d’entreprises valorisant leur responsabilité sociale (soyons peu clivant, citons les champions américains, Uber, Airbnb, Google, Facebook, Amazon, LinkedIn et j’en passe) sont également champions de l’optimisation fiscale, ou de la détaxation globale (pas de cotisations salariales, embauchons des indépendants, par exemple). Laquelle optimisation fiscale explique très largement la baisse d’un certain nombre de budgets étatiques, et même, allons plus loin encore, les efforts fiscaux consentis par les états (ou les collectivités territoriales d’ailleurs, ne soyons pas sectaires) pour attirer lesdites multinationales. En bref, nous avons des géants libéraux qui refusent de contribuer aux budgets des collectifs qui les entretiennent, efforts pourtant réduits à la portion congrue par lesdits collectifs qui se livrent à une concurrence mortifère, ces efforts en retour requérant des sacrifices importants des populations, sacrifices vaguement amoindris par une ‘RSE’ qui fait office de mercurochrome sur une fracture ouverte. Et quid du delta entre les efforts et la récompense ? Dans la poche du capital.
Bon, maintenant que nous avons exploré le phénomène, explorons l’idéologie qui le sous-tend, celle du système libéral-capitaliste. Pas besoin de chercher extrêmement loin (et soyons honnêtes, n’étant pas spécialiste du sujet, ça m’arrange), ce bien beau système place au parangon de ses valeurs, ou presque, l’individualisme. Du self-made man US, façon Rockfeller, au héros solitaire (allez, au hasard Neil Armstrong) en passant par le politicien issu du peuple (de Lincoln à Obama), l’individualisme conditionne et définit les icônes et le mode de pensée consubstantiel à ce système. En conséquence, il semble tout à fait cohérent dans ce cadre d’affaiblir la puissance publique dans le domaine où elle est collective, voire collectiviste (donc le social) pour se reposer sur la générosité … eh bien individuelle naturellement. En d’autres termes, ce que nous avons n’est autre que, dans le domaine social, le transfert de responsabilité du collectif vers l’individu inhérent au système libéral capitaliste.
Donc ? Et bien c’est relativement simple en fait, et nul besoin d’être un théoricien marxiste pour l’admettre, afin d’assurer le respect de la devise inscrite sur nos mairies, cantonnons les entreprises à leur domaine, produire les choses (biens, services, bénéfices) non essentiels, et ôtons leur cette lourde responsabilité (elle semble l’être, sinon on ne communiquerait pas tant sur l’exploit que représente de leur part d’assumer cette charge) que de subvenir aux bien essentiels du collectif. L’économie aux entreprises et la société à l’état.