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Billet de blog 20 novembre 2025

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La divergence cognitive ou l’impossible consensus

Dans un monde saturé d’informations et de récits incompatibles, nos opinions se forment moins par vérification que par affinité ; ce glissement affaiblit la possibilité d’un consensus argumenté et transforme nos savoirs en croyances quasi religieuses.

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  La fabrique des opinions : entre confiance, récits et cohérence apparente

Nos opinions ne sont pas des constructions purement rationnelles. Elles émergent à l’intersection de nos expériences personnelles, des récits auxquels nous sommes exposés, et des régimes de confiance que nous accordons - souvent sans en avoir pleinement conscience. Trois formes de confiance structurent cette fabrique : la confiance épistémique, fondée sur la compétence perçue et la vérifiabilité des savoirs ; la confiance affective, ancrée dans l’appartenance, l’émotion ou la proximité ; et la confiance stratégique, qui repose sur des intérêts partagés ou des alignements d’agenda.

Lorsque la confiance épistémique s’effondre - par exemple à cause de scandales, de désinformation ou de conflits d’intérêts - les deux autres formes prennent le dessus. Cela ouvre la voie à une pluralité de récits cohérents mais incompatibles, chacun s’appuyant sur des sources différentes, des affects distincts, ou des intérêts divergents.

Du vérifiable au vraisemblable : un basculement invisible

Dans un monde saturé d’informations, nous ne pouvons pas tout vérifier. Nous nous fions alors à ce qui nous semble vraisemblable. Le vraisemblable, c’est ce qui “fait sens” intuitivement ; ce qui s’accorde avec notre vision du monde, notre langage, nos émotions. Mais ce critère est trompeur : plusieurs récits peuvent paraître également plausibles tout en étant mutuellement exclusifs.

À l’inverse, le vérifiable repose sur des protocoles partagés, des institutions de contrôle, des méthodes reproductibles. Il permet la mise à l’épreuve des récits, leur réfutation éventuelle, et la convergence progressive vers des savoirs communs. Or, lorsque les institutions de vérifiabilité sont affaiblies - universités précarisées, médias concentrés, débats publics formatés - le vraisemblable prend le pas sur le vérifiable. Chacun se replie alors sur des récits qui lui semblent “évidents”, mais qui ne peuvent plus être confrontés dans un espace commun.

La privatisation des communs cognitifs

Ce basculement est aggravé par un phénomène structurel : la privatisation des conditions de production du savoir et de l’information. Lorsque la recherche est financée par des intérêts privés ; lorsque les médias dépendent de la publicité ou des plateformes ; lorsque les espaces de débat sont remplacés par des formats de confrontation ou de divertissement ; les récits produits ne visent plus la vérité partagée mais l’adhésion ciblée.

Ce processus fragmente les publics ; oriente les récits selon des logiques de marché ; et rend impossible la fabrication d’un consensus argumenté. Ce n’est pas seulement une crise de l’information : c’est une crise de l’architecture même du dissensus fécond - celui qui permettait, jadis, de débattre, de réfuter, et de décider ensemble.

Le biais de confirmation : moteur invisible de la divergence

Dans ce contexte, un mécanisme psychologique universel joue un rôle central : le biais de confirmation. Il désigne notre tendance spontanée à chercher, interpréter et mémoriser les informations qui confirment nos croyances préexistantes. Ce biais nous pousse à privilégier les récits qui sont les plus conformes à notre vision du monde, à notre éducation, à nos traditions, ou tout simplement à nos intérêts.

Ainsi, un récit peut nous sembler “vrai” non pas parce qu’il est vérifié, mais parce qu’il nous conforte. Ce mécanisme est d’autant plus puissant qu’il est souvent inconscient. Il affecte autant les scientifiques que les citoyens, les militants que les décideurs. Et il est amplifié par les algorithmes de recommandation, qui nous exposent en priorité aux contenus qui renforcent nos préférences.

Des savoirs qui deviennent croyances

Dans ce brouillard de récits vraisemblables, ce que nous croyons être des connaissances acquises se transforme, à notre insu, en croyances d’ordre quasi religieux. Incapables de vérifier par nous-mêmes, nous devons déléguer notre confiance - mais à qui ? Et selon quels critères ? Faute de pouvoir reposer sur nos expériences personnelles, nous accumulons des convictions qui relèvent moins du savoir que de la foi. La bibliothèque de nos opinions devient alors un panthéon de croyances, où chaque récit occupe la place d’un dogme.

Trajectoires de divergence cognitive

On peut identifier plusieurs trajectoires typiques par lesquelles des individus ou des groupes glissent vers des récits incompatibles :

• certains commencent par faire confiance aux institutions, mais face à des scandales ou des contradictions, ils se replient sur des récits affectifs ou communautaires  
• d’autres adoptent des récits stratégiques, alignés avec leurs intérêts, puis les justifient a posteriori par des arguments pseudo-rationnels  
• d’autres encore, confrontés à la complexité du monde, choisissent des récits simples, cohérents, mais fermés à la contradiction  

Ces trajectoires ne sont pas irréversibles. Mais pour les infléchir, il faut réintroduire des médiations : des espaces de débat, des outils d’audit, des capsules critiques.

Reconstruire les conditions du dissensus fécond

Face à cette fragmentation, plusieurs leviers peuvent être mobilisés :

• réinstituer des communs cognitifs ; cela suppose de financer la recherche publique, de garantir l’indépendance des médias, et de créer des espaces de débat contradictoire  
• outiller l’audit des récits ; il s’agit de rendre visibles les sources, les intérêts, les régimes de confiance mobilisés dans chaque récit  
• formaliser des capsules pédagogiques critiques ; pour modéliser les biais, les trajectoires de divergence, les critères de vérifiabilité  
• instrumenter le dissensus ; créer des formats où le désaccord devient fécond, traçable, et potentiellement convergent  

Ce n’est pas la vérité qui divise et affaiblit ;  
c’est le refus de la chercher ensemble.

Liens vers la CPT (proposition de Constitution Provisoire de Transition)  
Le texte :  http://lc.cx/CPT-pdf  
Les questions fréquentes : http://lc.cx/FAQ-CPT  
Le site : http://cpt.wikicratie.fr  

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