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Billet de blog 26 mai 2025

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Proposition de loi Pauget : un retour au délit de vagabondage ?

[Rediffusion] Trente ans après l’abrogation du délit de vagabondage, une proposition de loi portée par Éric Pauget remet à l’agenda la criminalisation de l’errance — cette fois ciblée sur les gens du voyage. Sous couvert d’ordre public, c’est l’exclusion structurelle du droit à habiter qui se voit renforcée.

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En 1994, la France abrogeait enfin le délit de vagabondage, marquant la fin d’un régime pénal qui, depuis le XIXe siècle, permettait d’emprisonner celles et ceux dont l’existence même — sans domicile, sans travail, sans attache — constituait un motif de sanction. La suppression de ce délit était alors saluée comme un progrès démocratique, mettant fin à une criminalisation de la pauvreté fondée non sur les actes, mais sur les conditions de vie.

Trente ans plus tard, une nouvelle proposition de loi, enregistrée à l’Assemblée nationale en mai 2025 remet cette logique au goût du jour. Présentée par le député Éric Pauget (Les Républicains, Alpes-Maritimes), cette proposition vise à « sanctionner plus sévèrement les installations illégales des gens du voyage », à faciliter les évacuations de terrain et à créer un délit d'habitude, puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Une proposition qui ne parle plus de vagabondage, mais d’« installation illicite », et ne vise plus les pauvres en général, mais les « gens du voyage » pauvres. Il s’agit, au fond, d’un recyclage juridique d’une logique répressive ancienne : punir ceux à qui l'on refuse le droit à l'accueil et celui d'être habitant. 

Une illégalité structurelle et subie

Le cœur du problème, pourtant, n’est pas l’installation illicite : c’est l'absence persistante de solutions légales d'installation et de logement pour des dizaines de milliers de familles voyageuses. Depuis plus de vingt ans, de nombreux départements n’ont pas respecté leurs obligations légales de création d’aires d’accueil prévues par la loi du 5 juillet 2000. Aujourd’hui, seuls 12 départements respectent les prescriptions de leurs « schémas départementaux d’accueil et d’habitat des gens du voyage » (selon les chiffres réactualisés de la DIHAL en 2025). Ironie du sort, les Alpes-Maritimes dont Eric Pauget est député, sont considérés comme le pire élève en la matière, avec seulement 3 aires d’accueil, là où le département devrait en avoir plus d’une trentaine. Par ailleurs, quand ces aires existent, elles sont souvent inadaptées, inaccessibles, insalubres ou saturées. C’est le cas dans les Alpes-Maritimes où les trois aires sont toutes situées en bordure d’autoroute, d’usine ou de décharge. En parallèle, le droit de l’urbanisme empêche très souvent les familles de s’installer sur leurs propres terrains, du fait de règlements locaux qui interdisent les caravanes ou refusent tout aménagement. Environs 96% des document d’urbanisme interdisent de manière absolue et générale le stationnement des caravanes plus de 3 mois, même sur terrain privé. Ce qui constitue certainement l’interdiction de territoire de fait, la plus étendue en France à l’encontre d’une population visée.

Quel est le résultat de ces multiples inégalités ? La présence de familles en situation d’errance partout en France et en particulier à proximité de grandes métropoles. Les acteurs associatifs en dénombrent ainsi plus d’une centaine autour de Brest, environs 200 autour de Nantes, 150 autour de Clermont, plusieurs centaines autour de Nice, Marseille, Lyon, Mulhouse, Metz, Lille, Bordeaux, etc. La liste est longue, parce que le problème est systémique.

Dans ce contexte, l'installation dite "illicite" est en réalité une réponse contrainte : c’est la conséquence directe d’un rejet administratif, d’un défaut d'accueil organisé, d’une précarité résidentielle prolongée. Parler de fraude ou d’habitude délictueuse revient à inverser les responsabilités : ce ne sont pas les Voyageurs qui refusent la légalité, c’est la légalité qui leur refuse un droit effectif au logement et à la stabilité.

Pourtant des solutions existent et peuvent être mises en œuvre dans différents territoires, programmes de logement incluant la caravane, mise en place de solutions d’accueil temporaires, prise en compte de la résidence mobile dans les documents d’urbanisme (en particulier pour les Tiny House), accompagnement des familles dans leur projet de logement, etc.

En matière d’accueil et de logement des Voyageurs, le blocage n’est pas seulement légal, il est surtout politique.

De l’errance subie à la pénalisation ciblée

Le texte proposé par Éric Pauget ne s’arrête pas à la création du délit d’habitude. Il renforce tout un arsenal répressif : augmentation significative des amendes, allongement de la durée de mise en demeure préfectorale, systématisation des expulsions, extension du pouvoir de mise en demeure du préfet, saisie automatique de véhicules, y compris des véhicules d’habitation jugés transformés. À travers ces mesures, c’est bien une logique d'éviction et de dissuasion par la force qui s’installe et qui viendrait écraser les droits protégés par les textes internationaux.

Il ne s’agit pas ici d’assurer une meilleure régulation ou un équilibre entre les droits, mais de faire pression sur une population perçue comme dérangeante, indésirable, par une batterie de contraintes policières et financières. Cette répression vise à les pousser hors de la vue, hors du territoire, et - puisqu’elle se déploie sans offrir de solution alternative - hors du droit et donc de la citoyenneté.

Subir l’errance c’est devenir fantôme social, c’est un quotidien rendu impossible par la montagne d’entraves aux services publics, à la santé, à l’habitat, et plus largement à la dignité humaine.

Une offensive législative plus large

La proposition de loi Pauget ne constitue pas un cas isolé. Depuis septembre 2024, plusieurs autres propositions de loi ou amendements ont été déposés ou discutés à l’Assemblée nationale ou au Sénat allant dans le même sens : resserrer l'étau sur les gens du voyage, faciliter les évacuations, durcir les peines, renforcer la surveillance et les contrôles. Ce mouvement législatif s’inscrit dans un contexte politique où la stigmatisation des minorités visibles, en particulier celles perçues comme "non intégrées", devient un levier électoral. Ainsi Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur avait annoncé en octobre 2024 vouloir renforcer la répression de l’installation illicite des gens du voyage. A cet effet, il a constitué un groupe de travail en mars dernier, exclusivement composé de parlementaires de droite, qui est chargé de remettre des propositions législatives dans les semaines prochaines.

Loin d’être une réponse pragmatique à des difficultés locales, ces textes traduisent une volonté de montrer sa fermeté face à des familles subissant l'errance contrainte, peu outillées politiquement pour se défendre, et dont la parole reste peu entendue dans le débat public. Ils offrent une réponse sécuritaire à une problématique qui est d’abord sociale, urbanistique, et structurellement discriminatoire.

Une continuité historique préoccupante

L’histoire se répète avec des habits neufs. Là où le vagabondage réprimait la pauvreté visible, le délit d'habitude punit la précarité de l'habitat. Dans les deux cas, la misère devient une faute ; le manque de place, une provocation ; le mode de vie, une transgression.

Mais cette criminalisation ne résout rien. Elle masque les carences de l'Etat et des collectivités dans la mise en œuvre du droit au logement qui s'est au mieux, trop souvent réduit à des formes de sédentarisation forcée dans des lieux indignes. Elle renforce la méfiance et la rupture entre institutions et Voyageurs. Et surtout, elle banalise l'idée qu'un mode de vie ancestral, patrimoine commun, puisse être traité comme une menace à l'ordre public. 

Il ne s’agit donc pas seulement d’un débat technique sur les modalités d’évacuation ou le montant des amendes. Il s’agit de défendre une vision du droit qui protège les Voyageurs au lieu de les surveiller, qui garantit des droits fondamentaux au lieu d'exiger des comportements conformes, qui reconnait les échecs collectifs au lieu de les faire payer à ceux qui les subissent.

Il est clair que cette posture, fondée sur le rejet systématique ou sur un discours commode du type « les Voyageurs, très bien… mais pas ici », ne peut produire aucune solution. Elle refuse de voir une réalité simple : nous sommes, nous aussi, chez nous. Habiter un territoire, c’est en faire pleinement partie, c’est un préalable à l'exercice de la citoyenneté — et il appartient aux parlementaires de rendre cela possible pour chacun.

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