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Billet de blog 6 juin 2024

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Forêts

Souvent, celles qu’on appelle forêts sont en fait de vastes monocultures, où le chant des oiseaux se fait rare, où les populations des supposés nuisibles sont régulées ou chassées. Les quelques rares forêts encore libres et sauvages sont des pieds de nez frontaux et sans détour à l’économie capitaliste dont l’objectif ultime est la standardisation et le profit.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Il faut beaucoup aimer les hommes.

Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer.

Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter »

Marguerite Duras 

Il y a des mots qui peuvent paraître banals, éculés, simplistes, rebattus, dont tout le monde s’empare pour créer des images rapides, pour voguer sur l’air du temps, pour communiquer. Le mot forêt en fait partie. Il est une sorte de totem ou de mot de passe pour accéder rapidement à une idée, justifier une politique, montrer que l’on est proche de la nature, à l’écoute des campagnes et de la terre.

Il est de bon ton de s’en inspirer. On demande aux villes de lui ressembler, aux collégiens d’en planter, aux pompiers de les sauver. Et puis on ferme les yeux. On se rend compte qu’on n’a jamais vraiment pris le temps de comprendre la totalité de ce que l’on ressent lorsque l’on marche dans une forêt. Parce que cela nous semble naturel, presque inné.

Plus qu’ailleurs, on y répète un truc ancestral, on active un réflexe myotatique. Personne ne nous apprend à regarder les arbres. On ne remarque plus les milliers d’odeurs que dégagent les forêts, la multitude des couleurs qui les composent. On reproduit ce que nos ancêtres, sans avoir aperçu l’ombre d’un mur, faisaient déjà. Ce grand lien avec les premiers hommes, les premiers animaux, les premières végétations qui nous rapproche plus d’eux que de nos contemporains est en chacun de nous.

Rares sont les endroits où l'on trouve autant d'espèces différentes, d'âges différents, un tel empilement de vies et de façon de vivre. Les forêts sont des univers entiers à portée de main. 

Illustration 1
© Julie Siboni

Que nous soyons né·e·s en ville ou en campagne, nous avons tous et toutes un souvenir en forêt. Un souvenir parfois plus précis – et précieux – que celui que nous pourrions avoir sur un boulevard ou au bord d’une plage.

Il est pourtant facile de penser que toutes les forêts se ressemblent. Elles se ressemblent car elles ont des points communs que nos inconscients protègent consciencieusement. Elles se ressemblent car comme toutes espèces vivantes, elles ont des racines communes. Les arbres sont tous issus des mêmes mélanges, des plantes qui, des millénaires en arrière, se sont côtoyées, formant déjà de façon quasi homogène une forêt gigantesque se séparant avec le temps et les continents.

Leurs habitants, en s’adaptant, ont fini par reproduire les mêmes comportements, les mêmes discrétions. Alors, figé·e·s au milieu des forêts, comme nos aïeux l’ont été, nous ressentons les mêmes énergies, les mêmes triomphes, les mêmes envies, les mêmes quiétudes. 

Il y a, en forêt, des moments suspendus, incomparables. Prenez cet instant pendant lequel les animaux de la nuit se taisent avant que les animaux du jour ne prennent le relais. Un instant sans bruit et sans vitesse. L’aube en forêt est fascinante parce qu’elle rend étrange ce moment pendant lequel, en apparence, rien ne se passe et donne, d’une certaine façon, une définition concrète au mot ennui. Cet ennui si important que l’on essaye trop souvent d’oublier ou d’enfouir sous le sommeil ou dans la course.

L’aube oblige notre imagination, force notre esprit à inventer des animaux fantastiques naissants, des plantes hybrides menaçantes, des sensations nouvelles. Parfois, la peur se mêle à l’ennui et rien ne vient concurrencer cet alliage. Il reste en nous longtemps, il nous permet de relativiser et d’apercevoir le ciel tel qu’il est. Un truc bleu qui change de couleur, qui nous fait sourire ou tirer la gueule, nous fait sortir ou nous abriter. Les forêts favorisent nos souvenirs et nos imaginaires, sont les lieux de nos ennuis et de nos envies. Elles nous permettent de rester amoureux, enfant, en vie et enjoués. Elles sont aussi puissantes que la culture et les rêves. 

Illustration 2
Couverture Polymorphes FORETS © Julie Siboni

Mais cette puissance, souvent, nous effraie. Incontrôlable, pleine de bêtes tapies dans l’ombre et d’insectes participant à la décomposition des branches et des cadavres, elle nous renvoie à notre propre finitude. On voudrait que les forêts soient à l’image de nos constructions, ordonnées, propres, sans odeur. Dans l’ombre des fougères et des arbres effondrés,  l’homme moderne ne  voit souvent qu’un indicible chaos. Et parce que le chaos n’est ni pratique ni rentable, il choisit de l’ordonner.

Dans sa course vers l’argent, transparaît peut-être cette peur venue du fond des temps, un besoin d’autorité, sur l'incontrôlé, l’indompté, l’inconscient. Sur l’autre qui vit en soi. Cet autre sera encadré par des lignes, tracées au cordeau. Souvent, celles qu’on appelle forêts sont en fait de vastes monocultures, où le chant des oiseaux se fait rare, où les populations des supposés nuisibles sont régulées ou chassées. Les quelques rares forêts encore libres et sauvages sont des pieds de nez frontaux et sans détour à l’économie capitaliste dont l’objectif ultime est la standardisation et le profit.

Pourtant sous le joug de cet homme moderne résonne sa défaite future, déjà présente, à vrai dire, permanente, évidente. Au fond de lui, l’appel de la forêt, une intuition sauvage qui murmure que c’est là qu’il est né, primate parmi les primates et c’est là qu’il retournera, de la cendre à la poussière, quand il aura mis fin à sa brève et maniaque expérience terrestre. 

Illustration 3
© Julie Siboni

Même si tout le monde tire les forêts à soi, on vous propose de vous poser un peu, de prendre le temps de vraiment entrer en forêt comme on partirait en voyage ou en retraite. Forêt refuge pour des humains traversés par des ondes, forêt résistance pour les luttes sociales, écologistes, altermondialistes, forêt de Tronçais entre histoire, tradition, arômes et vinification, forêt de Diane punissant Actéon, forêt en libre évolution ou en libre imagination.

Nous verrons que les forêts ne sont pas des ponts bâtis entre les villes et les campagnes, mais le négatif de ces lieux. Des zones autonomes que les maisons, les appartements, les champs, les rues et les squares chassent de notre terre. Parce que ce sont des lieux effrayants et magiques dans lesquels les humains ne veulent ni se perdre ni dormir. Les forêts sont fascinantes parce qu’elles ne font pas l’unanimité.

Nos auteur·e·s révèlent leur vraie nature en les rendant angoissantes, irréelles, puissantes, temporaires, invincibles. Ielles s’éloignent des clichés charriés par l’air du temps. Les forêts sont dangereuses et en danger. Les humains les détruisent. Ils ont toujours essayé de se protéger d'elles. Déjà, les hommes préhistoriques, emmitouflés dans des peaux d’animaux, réfugiés au fond d'une grotte, s'éloignaient des intempéries, des bêtes sauvages et des forêts. Elles ont toujours mis les hommes à l'épreuve. Alors comment ne pas s'en méfier ?

Il faut nous plonger dans ce que nous serions sans elles. Faire le bilan de ce qui nous manquerait. Faire un pas en arrière. Imaginer la forme des cabanes, les dimanches après-midi et l’odeur du monde sans elles. Pour aimer les forêts, il faut, comme pour les humains, beaucoup les aimer.

Édito de Xavier Prieur pour la revue Polymorphes consacrée aux forêts que vous pouvez acheter en pré-vente ici :

Pré-vente REVUE POLYMORPHES numéro FORETS

La revue Polymorphes est coordonnée par Bony Ska. 

Polymorphe corp a été créée en 2018 et agit pour la valorisation de son territoire rural et en faveur de la création artistique. L’association y développe des activités culturelles, accueille et accompagne des artistes émergents et promeut un mode de vie respectueux de l’environnement. 

​Pour Polymorphe, la campagne est le terrain idéal pour relever les défis environnementaux et sociétaux qui s'imposent. En effet, elle nous permet de repenser nos fonctionnements - mode de production et de consommation plus responsables, préservation de la nature, développement de compétences manuelles et artisanales - et notre rapport au temps et à l'espace.

Elle constitue également un lieu privilégié pour la création artistique.

Une multitude d’atouts sur lesquels nous pouvons tous nous appuyer pour inventer les modes de vie et la société de demain !

==>  site Polymorphes

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