
La guerre était la seule action humaine qui n’avait pas changé depuis 10 000 ans, depuis que la civilisation existait. *
« Sa majesté du carnage », je ne sais pas qui a trouvé le titre mais c’est tout à fait ça. La puissance de la majesté et l’horreur du carnage.
« La guerre est un voyage dans le temps, dans un monde où tout est possible, le plus grand courage comme la plus grande cruauté. Sur ce territoire règne un monstre plurimillénaire qui surgit là où l`on ne l`attend pas. Un phénomène qui déchire le quotidien quand les hommes sont fatigués de vivre. Sa majesté du Carnage. »
Philippe Lobjois est reporter de guerre, il va sur le terrain depuis des années. Il a appris à se protéger des images insoutenables lorsque les morts sont trop « présents ». Il a besoin de témoigner, de nous montrer ce qu’il voit, ce qu’il constate sur le terrain. Il parle de l’Ukraine, de l’évolution du conflit au fil des mois. Il nous emmène de ville, en ville, à la rencontre de ceux qu’il a côtoyés, de ceux qui restent et en sont fiers, de ceux qui s’organisent, sous terre (chez eux ou dans le métro où les enseignants font la classe), en espérant se protéger et continuer à vivre, de ceux qui se battent parce qu’ils n’ont pas d’autre choix.
C’est brut, réel, on en prend plein les yeux, plein la tête. Impossible de dire ou d’écrire » Ah bon, je ne savais pas. » Son témoignage est puissant, bien rédigé sans tabou, sans silence, comme s’il lui était nécessaire d’écrire et de décrire la réalité pour que le lecteur comprenne, enregistre, dessille.
À travers les faits qu’il nous présente, c’est le quotidien des habitants qu’on découvre, les difficultés, les obstacles à une vie « normale », la peur, l’angoisse permanente, le corps qui sursaute au moindre de bruit et à qui on « apprend » à s’habituer. C’est la vie qui s’organise différemment. C’est l’ennemi, méthodique, appliqué, qui poursuit son but inlassablement.
Il explique comment après une journée éprouvante sur le terrain, quand il se pose (un peu), il se doit de faire le tri. D’enfouir au plus profond certaines images, dans un coffre-fort personnel dont elles ne ressortiront jamais car elles risquent de le détruire. Garder seulement ce qui est utile au témoignage, à la transmission de l’information pour que ceux de l’extérieur cernent les événements.
Même s’il pense qu’avec les caméras GoPro, les téléphones, et tous les nouveaux moyens de communication, son métier est faussé, transformé, différent, il continue. Certains filment la guerre et l’offrent sur les réseaux sociaux, tout est changé dans l’approche des conflits au niveau reportage.
Il partage cette invitée qui parfois débarque dans sa mission : la peur. Alors il faut la museler pour qu’elle cesse. L’enfermer. La faire taire. Mais elle reste tapie, prête à s’incruster, à sortir les griffes….
Quelques fois, une pause, la guerre semble « cadenassée », elle s’enlise. Les hommes perdent leur « enthousiasme », leur force, une lassitude s’installe et puis ça repart.
Ce livre est un vrai documentaire, une vision réaliste du terrain, de tout ce qu’ils se passe et de certaines choses qu’on ignore ou qu’on choisit d’ignorer… J’ai été bouleversée par ce que j’ai lu. J’ai tremblé en lisant que Philippe Lobjois avait tout fait pour donner un nom à un corps, lui rendre son humanité… Son écriture est poignante, elle sonne vraie.
Une lecture édifiante, coup de poing, que je ne suis pas près d’oublier !
*page 215