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Billet de blog 28 février 2020

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MOE, MOA & le reste

Pour ceux qui n’en seraient pas familiers, derrière ces sigles obscurs se cachent les maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage, ou, en d’autres termes, les commanditaires et exécutants des grands projets, publics ou privés.

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Le savoir est certes intéressant (l’homme avisé ne dédaigne jamais l’opportunité d’acquérir un peu de culture générale), mais savoir ce qui se cache derrière, et plus encore, ce que cela traduit de notre société, ou plus humblement, de ses grandes entités est notablement plus enrichissant (spirituellement, bien sûr, pas matériellement).

Donc, que se cache-t-il derrière ? Assez logiquement, dans ce cadre juridique là, l’exécutant exécute, et donc maitrise ce qu’il réalise, le commanditaire, en revanche, spécifie et contrôle, il ne maitrise pas la réalisation. Ou, plus prosaïquement, le fait de commander un café chez Starbucks n’a jamais fait de vous un barista. Une fois ce découpage (qui semble d’ailleurs pour le moins logique) établi, intéressons-nous un peu aux conséquences.

Le fait (la révolution en réalité) qui se cache derrière ces quelques sigles, c’est qu’en séparant le commanditaire de l’exécutant aussi brutalement (temporellement, organisationnellement, structurellement), il n’est plus nécessaire de maitriser la conception d’un procédé pour l’exploiter industriellement, ou en d’autres termes, de comprendre comment sont faites les choses pour les utiliser. Formulé comme ça, bien sûr, ça n’a l’air de rien, mais cette philosophie constitue dans les faits l’extension des notions fordistes et tayloristes de division du travail aux domaine intellectuel et de la conception. D’un côté de la barrière, les utilisateurs, avec leurs contraintes, leurs besoins, leurs attentes, de l’autre les concepteurs.

Alors, me direz-vous, les choses ont toujours plus ou moins fonctionné ainsi. Marcel Dassault n’a jamais été aviateur, pas plus que les architectes de Notre-Dame des évêques. Certes, néanmoins les révolutions industrielles successives, en particulier la première et la deuxième, et l’émergence d’une certaine forme d’économie mixte ou planifiée avaient vu l’apparition d’entités d’ingénierie robustes, consolidées, souvent verticalement intégrées permettant à l’échelle d’un pays un support considérable à l’élévation du niveau de vie général. Ces entités constituaient un levier permettant la bonne transmission des informations, le suivi et la maitrise de tous les éléments relatifs aux infrastructures et systèmes importants pour la bonne marche de la société. Elles permettaient de s’assurer qu’une vision d’ensemble des problématiques sociales et industrielles était partagée par certains décideurs, et qu’en conséquence, aucune entité n’aurait intérêt à maximiser son profit individuel sans égard pour les autres. En fait, il s’agissait de s’assurer qu’il y avait un pilote dans l’avion.

En conséquence, il apparait logique que ce type de conglomérats aient émergé dans des secteurs qui présentaient trois caractéristiques majeures. En premier lieu, il s’agissait de domaines stratégiques, presque régaliens pourrait-on dire. Eau, électricité, gaz, transport, communications. Il s’agissait également de domaines pour lesquels un monopole naturel était presque obligatoirement amené à s’installer, au moins sur le long terme. Enfin, il s’agissait éléments de long terme, donc fortement capitalistiques. Ce n’est donc pas un hasard si la plupart de ces regroupements ont été pilotés pendant longtemps par l’état, plus ou moins directement, et en France comme ailleurs. C’est encore moins un hasard si aujourd’hui, dans un contexte de désengagement progressif de l’état de l’économie, on assiste à l’application progressive, à ces mêmes conglomérats, de la logique de séparation commanditaire/exécutant (on y revient).

Donc, si on récapitule, nous avons d’un côté des conglomérats historiquement intégrés, de l’autre une dynamique du marché qui pousse à en faire de simples donneurs d’ordre, commanditaires, qui se contenteraient de piloter, via une mise en concurrence, d’autres entités auxquelles échoierait la réalisation. Et effectivement, ce type de schéma a toujours existé, existera probablement toujours et s’applique fort bien à un grand nombre de domaines industriels (ou non industriels, d’ailleurs). Le journaliste n’a pas besoin de connaître le fonctionnement d’une rotative pour écrire de bons articles (heureusement d’ailleurs).

Là où les choses deviennent en revanche problématiques, c’est lorsqu’on s’intéresse au domaine recouvert (autrefois) par ces grands conglomérats. Il s’agit (on l’a dit) d’un domaine stratégique, de long terme, techniquement complexe, consommateur en capital, en infrastructure et en main d’œuvre, très impactant pour la société. Et c’est là, précisément, que le bât blesse. En effet, en appliquant la philosophie MOE/MOA à ces secteurs, on obtient d’un côté des donneurs d’ordre ne maitrisant pas la réalité et les enjeux concrets de la réalisation, donc amené à prendre potentiellement de mauvaises décisions porteuses d’un fort impact pour la société, et de l’autre des réalisateurs déconnectés des enjeux réels de leur réalisation, dans une démarche bien plus court-termiste, qui n’ont concrètement aucun intérêt à œuvrer pour le projet dans son ensemble. Les conséquences en sont évidemment multiples, perte de compétence généralisée, rallongement des délais et accroissement des coûts des projets, batailles juridiques interminables, connivences et délits d’initié, j’en passe et des meilleures...

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