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Billet de blog 9 juillet 2020

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Dans l'enfer des «aires d'accueil des gens du voyage»

En France les aires d'accueil réservées aux gens du voyage sont majoritairement situées dans des endroits isolés et pollués. Les « occupant.e.s » de ces lieux prennent aujourd'hui la parole dans cet article co-écrit par William Acker, juriste et Edouard Guerdener, habitant de l'aire de Gex (01) et chauffeur routier, tous deux dits « gens du voyage ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

I- Un racisme environnemental systémique 

Par William Acker. 

Depuis l’accident industriel de Lubrizol et la présence aux pieds de l’usine SEVESO d’une “aire d’accueil des gens du voyage”, j’ai décidé d’entreprendre un recensement critique de toutes les aires d’accueil françaises. L'aire de Petit Quevilly (76) n’est pas la seule à être située dans une zone dangereuse, pêle-mêle citons celles de Saint Menet (13) jouxtant l’usine SEVESO Arkéma, celle de Golbey (88) à proximité de l’usine SEVESO Norske Skog ou encore celle de Feyzin (69) dans la vallée de la chimie lyonnaise.

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Aire d'accueil de Golbey (88), située rue du Deversoir, aux pieds de l'usine SEVESO de Norske Skorg. © google maps

Les accidents industriels touchant directement des aires d’accueil ne se résument pas non plus à Lubrizol : AZF à Toulouse ou les incendies du SIAAP de Saint-Germain-en-Laye en 2018 et 2019, ne semblent pas pour autant être parvenus à retenir l'attention des autorités au sujet des aires d'accueil dangereuses. Les sites SEVESO ne représentent qu’une infime partie des problèmes environnementaux et industriels qui touchent les aires d’accueil réservées aux gens du voyage en France.

Ma démarche d’initier un recensement de ces lieux se couple à un travail méthodologique autour d’une analyse des environnements immédiats de l’aire (analyse des nuisances industrielles et environnementales) et aussi de critères liés à leur isolement. Aucun recensement nationale n’existe en la matière, et ni les institutions, ni les organismes financées par l’Etat, qui pourtant interviennent sur les aires et sont au fait de ces problèmes depuis des décennies, n’ont jamais initié ce type d’études. Il y a bien eu des recensements partiels ou ceux initiés par l'ANGVC (le plus important à ma connaissance) ou sur le site data.gouv.fr mais ces derniers restent incomplets et ont des vocations pratiques : soit pour renseigner des modalités d'accès, soit pour mesurer la capacité d'accueil d'un territoire. Certaines associations locales ont pris en compte ces données environnementales dans leur recensement c'est le cas de l'ARTAG dans le Rhône qui présente ces éléments dans la catégorie "particularités de l'aire" de ses fiches pratiques adressées aux voyageurs. Ainsi peut-on lire à propos de l'aire de Feyzin : "Sale et mal entretenue, Nuisances sonores (voie ferrée)", en revanche aucune mention n'est faite sur la présence d'un site SEVESO seuil haut à proximité. 

Il semblait donc clair qu’en l’absence de données globales, quantitatives et empiriques, cet argument serait condamné, comme celles et ceux qui en font les frais, au statut “d’indésirable”. Il s’agit donc d’une démarche personnelle, autofinancée, que je co-construis avec un certain nombre d'habitant.e.s des aires d’accueil partout en France. Cette démarche se veut indépendante des professionnels de l’accueil et des institutions qui ferment les yeux sur ces réalités depuis trop longtemps. Ce travail doit également beaucoup aux travaux de l’anthropologue Lise Foisneau qui a mené pendant plusieurs années une étude approfondie sur la question, éveillant en moi une conscience quant à l’urgence du sujet.

Car cela fait longtemps, comme beaucoup de voyageurs, que je me confronte à ce problème qui se résume à l’adage “si tu ne trouves pas l’aire, cherche la déchetterie”. En effet, toutes celles et ceux qui ont “stationné” dans ces lieux de relégation et de “gestion” ethnique, savent d’expérience que les choix de localisation systémiques dont-ils font l’objet, résultent d’une volonté publique d’éloigner les “gens du voyage” du reste de la population.

Ce travail de recensement dresse l’existence d’un "racisme environnemental" systémique et méconnu. En effet, ces aires font l’objet d’un choix de localisation et de gestion publique unilatérale. Elles sont divisées en une typologie simple (aire de petit passage, aire d’accueil et aire de grand passage) et surtout elles sont uniquement réservées aux personnes catégorisées par le droit administratif de « gens du voyage », tenues d'y stationner aux termes de l'article 1er de la Loi Besson de 2000. Catégorie dont les effets racialisants ne sont plus à démontrer.

Cet état du droit, combiné à sa mise en œuvre à l'échelon territorial, contribue à la “présence voyageuse” aux côtés de déchetteries, de stations d’épuration, d’autoroutes, de centrales électriques, de carrières, d’usines SEVESO, de zone inondables ou encore d’anciennes zones de stockage de déchets dangereux. Ce qui est le cas par exemple de l’aire d’accueil d’Yvré-l’Évêque (72) construite sur une ancienne zone de stockage de déchets polluants comme le révèle un rapport de la DREAL, des habitant.e.s de passage évoquent quant à eux la présence élevée de fibres fibro-ciment dans et autour des installations abandonnées à proximité de l’aire.

Ces mêmes fibres d’amiante ont été relevées en nombre sur l’aire d’accueil de Petit Quevilly. Un tas de déchets d’amiante faisant près d’une tonne était situé à l’entrée de l’aire. Il a été retiré sans précautions particulières en octobre 2019 par la Métropole Rouen Normandie suite à une action collective des habitant.e.s et l’intérêt soudain des médias à leur égard. Régulièrement les riverains et industriels se délestent illégalement de leurs déchets à proximité des aires d’accueil. L’économie des frais de déchetterie et l’association des “gens du voyage” aux déchets (qui est une vieille rengaine de l’antitsiganisme) expliquent certainement en partie cette pratique commune à tout le territoire français.

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Aire d'accueil de Petit Quevilly, située aux pieds de l'usine Total et Lubrizol © google maps

Lundi 6 juillet 2020 je me suis rendu une nouvelle fois sur l’aire d’accueil de Saint Menet (13), équipement de la Métropole Aix Marseille Provence, par ailleurs condamnée en 2019 pour non respect des prescriptions “d’accueil des gens du voyage”. Mais elle aurait tout aussi bien pu être condamnée pour non respect de la dignité humaine et mise en danger de la vie d’autrui. L’aire est une honte, aucun être humain ne devrait y vivre, en fait aucun être vivant tout court ne devrait y vivre. Pourtant il ne s’agit en rien d’une découverte, l’aire a déjà fait l’objet de nombreux articles de presse et d’une étude universitaire.

Sous la chaleur écrasante de l’été, cet immense parking de goudron et de béton, jonché de déchets présents depuis des années, pullule de rats en raison du manque d’entretien de la Métropole. L’aire est située à 10 mètres d’une autoroute, elle jouxte un transformateur électrique, une déchetterie pour BTP, un site SEVESO seuil haut, les voies de TGV et un terrain de moto-cross dont le bruit continu est invivable. Le vent soulève des nuages de déchets et de poussières qui s’infiltrent partout. Une journée sur l’aire a suffi pour que mes cheveux soient remplis de poussière, pour que ma peau soit crasseuse, que mes yeux brûlent et que ma gorge soit en feu.

Une journée alors que certain.e.s habitant.e.s y sont parqué.e.s depuis des décennies. Rien n’est aux normes, la moitié des installations d’eau sont défectueuses, les branchements électriques sont plus que douteux. Les douches comme les toilettes sont inutilisables, les fils à linge sont cassés, certains habitant.e.s se voient refuser l’accès à l’eau et l’électricité. Certain.e.s n’ont pas accès à la climatisation si précieuse dans les caravanes par ces chaleurs. On promet aux habitants une rénovation depuis des années qui n’arrive pas.

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Aire d'accueil de Saint-Menet (13), située entre une autoroute, une usine Seveso seuil haut, une déchetterie, un transformateur électrique et un terrain de moto-cross © google maps

Quant à la gestion, si plusieurs habitant.e.s ont souligné la gentillesse des travailleurs sociaux qui interviennent sur site, ils sont tout aussi nombreux à s’être plaint des remarques et des traitements racistes de la gestionnaire de l’aire, celle par qui tout le monde doit passer pour s’installer, ouvrir un accès à l’eau ou l’électricité, celle-la même qui fait appliquer le « règlement intérieur de l’aire » et qui a le pouvoir in fine d’expulser les habitant.e.s.

L’aire comme toutes les autres en France est payante, en moyenne 300 € par mois, avec des abus de facturation flagrants montant jusqu’à 50 € tous les deux jours selon plusieurs habitant.e.s rencontré.e.s. Tout est payé en liquide sur l’aire, ceci explique peut-être cela. Les habitant.e.s comme tous les « gens du voyage » n’ont pas accès aux aides au logement (APL ou ALS), car la caravane a un statut spécial dans le droit. On trouve ainsi de nombreuses personnes en situation d’extrême précarité.

L’aire est évidemment isolée au fond d’un cul-de-sac, aucun transport en commun, pour accéder au centre ville il faut compter 40 minutes de marche. Ce lieu de relégation, est aussi le terrain préféré de la petite délinquance environnante qui vient dealer devant la place, il y a quelques jours des coups de feu ont été tiré à proximité des caravanes. La présence de déchets industriels et les installations défectueuses sont dangereuses particulièrement pour les enfants, deux petites filles se sont brûlé la semaine dernière.

Bref, comme beaucoup de ces lieux en France, les traitements infligés aux collectifs dits « gens du voyage » sont conditionnés par un antitsiganisme primaire, une maltraitance d’Etat, une atteinte à la dignité humaine qui rappellent les conditions rencontrées dans les bidonvilles, les camps de migrants, les prisons ou les centres de rétentions administratifs français et qui pourraient largement faire l’objet d’une condamnation par la Cour européenne des Droits de l’homme, tant les violations des droits élémentaires humains sont importantes.

Depuis maintenant 10 mois je réalise ce recensement exhaustif, qui fera l’objet d’une publication en 2021. Sur une cinquantaine de départements analysés, les chiffres provisoires que j’obtiens sont effarants. Plus de 81% des aires d’accueil sont isolées des villes (en dehors des zones habitées, en zone industrielle ou aux frontières communales), plus de 62% de ces lieux sont quant à eux soumis à des nuisances industrielles et/ou environnementales. Mais les données brutes, même augmentées par mon expérience, n’ont guère de valeur sans le témoignage des habitant.e.s des aires. Depuis plusieurs mois je reccueille la parole dans plusieurs régions françaises, d’hommes et de femmes astreint.e.s à ces conditions.

Aujourd’hui je vous propose de lire le témoignage d’Edouard Guerdener, habitant de l’aire d’accueil des gens du voyage de Gex, considéré par l’administration française comme “gens du voyage sédentaire”. L’aire de Gex est située à l’écart de la ville, au milieu de carrières, de sites d’enfouissement et de brûlage de déchets. Un enfer sur terre qui ne va pas sans rappeler les innombrables (bientôt dénombrables) autres aires soumises à ces conditions comme celle d'Hellemmes Ronchin (59). Jusqu’à quand connaitra t-on cette chape de plomb, ce silence complice de nos concitoyen.ne.s et des institutions qui tous et toutes devraient se lever et s’indigner contre ces formes d’encampement ethnique dignes du XIX siècle ?


II- Dans l’enfer de "l’aire d’accueil des gens du voyage" de Gex

Par Edouard Guerdener. 

« Que je me démène ou que je reste coi, je passe pour un je-ne-sais quoi, je ne fais pourtant de tort à personne, en suivant mon chemin de petit bonhomme ; mais les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux » Georges Brassens, La Mauvaise Réputation

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Aire d'accueil de Gex (01), située à l'écart de la ville, entre deux sites de carrières et d'enfouissement de déchet © google maps

Un environnement pollué

Je m’appelle Edouard Guerdener, je suis issu de la "communauté des gens du voyage" et vis à l’année avec ma femme et mes enfants, sur l’aire d’accueil de Chauvilly située à Gex dans l’Ain depuis 2014.

Je dis « je vis », mais je devrais plutôt parler de survie, ici les conditions ne sont pas réunies pour avoir une vie normale. L’aire d’accueil est située dans une carrière, qui chaque jour produit non seulement des nuages de poussière qui s’infiltrent partout dans les organismes, les caravanes et les voitures, mais également une pollution aux particules fines due aux moteurs diesel des camions utilisées sur site. À cela s’ajoutent, d’importantes nuisances sonores dues aux bruits des engins et des concasseurs.

Ces pollutions sont invivables. Nous ne pouvons même plus manger dehors. Tous les habitants de l’aire sont allés voir des médecins en raison de problèmes respiratoires chroniques dont beaucoup souffrent, surtout les enfants. Dans la carrière, les entreprises font aussi du concassage de pierre, ce qui fait beaucoup de bruit et encore plus de poussière. Parfois on arrive même plus à se concentrer, on est obligé de crier pour s’entendre. À cause des vibrations très matinales, nous sommes réveillés tôt, au point que cela crée même des tensions entre nous. Ça nous rend fous.

À ce tableau, il faut aussi rajouter les odeurs, en effet, juste avant le confinement, la carrière servait de décharge où deux entreprises incinéraient illégalement, des déchets de BTP et des produits toxiques comme l’a révélé un article du Dauphiné Libéré du 7 juin 2020. Nous avons dû respirer cela toute la journée, ça brûlait de l’amiante, des batteries, de l’huile de vidange, des machines à laver, des déchets ménagers. Cette gestion catastrophique des déchets conduit à la présence importante de rats sur l’aire, enfin de toute façon c’est comme ça dans la plupart des aires d’accueil françaises. Et même s’ils ont fini par enfouir certains déchets, aujourd’hui tout ressort, nous faisons face à une marée toxique qui remonte.

En 2013 la DREAL a acté la fin d’exploitation, le remblaiement et réaménagement de la carrière. Pourtant l’exploitation a repris, car la Mairie de Gex a octroyé des autorisations préalables, malgré l’interdiction préfectorale de 2013. De plus l’exploitation continue, sans aucun recyclage des produits toxiques qui sont rejetés directement dans les rivières attenantes : Le Maraîchet et l’Oudar. Ces rivières sont situées à moins de 500m du captage Pré Bataillard, qui fournit la moitié du Pays de Gex en eau potable. Le Dauphiné Libéré révèle ce que les habitant.e.s de l’aire d’accueil dénoncent depuis longtemps : “aucun dossier de demande d’enregistrement n’a été déposé pour l’exploitation d’une installation de stockage de déchets inertes”. Le journal Le Pays Gessien titrait lui aussi le 26 juin 2020 sur “les entreprises mises en demeure pour le stockage illégal de déchets inertes”. Ces rejets ont déjà tué toute la faune et la flore, alors nous les habitants de l’aire on a poussé un peu pour que tout cela se sache, malgré le peu de crédit accordé aux “gens du voyage” dans ce pays.

À tel point que ça a créé une opposition entre le Maire de Gex et de Cessy, la ville voisine. Ce dernier prend au sérieux les problèmes de pollution générés par ces rejets toxiques et le trafic routier des camions qui s’est vu multiplié par quatre et ceci sans autorisation comme le révèle encore une fois l’article du Dauphiné Libéré. Le Maire de Gex quant à lui, souhaite continuer l’exploitation de cette carrière, sachant pourtant pertinemment que les entreprises en cause sont en infraction caractérisée, puisqu’elles ont reçu chacune un arrêté préfectoral suspendant leurs activités, les 7 et 17 mars 2020. Mais pas de chance, pour nous, l’aire d’accueil, est située sur la commune de Gex.

Il y a aussi une autre entreprise de l’autre côté de l’aire, pour le coup exploitée légalement qui est une station de transit de matériaux. Il s’agit de l’entreprise PELICHET Eric et Roger, celle-ci essaie vraiment de faire attention, d’arrêter les travaux à 17 heures par exemple. Mais les carrières des entreprises Pelichet Albert et Desbiolles, font de notre vie un enfer et portent atteinte à notre santé et celle de nos enfants. Comme indiqué plus haut, le Préfet a pourtant ordonné la cessation de toute activité sur le site, mais ces deux entreprises continuent leurs travaux, nous avons fait constater leurs infractions par les forces de l’ordre (gendarmerie et police municipale) mais elles n’ont pas arrêté pour autant. Elles ont un sentiment d’impunité totale. Nous avons l’impression que les arrêtés préfectoraux demandant l’arrêt des activités industrielles ne sont là que pour couvrir les responsabilités de l’Etat en cas de problème.

Récemment un article paru dans l’Écho de Gex, magazine édité par la ville, appelait les témoins d’infraction environnementale à se manifester auprès des pompiers de la ville, ce que nous avons fait. Arrivés sur place un coup de fil de la mairie de Gex a suffit à stopper toute investigation, les pompiers désolés de ce véto hiérarchique c’en sont allé nous laissant seuls au milieu des cours d’eaux rougies de lixiviats. 

Une vie en semi-liberté

Ici tout est fait pour nous blâmer et profiter de nous, un exemple très parlant, je paye 4€ le m3 d’eau, mon plus proche voisin sédentaire, paye lui un peu plus de 3€, pourtant il n’a pas à subir toutes ces pollutions. L’aire de Gex a 15 ans, jamais rien n’a été refait, chaque année ils ferment l’aire pour une période d’entretien, mais quand ils font quelque chose ça se résume le plus souvent qu’à un coup de peinture pour cacher la misère. Nous payons des loyers, mais sur l’emplacement rien n’est entretenu, nos toilettes sont dans un état inacceptable. Les gens du voyage sédentaires étant mélangés avec les non-sédentaires qui, n’étant que de passage, conduisent à une usure plus rapide des installations.

En hiver les branchements d’eau gèlent et ceux électriques sautent, on ne peut pas mettre un chauffage ou une plaque de cuisson, si ça se passe le week-end personne ne se déplace pour réparer. Il faut souvent attendre plusieurs jours parce qu’ils ferment à clé les locaux techniques, ils n’ont pas confiance en nous. Ça arrive souvent de devoir dormir dans le froid, il faut attendre que le soleil sorte, que les températures redeviennent positives pour se servir de l’eau, des machines à laver. Les installations électriques ayant un ampérage trop faible, alors parfois nous n’avons pas d’autre choix de que nous brancher ailleurs surtout lorsque nos gamins sont glacés, et après on nous accuse de branchement illégal.

C’est un cercle vicieux qui dure depuis des années. Ici tu as beau être en règle, il suffit qu’une personne de passage se comporte mal et tout le monde est mis dans le même panier. Le gardien de l’aire nous surveille, nous subissons souvent des accusations à tort et quand il réprimande un comportement individuel c’est tout le monde qui reçoit un papier pour payer. Il nous mélange tous, par exemple si un voyageur de passage sur l’aire n’attache pas son chien, la Communauté de Communes nous envoie à tous des menaces d’expulsion. C’est une pression constante, une intimidation périodique, on nous dit qu’on nous fait une fleur en acceptant notre présence sur l’aire donc il faut faire profil bas.

Pourtant les gardiens savent très bien faire la différence entre ceux qui parfois se comportent mal et nous qui restons à l’année ici. Enfin parlons des gardiens tiens, toute l’année ils sont enfermés dans leur boite, ils ne font aucun entretien, ils refilent les corvées à des travailleurs extérieurs, ils restent dans leurs bureaux avec le double vitrage et des barreaux aux fenêtres, comme protégés de fauves, ils en sortent juste au moment de nous faire payer les loyers.

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Aire d'accueil de Gex (01), située à l'écart de la ville, entre deux sites de carrières et d'enfouissement de déchet © google maps

L’association qui est censé nous représenter (qui n’est composée que de gadjé) est subventionnée par les collectivités qui nous traitent comme des riens, alors forcément les seuls qui pourraient nous défendre sont muselés.

J’ai la conviction que c’est une association dont le seul but est de fournir des informations sur les voyageurs aux collectivités, d’ailleurs c’est eux qui forment les gardiens, la boucle est bouclée. On appelle ça des gestionnaires mais nous on les appelle des gardiens.

Je dis toujours à mes enfants de bien travailler à l’école pour s’en sortir, à l’époque de mon père ça allait à peu près, on voyageait comme on voulait, mais maintenant la liberté c’est fini. J’aurais presque préféré garder mon carnet de circulation et rester comme avant. La suppression des carnets c’était vraiment la belle enfilade, un coup de poignard car ils ont fait mine de nous donner des droits avec la loi Besson qui rend obligatoire les aires ou la loi Sarkozy qui a mis en place les nouvelles versions d’aire, avec des blocs, mais c’est comme une prison, un espace clôturé et surveillé, comme une assignation à résidence avec des gardiens. Je suis un semi-sédentaire en semi-liberté.

Normalement je ne peux pas légalement vivre dans une aire d’accueil à l’année, pour se couvrir l’administration fait mine de nous donner des autorisations de 9 mois, mais en réalité nous restons 12 mois sur 12 et on nous fait payer les 12 mois. Quand j’ai voulu dénoncer ces faux documents administratifs au Préfet, il a ordonné mon expulsion ! J’ai aussi essayé d’obtenir une place en terrain familial, avec une boite aux lettres, un petit chez moi, parce que actuellement où je vis c’est trop exiguë, mais ça fait des années que ça traine et récemment la responsable de l’association pour les voyageurs m’a annoncé que probablement le terrain retenu serait … juste à côté de l’aire ! Ce n’est pas possible, il faut que je sorte mes enfants de cet enfer.

L’antitsiganisme à l’origine de tout

Je ne me laisse pas faire, depuis des années, j’enchaîne les procédures et les demandes en Préfecture contre ces conditions de vie insoutenables, mais c’est toujours les mêmes réponses : une fin de non recevoir ou des menaces d’expulsions. Quand je fais une demande sous l’entité de "gens du voyage" rien n’aboutit jamais, ni rendez-vous, ni réponse. Alors je ruse, j’essaye de passer par des subterfuges, j’en suis réduit à prendre mes rendez-vous sous des faux noms, car ils connaissent bien les noms des voyageurs de la Région, ils ont leur petit tableau noir. Lorsque j’obtiens enfin un rendez-vous la réponse est toujours la même : un peu de blabla sur les droits fondamentaux, des promesses, on nous calme et puis rien. Le mensonge est majoritaire dans le fonctionnement de l’administration à l’égard des gens du voyage, soit ils ne répondent pas, soit ils mentent.

J’ai quand même réussi à faire fermer la route qui passe devant l’aire parce que beaucoup de gens venaient y faire des dépôts sauvages d’ordures. C’est souvent comme ça à proximité des aires, les gadjé se disent c’est des voyageurs donc pas de soucis pour y jeter des déchets, au pire ils accuseront les voyageurs et au mieux ils feront des économies de déchetterie. J’ai aussi signalé la fragilité des installations à proximité de la nouvelle voie de promenade sur la voie de chemin de fer, c’était dangereux, les barrières risquaient de tomber sur les promeneurs. Bref, je ne me laisse pas faire et ça ne plait pas. 

Mais je me demande pourquoi a-t-on choisi d’installer une aire d’accueil sur ce site ? Car à l’origine nous devions être localisés à proximité du stade, mais il y a 15 ans ils ont finalement construit l’aire ici. En réalité le but est assez simple, faire en sorte que les voyageurs ne restent pas, alors que dans le même temps tout est fait pour que les voyageurs ne puissent plus voyager. Tout est fait pour nous pousser à la sédentarisation, mais de l’autre côté personne ne veut de nous. En 2017 par exemple le Préfet m’a laissé 4 ans pour trouver un moyen de sédentarisation, mais pour les voyageurs c’est très difficile d’accéder au crédit, et je ne pouvais plus attendre passivement l’arrivée d’un terrain familial. Je n’ai pu m’acheter qu’un terrain agricole, on m’a incité à l’acheter et maintenant la Mairie refuse que je m’y installe.

Le Maire m’a envoyé au Tribunal dès qu’il a su que je voulais y installer un petit chalet. En réalité ils ne veulent surtout pas que des voyageurs se fixent en dehors des aires. Autour de mon terrain tous les autres ont accès à l’eau et l’électricité, ils ont fait des constructions en dur, mais pour moi c’est refusé. J’ai fait des recours, on m’a par exemple autorisé à clôturer, installer un abri de jardin et d’un autre côté on me refuse une boite aux lettres ou l’accès à l’énergie.

Alors quand tu traites les gens comme des chiens, ils deviennent des chiens, on nous pousse au mal, il n’y a jamais de dialogue, pas de considérations, pas de respect, pas de confiance, il n’y a que le conflit et la haine. Je ne demande rien d’autre que l’accès à une boite aux lettres, l’eau, l’électricité et de pouvoir installer un petit chalet sur mon terrain à l’écart des pollutions, c’est tout, ou à défaut d’avoir la possibilité d’accéder à un terrain familial où je payerais un loyer.

Mais tout est bloqué. Je vis sur cette commune depuis des décennies, j’y suis attaché, j’y travaille comme chauffeur routier, mes enfants y sont scolarisés, mais je reste un éternel étranger, un mis à l’écart, à la marge dans l’endroit le plus insalubre de la ville, sans voisins, dans des conditions inhumaines et je n’ai aucune autre solution que de continuer à me battre et résister contre cette maltraitance institutionnelle et raciste.

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