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Billet de blog 8 novembre 2021

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EDITO REVUE POLYMORPHES // SAVOIR-FAIRE

On sent l'envie revenir. L'envie d'apprendre ce qui a été désappris, l'envie de faire, l'envie de se rappeler à la matière. L'envie de réapprendre à observer, l’envie de s’ennuyer, l'envie d'être plus en accord avec la nature, de se rappeler à elle, de la sentir. Comme si on apercevait à nouveau ce fil qui nous relie au monde et qu'on voulait le tirer plus fort, pour le nouer à notre existence.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a dans la notion de savoir-faire, un pacte tacite que l’on fait avec l’humilité et la sobriété. C’est la porte d’entrée aux petites choses, au bricolage, à la discrétion, au labeur et à l’ennui. 

Les savoir-faire ne sont pas grandioses, ils s’épanouissent dans la pénombre, derrière les cabanes, dans les chambres d'ados, dans les granges en bois, au fond des ateliers d'artistes, dans le creux des mains. Il n’y a besoin ni d’argent, ni de smartphone, ni de muscle, ni d’éloquence pour comprendre ou transmettre un savoir-faire. On peut les apprendre sans tenir debout, sans être assis, sans être valide ou motivé. Parce que l’attention se place autre part. Elle se place, comme nous allons le découvrir dans les 27 contributions de cette revue, dans la transmission, dans les récepteurs et les émetteurs que sont les humain·es et qui se placent, quand on déballe tout le reste, au milieu de cette transmission. 

Illustration 1
Couverture du 1er numéro de la revue Polymorphes © Sébastien Plassard

Les savoir-faire nous permettent, sans nous en rendre compte, de nous insérer dans une chaîne qui existe parfois depuis la nuit des temps et durera peut-être jusqu’à la fin d’autres temps. C’est un vocabulaire qui nous permet de communiquer plus doucement, plus lentement. C’est un sujet d'échange non verbal. Un rempart contre les conversations d’ascenseur, les commentaires météorologiques, les commérages. Bien qu’ils nécessitent parfois le langage, ils s’opposent à la discussion, aux débats stériles. Ils font tomber les cloisons des cours de classe, des écrans d’ordinateur. 

Les savoir-faire sont inextricables de l'histoire de l'humanité. La détention de savoir-faire manuel, leur transmission, sont sans doute la pierre angulaire du destin fascinant de notre espèce. Pourtant en quelques décennies, le progrès technique, le productivisme, la surconsommation, l'urbanisation, la mondialisation les ont relégués au second plan.

Dans Les Années, Annie Ernaux revient sur cette décennie de bascule, les années 1950 : “On s’émerveillait d’inventions qui effaçaient des siècles et des gestes d’efforts, inauguraient un temps où, disaient les gens, on n’aurait plus rien à faire”. Tandis que les tâches ménagères ou le travail des champs se simplifiaient, nous nous sommes peu à peu figés dans un temps bureautique, dématérialisé. Nous avons incarné cette foule qui achète, qui jette, qui transporte et qui accumule. 

Illustration 2
© Johanna Walderdorff

Et puis, cette question a surgit : “que sait-on faire de nos mains ?”  On utilise ce que l’on ne construit pas. On mange ce que l’on ne tue pas. On regarde ce que l’on ne visite pas. On discute de ce que l’on ne connaît pas.  

On sent l'envie revenir. L'envie d'apprendre ce qui a été désappris, l'envie de faire, l'envie de se rappeler à la matière, pour retisser nos liens avec notre environnement. L'envie de réapprendre à observer, l’envie de s’ennuyer, l'envie d'être plus en accord avec la nature, de faire partie d'elle, de se rappeler qu'on fait partie d'elle, de la toucher, de la sentir. Comme si on apercevait à nouveau ce fil qui nous relie au monde et qu'on voulait le tirer plus fort, pour le nouer à notre existence.

Il y a aussi toutes ces pensées, revenantes et arrivantes, qui travaillent à raccorder le lien entre les vivants, et qui se sont mises à pousser sur nos tables de chevet, nos bureaux et nos ateliers de fortune :  les croyances païennes chez Starhawk, le fil du langage animal et de ses poésies encore incomprises chez Vinciane Despret.

Tous ces fils ont tissé des maisons durables ou temporaires pour accueillir ces occupants du monde, ces animaux et ces esprits, et ont filé ces nouveaux apprentissages, ces désirs d’accords entre humains et non-humains. 

Illustration 3
© Johanna Walderdorff

Ce sont toutes ces valeurs que nous voulons placer au centre de notre revue. Alors venez plonger vos mains avec nos contributeur·trices, tourner les pages, venez remuer avec elles et eux, la matière, effleurer leurs racines. Les savoir-faire sont les plus sociaux des réseaux.

Ce sont des jeux sans règle. Des alibis pour se retrouver. Des arguments pour discuter et écouter la radio. De la poésie pour prendre son temps. Un fil de laine qui nous enlace. Des modes d’emplois à transmettre. Un apprentissage de la mort. Une histoire d’herbes et de sorcières, de moines, d’arbres, de baies et de haies. Des raisons pour créer un tiers-lieu, un festival ou une revue. Ou les trois. 

Illustration 4
© Johanna Walderdorff

Que l'on habite à la campagne ou en ville, on imagine cette revue comme un morceau de terre dans votre salon, un terreau fertile pour les pensées, un “pourquoi pas”, “j’y vais”, ou “j'irai demain”. Un balcon en rase campagne. Un appartement en forêt. Un jardin à soi. Il n'est pas question de prosélytisme mais de la possibilité d'un lieu accueillant la pensée avant le corps, l'imaginaire avant la réalité, les témoignages avant la vie quotidienne. Un truc qui traîne pas loin. Même si on ne saute jamais le pas.

Que l'on finisse tous à Cérilly ou que l'on n'y mette jamais les pieds, ce lieu et cette revue existent quelque part. Et, comme pour les savoir-faire, il va falloir se relayer pendant des siècles pour les maintenir en vie. 

Édito du premier numéro de la revue Polymorphes (www.polymorphecorp.com) consacré aux savoir-faire que vous pouvez acheter avant sa parution (le 17 décembre prochain) ici :

REVUE POLYMORPHES NUMERO 1 SAVOIR-FAIRE

Illustration 5
© Johanna Walderdorff

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