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Chien qui aboie ne mord pas (et la caravane passe).

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Billet de blog 29 juin 2020

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Que faire quand on est un invité du dépistage?

En remontant 3 générations, personne dans ma famille n'a jamais eu de cancer colorectal ou apparenté. Les autorités de santé m'adressent pourtant une invitation à me faire dépister du cancer colorectal via une recherche de sang dans mes selles. Dois-je accepter cette invitation? Ce billet reprend un article publié dans La Presse Médicale en Février 2008 (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18096357/).

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L’invitation que j’ai reçue n'omet aucun des avantages à attendre de ce dépistage. En revanche, certains des inconvénients sont minimisés, voire carrément omis.

1°) les avantages (ou effets bénéfiques) du dépistage:

Plusieurs études ont démontré une diminution de la mortalité par cancer colorectal dans les populations dépistées. Selon les méta-analyses de ces études, les intervalles de confiance (IC) des risques relatifs (RR) se situent entre 0,8 et 0,95 [2], ou entre 0,78 et 0,9 [3]. Cet avantage est modeste puisque la borne supérieure de l’intervalle de confiance est proche de 1. Cet avantage pourrait être encore plus modeste que cela, car exprimée en "intention-de-traiter", ce qui est plus objectif, la borne supérieure de l’intervalle de confiance atteint des chiffres plus élevés, par exemple 0,99 pour les études ("non-randomisées") conduites en France [1]. Sachant que la "non-randomisation" peut induire des biais par excès et que parmi les études "randomisées" aucune ne l’était en double aveugle, ce qui peut également être source de biais par excès, l’existence de ce modeste avantage n’est pas certaine.

Parmi les autres avantages attendus de ce dépistage dit "de masse", il est également possible qu’il induise une réduction de l’incidence du cancer colorectal par détection puis ablation d’adénomes lors des colonoscopies effectuées en cas de recherche positive de sang dans les selles, mais la qualité des preuves est encore plus faible sur ce point [1, 3].

2°) les inconvénients (ou effets délétères) du dépistage:

La majorité des méta-analyses concluent à l'absence d’effet sur la mortalité globale, sauf celle de Moayyedi et Achkar qui montre une augmentation de la mortalité non liée au cancer colorectal (RR: 1,02, IC: 1,00- 1,04, p = 0,015) [2]. Bien que cette tendance à la surmortalité non liée au cancer colorectal dans les populations dépistées ne soit que très partiellement confirmée par une autre méta-analyse (RR: 1,01, IC: 1,00-1,03, p > 0,05) [3], un sérieux doute plane sur cette question, d’autant que dans une correspondance ultérieure, Moayyedi et Achkar (qui ne sont pourtant pas des détracteurs acharnés du dépistage du cancer colorectal) confirment à peu de choses près leurs premiers résultats: l’absence d’effet démontré sur la mortalité globale pourrait donc être due à une baisse (modeste) de la mortalité par cancer colorectal contrebalancée par une augmentation (plus modeste) de la mortalité non liée au cancer colorectal [4]. Comment une "inoffensive" recherche de sang dans les selles pourrait-elle être responsable d’une surmortalité non liée au cancer colorectal? Moayyedi et Achkar suggèrent, que les patients bénéficiant d’une telle recherche, mais sans en avoir compris toutes les subtilités, s’imagineraient être protégés du cancer et qu’ils mèneraient alors un style de vie qui diminuerait leur espérance de vie (mauvaise alimentation, alcoolisme, tabagisme, etc). Toutes sortes d'autres hypothèses pourraient être formulées: aucune n'est prouvée.

Outre les incertitudes concernant les possibles effets délétères collectifs susmentionnés, il y a également les effets délétères individuels avérés. Ces derniers comprennent les complications des résultats faussement négatifs ou des colonoscopies – notamment les infections, les hémorragies, les perforations, les décès –, la possibilité de sur-diagnostic conduisant à des investigations ou à des traitements injustifiés, voire néfastes, et les conséquences psychosociales pour les patients qui reçoivent des résultats faussement positifs [3]. Même s’il y a beaucoup d’incertitudes concernant ces effets délétères, surtout les conséquences psychosociales, pourquoi les passer sous silence? Concernant les complications des colonoscopies, le nombre de perforations et le nombre de décès pourraient être respectivement d'environ 1 pour 1 000, et d'environ 1 pour 10 000, colonoscopies, la fréquence des complications infectieuses ou autres étant encore moins précisément connue [7].

3°) synthèse des effets bénéfiques et délétères:

En cas de dépistage de masse, les qualités des preuves en faveur d’une efficacité doivent être particulièrement élevées puisque ce dépistage peut transformer des individus sains en malades, éventuellement faussement malades compte tenu des faux positifs, ces faux malades pouvant même devenir de véritables malades s'ils ont la malchance de subir les effets délétères individuels susmentionnés.

Comparons le destin de 10 000 personnes dépistées avec le destin de 10 000 personnes non-dépistées:

- parmi les 10 000 personnes non-dépistées: "environ" 10 décéderont de cancer colorectal,

- parmi les 10 000 personnes dépistées: "environ" 8 ou 9 décéderont de cancer colorectal et "environ" 1 ou 2 ("environ", compte tenu des incertitudes statistiques) éviteront de mourir de cancer colorectal [2, 3]. Dans le même temps, N personnes (N étant probablement inférieur à 1) décéderont de diverses autres maladies du fait de ce dépistage, et dans un avenir plus proche "environ" 200 personnes "bénéficieront" de colonoscopies et X personnes (X étant nettement supérieur à 1) souffriront de divers autres effets délétères du dépistage moins graves que la mort.

Une modeste et incertaine diminution de mortalité par cancer colorectal est-elle plus importante à prendre en compte qu'une moins modeste et moins incertaine sur-morbidité globale ou qu'une plus modeste et plus incertaine augmentation de mortalité non-liée au cancer colorectal? [5, 6].

Conclusion:

Le cancer colorectal cause de terribles ravages. Par exemple cette maladie remplit en grande partie les lits de soins palliatifs. Il est donc parfaitement compréhensible que la moindre lueur d’espoir sur l’efficacité d’une méthode pour réduire ces ravages conduise les autorités de santé à promouvoir ladite méthode. Toutefois, si les arguments utilisés pour cette promotion vont au-delà de ce que ladite méthode a scientifiquement et objectivement prouvé en matière d’avantages et d’inconvénients, cet excès d’optimisme peut alors s’appeler un préjugé, voire un conflit d’intérêt [8]. En fin de compte la manière dont cette invitation est formulée constitue un bel exemple de paternalisme médical et je n'y répondrai pas [9].

Celles qui reçoivent le même genre d'invitation pour le cancer du sein et qui souhaitent se faire une idée par elles-mêmes pourront lire ceci:  https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4415291/


Références:

[1] Bretagne JF, Manfredi S, Heresbach D. Dépistage de masse du cancer colorectal : présent et avenir. Presse Med 2007;36:1054-63.

[2] Moayyedi P, Achkar E. Does fecal occult blood testing really reduce mortality? A reanalysis of systematic review data. Am J Gastroenterol 2006;101:380-4.

[3] Hewitson P, Glasziou P, Irwig L, Towler B, Watson E. Screening for colorectal cancer using the faecal occult blood test, Hemoccult. Cochrane Database Syst Rev 2007;1:CD001216.

[4] Zappa M, Castiglione G, Grazzini G, Stefano C. Does fecal occult blood testing really reduce mortality? A reanalysis of systematic review data, by Moayyedi P and Achkar E. Am J Gastroenterol 2006;101 (2433; author reply 2433-4).

[5] Black WC, Haggstrom DA, Welch HG. Allcause mortality in randomized trials of cancer screening. J Natl Cancer Inst 2002;94:167-73.

[6] Church TR, Ederer F, Mandel JS, Gail MH, Katki HA, Kopans DB et al. All-cause mortality in randomized trials of cancer screening. J Natl Cancer Inst 2002;94:861-5 (author reply 865-6).

[7] Surveillance and management of groups at increased risk of colorectal cancer. Wellington (NZ): New Zealand Guidelines Group (NZGG), 2004. (http://www.guideline.gov)

[8] How to differentiate a good from a bad (medical) decision? https://blogs.mediapart.fr/wawa/blog/090420/how-differentiate-good-bad-medical-decision

[9] Bretthauer M, Helsingen LM, Kalager M, Vandvik PO, Agoritsas T, Guyatt G. The Future of Colorectal Cancer Screening: Parentalism or Shared Decision-Making? CMAJ 2020; 192:E484 (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32366471/ )

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