Septembre 2024. Quasiment un an après le massacre du 7 octobre 2023, tout le monde s’accorde pour condamner une attaque sans précédent envers des civils israéliens. Le débat, quand il y en a, se situe plutôt au niveau de la terminologie utilisée et des qualificatifs employés pour désigner l’attaque et le Hamas.
L’emploi de « crime de guerre » pour décrire l’attaque entend, à mes yeux, établir un état de fait : les Palestiniens sont en guerre contre Israël, une guerre asymétrique en conséquence de l’écart de moyens avec Israël mais une guerre de libération quand même avec, comme objectif, l’établissement d’un Etat palestinien viable. Le Hamas, aussi abjecte qu’il soit, est un représentant potentiellement légitime du peuple palestinien, par manque d’autres candidats plus séduisants.
La qualification « terroriste » de l’attaque et du Hamas, même dénuée de toute substance significative en termes de droit international, tend à établir une équivalence entre le Hamas, Daesh, al-Qaida, le Hezbollah, Boko Haram… avant de brandir l’antienne de la guerre de civilisation(s). Ce positionnement rhétorique et parfois sincèrement éthique dans l’intention tend à oublier le confinement du champ d’action du Hamas sur le territoire historique de la Palestine mandataire. La Hamas n’a jamais pris part à cette fantasmée « guerre des civilisations » en commettant des crimes en dehors des territoires qu’il considère, légalement à tort pour une partie, comme « nationaux ».
Nous assistons, en somme, à un duel entre, d’un côté, une vision légaliste, technique et, certes, probablement inappropriée au lendemain du 7 octobre (coucou LFI !) et de l’autre un appel à la solidarité internationale, surtout occidentale, entre victimes communes du terrorisme islamiste présumé monolithique.
Le narratif pro-israélien disqualifiant la lutte palestinienne, légitime par ailleurs selon le droit international vu le contexte factuel d’occupation, se résume en trois étapes :
- Un : La lutte palestinienne se confond aujourd’hui avec les actions terroristes menées par le Hamas. Or le Hamas, tout comme le Hezbollah, est soutenu par l’Iran. Tout ce beau monde appelle à la destruction de l’Etat d’Israël.
- Deux : Tout soutien à la cause palestinienne, y compris l’appel à l’arrêt des bombardements meurtriers des civils de la bande de Gaza, vous place dans le même camp que l’Iran et le Hamas et, par conséquent, vous désigne contre l’existence de l’Etat d’Israël. Pire : par un jeu de glissement des définitions et des référentiels, vous obtenez même la marque d’infamie ultime qu’est l’antisémitisme parce que, évidemment, la critique d’Israël y équivaut.
- Trois : Israël, dans sa guerre permanente et légitime, n’a pas d’interlocuteur crédible et l’existence même d’un Etat palestinien équivaudrait à une « prime au terrorisme et à l’antisémitisme ».
Dans ce narratif, bien huilé et constamment martelé dans les médias, le point d’accord quasi-unanime est la totémisation du droit d’Israël à exister. Aucun interlocuteur qui tient à un minimum de crédibilité et de respectabilité ne se risquerait à une remise en cause de ce totem. La raison est un non-dit bien présent dans les esprits. La nature juive de l’Etat d’Israël fait résonner dans les esprits l’antisémitisme historique de l’Occident qui s’est sublimé sous le règne nazi pour aboutir au crime contre l’Humanité le plus abjecte de l’Histoire de part le nombre de victimes, les moyens employés et, surtout, les critères de sélection des victimes. Contester l’existence légitime d’Israël, état juif unique, serait un pas en arrière dans la thérapie collective engagée en Occident après la défaite du nazisme et la découverte des chambres à gaz. C’est compréhensible.
Factuellement, depuis 1948 et la défaite arabe, en passant par 1967 et la re-défaite arabe, puis par 2000/2001 et la fin du processus d’Oslo, le monde occidental tolère la non-existence d’un état pour les Palestiniens. « Il en faudrait un, idéalement, dans le cadre d’une solution à deux états mais, actuellement, les conditions pour en créer un ne sont pas réunies ». Personne n’est choqué par cette posture qui met, de facto et obligatoirement, tout un peuple dans 5 situations selon leur position géographique :
- En Cisjordanie, ils sont sous l’autorité fantomatique de l’Autorité Palestinienne, elle-même totalement dépendante d’Israël. Ils voient leurs ressources et leurs terres constamment réduites et accaparées par des colonies juives toujours plus nombreuses et par des colons toujours plus confortés dans leur violence systématique.
- A Jérusalem, ils ont un statut de « résident » en Israël qui ne leur permet pas d’accéder à la citoyenneté israélienne. Les titres de propriété de leur logement, datant souvent d’avant 1948, sont constamment contestés devant des tribunaux enclins à les leur retirer en inventant des propriétaires juifs antérieurs. S’ils quittent le territoire israélien, même momentanément, leurs logements sont confisqués au profit de citoyens israéliens juifs.
- A Gaza, ils subissent un blocus hermétique de la part de l’Armée israélienne qui contrôle absolument tout ce qui rentre sur ce territoire. Sur place, les affaires courantes sont régies par un gouvernement du Hamas financièrement dépendant d’Israël. Depuis, le 7 octobre, cette dépendance est peu mise en avant et le blocus s’est transformé en destruction méthodique.
- En territoire israélien tel que reconnu internationalement, les « Palestiniens de 1948 » tels qu’ils s’autodéfinissent ou « Arabes Israéliens » selon la terminologie israélienne officielle jouissent de la citoyenneté israélienne. Ce sont des citoyens israéliens de nationalité « arabe » par opposition aux citoyens israéliens de nationalité « juive », « druze » ou « circassienne ». Les citoyens « arabes » ont, en théorie, les mêmes droits que tous les citoyens israéliens. En pratique, ces derniers se voient discriminés dans l’accès au logement et à l’éducation. Toute expression de solidarité envers la cause palestinienne leur vaut une inculpation immédiate pour terrorisme. Pire, certains villages arabes existant avant 1948 ne sont pas reconnus par les Autorités israéliennes ce qui facilite leur destruction et l’expulsion de ses habitants.
- Partout ailleurs, principalement en Jordanie et au Liban, plus de trois millions de réfugiés palestiniens, plus de cinq millions si on comptabilise les déplacés vers Gaza ou la Cisjordanie, sont interdits d’entrée en Israël et condamnés à ne jamais effleurer, la ville, le village ou la maison possédée il y a quelques décennies par leurs ancêtres. Les exodes forcés de 1948 puis de 1967 ont été le théâtre d’une spoliation systématique des terres et des biens, la pire de l’Histoire moderne.
Les dirigeants du monde occidental, patrie autoproclamée des droits de l’Homme, de la démocratie, des Lumières, de la tolérance… et des donneurs de leçons s’en satisfont.
Pas moi. Pas des millions de manifestants pro-Humanité dits « pro-Palestiniens ». Pas la majorité écrasante de l’Assemblée Générale de l’ONU. Pas les ONG. Pas cette jeunesse, en Occident-même, souvent ignorante des détails et de l’Histoire mais qui sent que quelque chose ne tourne pas rond.
Mais revenons au droit à l’existence.
Israël est un état singulier. Il s’agit du seul pays créé par un vote de l’ONU. Le 29 novembre 1947 33 pays ont voté pour le plan de partage de la Palestine mandataire entre Juifs et Arabes, 13 ont voté contre et 10 se sont abstenus. Un total de 56 pays ont pris part à ce vote, le Siam, actuelle Thaïlande, n’y a pas participé pour raison de coup d’état. L’ONU compte aujourd’hui 193 membres. En 1947, la majeure partie de la planète vivait sous le joug colonial. Même parmi les votants, les grandes puissances ont exercé d’énormes pressions pour favoriser le vote « pour » et la création de l’Etat d’Israël, les Etats-Unis par sympathie historique et messianique envers le mouvement sioniste, l’URSS de Staline par espoir de voir la domination de la gauche sur le mouvement sioniste matérialiser la création d’un nouvel allié au Moyen-Orient.

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Je m’égare.
Le vote est passé. Israël est créée. En 1947, est née la légitimité et le droit d’Israël à exister selon le droit international. Or, ce vote stipule le partage de la Palestine Mandataire entre populations juive et arabe. En d’autres termes, selon le droit international il ne peut y avoir d’Etat d’Israël sans Etat de Palestine ni d’Etat de Palestine sans Etat d’Israël. Renoncer à l’existence de l’un, indépendamment des arguments avancés à cet effet, revient à la négation de l’existence de l’autre.
Parallèlement, il est absurde, légalement, de totémiser le droit d’Israël à l’existence tout en s’asseyant sur le droit des Palestiniens à disposer d’un état.
Pour aller plus loin, il est aujourd’hui quasi impossible de créer deux états distincts sans déplacement massif des populations de part et d’autre de frontières à redéfinir. Par sa politique de colonisation intensive, totalement volontaire, Israël a détruit le contexte de 1947 et la possibilité d’un état palestinien viable. Cependant, vue la codépendance existentielle légale des Etats israélien et palestinien, elle a ouvert la voie à la recherche d’une autre solution garantissant à tous les peuples de la Palestine mandataire historique le droit de vivre sur leur terre et sans le préalable totémique de l’existence d’une entité exclusive et suprémaciste juive dans la région.
Pour résumer et conclure : Israël, pour se racheter la légitimité d’exister, devra, soit renoncer à sa judéité exclusive et suprémaciste et se muer en état plurinational, soit être contrainte de déplacer une part significative de sa population là où elle était la veille du 5 juin 1967. A défaut, Israël est, aujourd’hui, un état complètement illégitime du point de vue du droit et un danger pour son propre peuple.