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Billet de blog 3 févr. 2023

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Le silence de Pan

Ça faisait un bon petit temps que je n’avais pas fait entrer ma carcasse quelque part. À chaque fois que je pénétrais dans un bâtiment, il y avait une sorte de toile d’araignée tendue comme la face d’une vieille actrice qui me jetait dehors. Ça avait commencé par les boucards et les boîtes à boulots. Puis tous les trucs avec des toits. J’savais pas quoi faire alors j’suis restée à la cloche.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

VIRGILE : 

Au début, c’était comme un film plastique très fin, presque doux qui recouvrait mon corps et mes intentions. Je l’étirais sans difficulté. Elle laissait, sur mon visage et mes cheveux, de minuscules copeaux de plastique, semblables, si ce n’était à de légers pétales de fleurs flottant autour d‘un cerisier du Japon, à des pellicules parsemant les épaules en cuir d’un vieux professeur d’histoire. Il n’y avait presque rien alors j’oubliais. Et puis tout cela est revenu très lentement. Les premiers mois, je pouvais me rendre assez loin, je pouvais même entrer dans les aéroports et les grandes surfaces mais lorsque les lieux étaient très peuplés, cette chose se rétractait et tirait sur ma peau, surtout celle de mon visage, elle avait la texture d’un liquide visqueux séché. Elle devenait même rêche lorsque je restais immobile à regarder les autres. 

Progressivement c’est devenu de plus en plus épais et j’avais des difficultés pour avancer. Je devais me courber, forcer pour que ce qui m’enveloppait s’étende, se réchauffe et me laisse parcourir les rues et les lieux peuplés. Cette matière m’avait déjà fait abandonner les endroits trop couverts, ceux qui avaient un maître ou un propriétaire. J’étais de moins en moins vertical et la panique m’envahissait de façon plus profonde chaque jour. Le pire fut atteint dans une rame de métro à l’intérieur d’une station qui desservait beaucoup de lignes. J’étais debout, le bras vers le plafond, quand le train s’est arrêté à quai sans être encore au bon endroit pour ouvrir les portes. Quelqu’un a essayé de sortir. Il s’est mis à hurler, à tambouriner sur les portes et les vitres comme un lièvre prisonnier d’une cage, sa vie semblant moins importante que sa liberté. Il n’entendait pas les consignes de sécurité qui nous indiquaient d’attendre, de ne pas tenter d’ouvrir les portes. L’homme était de plus en agité, il poussait les gens, les mordait, s’arrachait la peau sur les murs. 

Illustration 1
Panique·s © Xavier Prieur

Il y eut comme une vague à l’intérieur de la rame et j’ai été plaqué contre la porte opposée au quai. C’est alors que le film de plastique s’est tendu violemment et qu’il est devenu très dur. Il essayait de me protéger, en repoussant les gens qui me collaient et me piétinaient. J’étais paralysé et j’avais beaucoup de mal à respirer, alors j’ai tenté de me débattre mais cette matière me couvrait la totalité du corps et au lieu d’empêcher les gens de me cogner, il m’empêchait de me défendre. J’avais les deux genoux à terre, les deux bras coincés derrière le dos, offrant mon ventre aux coudes, aux pieds et aux chutes. Lorsque les portes se sont ouvertes, j’ai été traîné sur le quai. Il ne restait qu’un peu de sang sur le sol de la station lorsque j’ai pu m’extraire de ma carapace de PVC. 

Je suis sorti plusieurs fois encore, puis un jour j’ai décidé de ne plus aller à l’extérieur. Je travaillais déjà la majeure partie du temps chez moi. Je gérais un site internet pour une société qui commercialise des gilets pare-balles et des alarmes à incendie. Et puis je n’étais pas seul, il y avait Nicolas mon chimpanzé, François et François mon couple de perroquets. 

Au début, Nicolas me ramenait mon courrier et quelques colis que le facteur posait dans une petite boîte au bout du chemin qui me permettait, du temps où je pouvais encore le faire, de sortir de chez moi. Cela l’amusait moins que de boire de la bière ou de traîner dehors alors il a arrêté, s’appliquant à préciser que si j’avais renié l’extérieur, il fallait que j’aille jusqu’au bout des choses. Il avait raison, je n’en avais pas spécialement besoin et le reste du monde m’importait peu. Il m’arrivait de communiquer avec d’autres humains par l’intermédiaire de réseaux sociaux. Le premier geste de ma journée était de faire vivre mes avatars. Je postais d’innombrables photographies que Nicolas prenait de moi. J’attendais avec impatience que mes amis virtuels se manifestent et approuvent mes publications ; leur indifférence pouvait me rendre totalement dingue. Alors je multipliais mon existence numérique pour attirer leur attention. Je postais avec frénésie les photographies les plus populaires et éliminais celles qui ne recueillaient que peu de suffrages.  Je devais plaire. Je commentais également l’actualité que je ne connaissais que par le truchement de mes machines. Finalement j’en savais beaucoup. L’intelligence ne m’était pas utile puisque j’avais le temps. Je n’improvisais jamais rien et au bout de quelques années, je me suis ennuyé. Les gens me parlaient de leurs amis et de l’odeur des aéroports.  

LILA

Ça faisait un bon petit temps que je n’avais pas fait entrer ma carcasse quelque part. À chaque fois que je pénétrais dans un bâtiment, il y avait une sorte de toile d’araignée tendue comme la face d’une vieille actrice qui me jetait dehors.

Ça avait commencé par les boucards et les boîtes à boulots. Puis tous les trucs avec des toits. Ca me ciselait les joyaux. J’savais pas quoi faire alors j’suis restée à la cloche. Tout ce temps sur le macadam, c’était long. Ça me grattait le cuir et tout le corps. Ce qui m’emmerdait le plus, c’était de pas pouvoir jacter avec les autres. 

Je devais traîner ça depuis la naissance comme une guignasse ou une inaptitude. Le plus dur c’était les bâches du début. Quand j’ai senti la toile devenir de plus en plus épaisse. Quand elle me fondait dessus comme de l’huile du Moyen-Âge, qu’elle troublait tout ce que je matais dans les vitrines ou les condices. Même les parcs publics sentaient la mygale quand je rappliquais. 

Alors quand j’ai vu cette maison avec tout ce plastique autour, je me suis dit qu’il devait y avoir là-dedans un type pas pareil. J’ai un peu galéré pour y accéder parce que ça n’avait pas servi depuis longtemps. Y’avait bien quelques couloirs mais c’était plein de poils et de bave. Alors je suis passée sur le côté. J’étais habituée à feinter. Quand on a pas les mots, faut bien se débrouiller. J’ai gratté quelques heures et j’ai trouvé la porte. Une toute petite porte, une porte pour petite personne ou pour animal. Et là, youhou, elle s’est ouverte. 

Je me suis retrouvée dans le hall. Y’avait pas de toile d’araignée, rien pour me mettre dehors à gros coups de pied ou de phrases au cul. Juste un mec avec un petit visage tout rond, un nez de boeuf,  un sourire à l’intérieur et de la flippe partout sur le corps. Il a même pas essayé de me parler. Il a bougé les babines une fois. Pour un mot tout court. Ouf ! Parce que moi j’avais plus les bonnes phrases depuis l’temps.

Illustration 2
Lave © Xavier Prieur

VIRGILE

Elle est arrivée la troisième année. Un de ces jours qui séparaient l’hiver du printemps. Elle avait un tout petit sac avec une grosse fleur brodée dessus. 

Elle semblait surprise de pouvoir entrer. Je n’avais construit aucune phrase depuis si longtemps. J’ai dû murmurer un ou deux mots. Elle ne disait rien. Tant mieux. J’ai agité ma main. Elle a compris qu’elle devait venir dans mon salon. Même si elle était un peu jolie, ça m’embêtait. Je n’attendais personne. Ma maison était  dérangée. J’étais dérangé. Mes objets ont bien essayé de se remettre à leur place, mais ils semblaient avoir perdu la mémoire. C’était pire. 

Ça devait sentir fort l’animal. Elle avait un tout petit nez et une très belle bouche qu’elle n’utilisait visiblement pas souvent. Ses yeux étaient toujours ouverts. J’ai même eu l’impression que si j’approchais rapidement mes mains près de son visage, elle ne les fermerait pas. Cette fille n’avait pas peur. Je pensais que les femmes comme elle, avec de grands yeux et de grands cils, les utilisaient fréquemment pour regarder le sol et sur le côté. Non, elle me regardait fixement, sans impatience, sans question, sans crainte.

Un moment, il m’a semblé que les François échangeaient quelques mots. Quant à Nicolas, il restait vautré sur le canapé. Il était sorti toute la nuit et n’avait aucune envie de parler à quelqu’un. Il puait la téquila et le sexe. J’étais un peu gêné.

Illustration 3
Egon © Xavier Prieur

LILA 

Ça sentait bon chez ce garçon. Y’avait comme un goût d’extérieur dans la disposition des choses. Comme dans un vieux carton de jeune clochard. Il faisait tout très lentement. J'ai dû attendre bien longtemps avant d’aller chercher son courrier parce que je voyais bien qu’il pouvait pas aller très loin avec toute cette angoisse qui lui collait les entrailles.  

On a bu un truc dégueulasse. Il était mignon à me regarder boire. Quand j’ai posé le courrier sur la table, il avait l’air de s’en foutre, mais ça lui a permis d’occuper le temps en le regardant. J’me sentais bien là-dedans avec lui. Je voyais son p’tit torse se gondoler sous la peur ou l’envie. Pour moi tout ça c’était pareil. Je me disais que quand on est terrifié, on s’accroche les uns aux autres, on se sent la sueur l’un sur l’autre. Pour ça, fallait le faire sortir de tout ce latex qui enrobait sa vie. Ouais, c’était ça sa vie, un trait de sperme dans une grosse capote. Ça trouverait jamais les ovules, ça donnerait jamais la vie si on faisait rien.

Et pis là-dedans, faut dire qu’y avait aussi un vieux macaque pas baisant, sans colonne vertébrale et deux perroquets bique et bouc qui se ressemblaient comme deux huîtres.

 VIRGILE

Quand nous avons fini de regarder le tas de courrier, nous n’avions plus grand-chose à faire. Et moi, depuis toujours j’avais peur de commencer. Les conversations, les sourires, la compréhension des autres, les rencontres, les bras tendus. Heureusement elle a pris une enveloppe et elle a tracé des grands cercles et des lignes droites. Ses gestes étaient très beaux. Et puis j’aimais profondément ce qu’il restait de tout cela. Elle sortait de son sac de la colle, des épices, des aiguilles, du charbon, des morceaux d'écorce, de la terre. Elle assemblait tout, toujours sans parler.

En quelques heures, il y avait une immense installation dans mon salon. Il nous arrivait bien de nous faire quelques gestes de temps en temps mais elle me laissait tranquille. Plus elle avançait dans son œuvre, moins je voulais qu’elle ne la termine. Elle était magnifique, dans mon salon, occupant de plus en plus de place. Elle toucherait bientôt les murs et le plafond. On ne pourrait plus circuler ici. Et j’aimais ça.

D’heure en heure les papiers poussaient mes objets, envahissaient toutes les pièces. J’étais spectateur de ce voyage. Je m’imaginais avec elle dans une forêt peuplée de nymphes, au fond d’un volcan, dans un champ d’herbes hautes. Elle avait détaché ses cheveux et bougeait son corps comme il me semblait ne jamais pouvoir le faire. Elle était libre cette fille-là, et je voulais bouffer le vent qui tournait autour d’elle à pleine dent. Oh, elle esquinterait certainement tous les tendons de mon corps, elle traînerait tous mes muscles sur des graviers et des clôtures rouillées mais je l’attendais. J’attendais qu’elle me libère, qu’elle me fasse brûler, qu’elle souffle du froid et du chaud. 

Illustration 4
Caverne © Xavier Prieur

LILA

Alors il a posé ses lèvres sur les miennes. Ces lèvres que je n’avais pas utilisées depuis si longtemps. Ces lèvres d’où ne sortait presque aucun son depuis ma naissance. Ces lèvres qui ont rendu râpeuses mes phrases et mon esprit. Ces lèvres remplies de désirs et d’histoires. Contraintes de refouler les verbes ou de les enlaidir. J’ai tout expulsé à l’intérieur de lui. Il s’est gonflé comme une immense étoile. Il avait toujours les pieds bien ancrés dans le sol, mais le reste de son corps flottait tout là-haut, au creux du ciel. Je sentais mon esprit le rejoindre. Nos corps se sont racontés nos vies pendant des heures lorsqu’il est entré à l’intérieur de moi. Nous étions loin dehors, au milieu du peuple des villes, au centre des bâtiments, plaqués contre des barres d’immeubles, accrochés aux plafonds des usines. Son corps s’ouvrait sur moi comme le lit d’une rivière de jungle. Il m’inondait de ses manques, de sa fragilité, de ses frayeurs. Il me donnait ses jolis mots, ses belles phrases bien construites. Je vomissais ma vulgarité sur ses étagères bien rangées. Nous avons dansé pendant des heures. Je n’entendais pas les râles sortir de sa bouche mais je les sentais encore plus forts parcourir son corps. Je comprenais chacun de ses mots. Je me sentais aussi douce et pleine qu’un poème écrit en avril. Je m’entendais penser et vivre.

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