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Billet de blog 11 septembre 2025

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La pensée sous contrainte : de l’université à la répression

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

🧠 La pensée sous contrainte : de l’université à la répression, anatomie d’une société qui étouffe ses esprits

I. Une société sans temps : quand penser devient un luxe

Dans nos sociétés contemporaines, penser librement est devenu un privilège. Le temps nécessaire à la réflexion, à la remise en question, à l’élaboration d’une pensée autonome se raréfie. Pris dans l’engrenage de la productivité, les citoyens comme les intellectuels se voient contraints de fonctionner en flux tendu, sacrifiant la lenteur, la disponibilité mentale, et la respiration critique.

Le loisir intellectuel — au sens noble du terme, celui que les Anciens associaient à l’otium, à la contemplation — est désormais perçu comme une perte de temps. Or, c’est précisément ce vide fertile qui permet l’émergence d’idées nouvelles, de pensées dissidentes, de visions alternatives.

II. L’université en tension : la fabrique du conformisme intellectuel

L’université, censée être un sanctuaire de la pensée libre, est aujourd’hui soumise à des logiques de rendement qui la transforment en usine à publications. Les enseignants-chercheurs doivent jongler entre corrections de copies, encadrement de thèses, participation à des colloques, rédaction d’articles, et gestion administrative. Le temps consacré à la recherche véritable — celle qui exige du recul, du doute, de l’audace — se réduit à peau de chagrin.

  • Pression à la publication : le fameux "publish or perish" pousse à produire vite, souvent dans des cadres normés, au détriment de la qualité et de la créativité.

  • Conformisme méthodologique : pour être publié, il faut s’inscrire dans les paradigmes dominants. L’originalité devient risquée, la pensée critique marginalisée.

  • Échange de bons procédés : dans un contexte de surcharge, les évaluations par les pairs se font parfois par connivence, au détriment de la rigueur scientifique.

La recherche devient ainsi un exercice de reproduction, non d’invention. Le chercheur, au lieu d’être un penseur libre, devient un gestionnaire de contenu académique calibré.

III. Le chercheur citoyen : une vie morcelée, une pensée à l’économie

Contrairement à l’image romantique du savant détaché du monde, le chercheur est aussi un citoyen, un parent, un individu pris dans les contraintes ordinaires de la vie sociale. Il doit concilier ses obligations professionnelles avec sa vie familiale et, s’il le peut, avec une forme d’engagement citoyen.

Mais cette triple tension produit un effet pervers : tout est fait à minima. Faute de temps, on privilégie les tâches les plus visibles, les plus urgentes, les plus rentables. La pensée devient fonctionnelle, utilitaire, souvent superficielle.

  • Conformisme par défaut : penser autrement demande du temps, de l’énergie, et souvent du courage. Or, ces ressources manquent. On adopte les idées dominantes, non par conviction, mais par économie.

  • Renoncement à l’engagement critique : s’opposer, contester, proposer une lecture alternative exige une argumentation solide. Ce travail chronophage est souvent abandonné.

  • Survie intellectuelle : le chercheur, comme le citoyen, développe des stratégies de préservation : ne pas trop creuser, ne pas trop contester, ne pas trop s’exposer.

"Le conformisme n’est pas toujours idéologique. Il est souvent pragmatique : il permet de survivre dans un système qui ne laisse pas le loisir de penser autrement."

IV. Le citoyen fragmenté : entre fatigue démocratique et impuissance politique

Ce que vit le chercheur est le reflet amplifié de ce que vit le citoyen ordinaire. Dans une société où chaque minute doit être rentabilisée, la participation politique devient un effort surhumain.

  • Temps citoyen sacrifié : entre travail, famille, transports et tâches domestiques, il ne reste que des miettes pour s’informer, débattre, s’engager.

  • Fatigue démocratique : les institutions semblent lointaines, opaques, inaccessibles. La défiance s’installe, la résignation guette.

  • Impossibilité de la contestation éclairée : sans temps pour penser, la critique devient émotionnelle, fragmentée, parfois violente.

La démocratie exige du temps, de la lenteur, de la disponibilité. Or, notre organisation sociale ne laisse plus cet espace vital.

V. La répression comme symptôme : quand l’État se protège de sa propre société

Ce manque de temps pour penser et contester s’accompagne d’un durcissement des mécanismes de contrôle. La répression devient le mode de gestion par défaut des tensions sociales.

  • Fonction policière détournée : les forces de l’ordre, censées être les "gardiennes de la paix", sont de plus en plus perçues comme des instruments de répression politique.

  • Hiérarchie contre déontologie : les agents de police sont confrontés à un dilemme éthique : respecter les procédures ou obéir aux ordres, même illégaux. La peur des rétorsions l’emporte souvent sur la conscience professionnelle.

  • Criminalisation de la contestation : manifestations, grèves, occupations sont encadrées de manière de plus en plus musclée, parfois disproportionnée.

  • Monopole de la violence légitime en crise : la légitimité de l’usage de la force repose sur le respect du droit. Quand ce droit est bafoué, c’est l’État lui-même qui se délégitime.

Ce glissement autoritaire n’est pas accidentel : il est le prolongement logique d’une société qui ne tolère plus la lenteur, la critique, la pensée libre.

VI. Une logique systémique : performance, obéissance, contrôle

Ce que nous observons dans l’université, dans la vie citoyenne, dans la police, relève d’une même logique :

  • La performance prime sur la qualité

  • L’obéissance prime sur la conscience

  • Le contrôle prime sur la confiance

Cette logique traverse les institutions, les professions, les rapports sociaux. Elle produit une société tendue, méfiante, incapable de se penser elle-même autrement que par ses indicateurs de rendement.

VII. Conclusion : Pour une reconquête du temps et de la pensée

Face à ce diagnostic, il ne suffit pas de réformer les institutions. Il faut repenser les conditions mêmes de la vie démocratique. Redonner du temps à la pensée, de l’espace à la critique, du sens à l’action publique.

Cela passe par :

  • Une refonte du travail intellectuel : moins de tâches, plus de liberté.

  • Une revalorisation du temps citoyen : démocratie lente, participative, inclusive.

  • Une réforme profonde des institutions répressives : transparence, déontologie, responsabilité.

Ce n’est pas une utopie. C’est une nécessité.

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