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Billet de blog 22 août 2024

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Les os noirs d'Agnès Jésupret

Au crépuscule de sa vie, Clara Ignorante raconte avec nostalgie l'histoire de ses grands-parents siciliens arrivés en Tunisie pour fuir la misère. Sur cette terre que tous se sont appropriée - colons français, migrants italiens, occupants allemands - sa famille connaîtra la prospérité puis la déchéance.

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Illustration 1

Marie Ignorante Concialdi s’est confiée à Agnès Jésupret et cette dernière a écrit une fiction inspirée de son histoire.

On est en 2022 et la narratrice écrit, à la demande, des « biographies » en écoutant les souvenirs de personnes âgées. C’est comme ça que, dans une maison de retraite, elle rencontre Clara. Fascinée par ce qu’elle entrevoit à travers quelques échanges, elle décide de recueillir tout ce que la vieille dame (95 ans) voudra bien partager avec elle.

Clara raconte. Sa famille a quitté l’Italie pour s’installer en Tunisie en espérant vivre mieux. C’est l’entre deux guerres et les migrants sont nombreux à venir s’installer à Tunis.  Si la famille réussit à faire fortune, le quotidien n’est pas forcément simple. Difficile de créer des liens entre les différentes ethnies accueillis dans ce pays. Chacun tient à ses origines.

« L’univers de la Nonna était fait d’anchois, de raisins cuits et d’olives farcies. La Tunisie de la Nonna, c’était la Sicile. »

Mais vivre ensemble n’est pas aisé et les tensions sont très présentes.

« Peu à peu, tout est remis en cause. Arabes, Français, Italiens, Siciliens, qui a le droit d’être ici, de vivre paisiblement sur cette terre, et qui ne l’a pas ? »

En Novembre 1942, l’occupation allemande pour six mois déstabilise tout. Dénonciations, chasse aux juifs… La vie se complique pour tous. À travers le récit de Clara, on verra comment sa famille va perdre sa fortune.

Très documenté, avec une construction originale, ce roman est une belle découverte. On a, en italiques, les paroles de Clara, et entre ces passages, toutes les recherches et réflexions que cela entraîne chez la narratrice sur cette période historique qui est rarement mise en avant.

Dans le récit, des événements de l’actualité sont insérés et j’ai beaucoup appris. On comprend que les tunisiens ont pu se sentir déposséder de leur pays, de leurs terres, par ceux qui arrivaient.

Les personnages sont bien présentés, avec parfois un côté secret. J’ai apprécié les petites anecdotes de la vie quotidienne glissées entre des propos plus « consistants ». Cela donne un aspect très humain au texte, on a le sentiment de suivre des personnes qu’on connaît.

L’écriture de l’auteur est fluide, le style adapté selon qui s’exprime. Elle mêle habilement petite et grande histoire, sans lourdeur, sans que ce soit trop documentaire. On s’attache à Clara et sa famille, on a de la peine pour le père qui s’est fait piéger. Le côté saga familial maintient l’intérêt du lecteur et évite toute lassitude.

Agnès Jésupret qui se définit elle-même comme « une biographe anonyme pour des gens qui le sont tout autant» a réussi, à partir de ses expériences dans ce cadre, à rédiger un premier titre qui sort de l’ordinaire et intéressant.

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