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Billet de blog 17 octobre 2023

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Voici des flics, des fleurs, des larmes et des discours

L’ultra-médiatisation de ces événements ne fait que renforcer l’effet traumatique de ces crimes et, d’une certaine façon, donne aux prochains événements un air encore plus tragique.

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Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.
J’arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

Paul Verlaine

Quelque chose se passe dans nos écoles. Il y a bien sûr tout ce qui inonde les médias et les réseaux sociaux quand un événement tragique arrive. Mais il y a également tout ce que l’on peut difficilement décrire sauf quand cela se termine mal. Nous n’avons presque plus aucune bonne nouvelle en provenance de nos collèges et de nos lycées. Rien ne semble aller.

À coup de c’était mieux avant et de vacances trop longues, les médias, les spécialistes de plateaux TV et les politiciens s’étalent sur le fait que les jeunes se harcèlent, jouent plus qu’il ne faudrait avec leurs limites, s’insultent sur les bancs, dans les classes et par l’intermédiaire de leurs téléphones, que les menaces à la bombe se multiplient. Alors que les profs sont sous l’eau, sous-payés et sous-estimés, que les chauffages ne fonctionnent pas, que les classes sont surchargées, que l’humidité bouffe les murs de classe, que les ados n’apprennent pas très bien, s’énervent vite, baissent les bras et se suicident, l’école n’a jamais été aussi nécessaire tellement il est compliqué de trouver un travail sans diplôme. 

L’école, au-delà de fournir des connaissances - son unique objectif réaliste - doit aussi orienter, éduquer, encadrer, élever, rendre laïc, protéger, remplacer les parents, rendre citoyen, soigner les troubles alimentaires et les maladies mentales, donner un avenir. On a tellement chargé la mule qu’elle n’avance presque plus. Avec des salaires parmi les plus bas des pays de l’OCDE, des trous dans les murs, de la rouille sur les radiateurs, des cailloux dans les lentilles, comment garder l’espoir et transmettre cet espoir ?

Il semble y avoir, dans les salles de classes, plus de haine et de hurlements que de civisme et d’altruisme. Qui ne connaît pas un professeur épuisé et au bout du rouleau ? Comment restent-ils debout ? L’école charrie désormais plus de souffrances que de savoirs. Combien d’anciens élèves, sans même avoir été harcelés ou violentés, évitent de passer devant leur lycée tellement celui-ci provoque en eux des crises de panique ? Les établissements d’enseignement deviennent des repoussoirs, des salles de cours sans miracle, des enjeux électoraux. 

Il y a, bien sûr, les états d’anxiété liés à cet âge. L’adolescence est un voyage chaotique énervé ou apaisé par les lieux traversés. Il y a dans les salles et les cours d’école, trop de traces de peines et de frustrations et trop peu de moyens pour se sentir considéré et avoir envie d’y étudier et de s’y épanouir. Comme on attend trop d’un parent, on écrase l’école sous une charge mentale effrayante.

Et puis il y a le traitement médiatique qui écrabouille le clou, exacerbe les problèmes. Comme on ne parle que des trains en retard, on ne parle de l’école que quand ça va mal, quand ça explose ou quand ça saigne. Alors imaginez quand c’est l’agonie ou la mort. C’est le déferlement. Tout va très vite. Il ne faut laisser aucun répit à la réflexion et à la pensée. On crée des raisons extérieures pour ne pas avoir à ouvrir complètement le dossier et trouver des solutions. C’est encore l'extérieur, l’étranger qui est responsable. On ne pourrait supporter l’idée que le problème vienne de l’intérieur. Je crois pourtant que c’est le cas. 

Illustration 1
Les livres ne brûlent pas bien © Xavier Prieur

La littérature et le cinéma sont remplis d’histoires d’assassinats et de tueries de masses dans les collèges et les lycées. Il y a aux USA une cinquantaine de tueries de masse dans les écoles par an. Perpétrées, la plupart du temps, par un ancien élève. Immédiatement, captures d’écran et interviews des voisins qui veulent être sur la photo à l’appui, des raisons effrayantes sont mises en avant : l’assassin était gothique, islamiste, accro aux jeux vidéos, queer mal dans sa peau, catho intégriste, fan de star wars. Vous avez l’idée. La facilité, encore la facilité. Ces gestes sont toujours motivés par une idéologie de haine, le fameux Allahu akbar lancé dans ces moments semble plus être un slogan qui incarne la terreur qu’une organisation planifiée justifiant complètement le terme terrorisme. C’est évidemment très commode de tout empiler derrière ce terme. Cela permet surtout de déployer un raz de marée de forces de l’ordre au lieu d’utiliser l’argent pour rendre les écoles plus aptes à faire ce pourquoi elles existent : transmettre des savoirs.

Quelle doit être la taille des mailles du filet qui serait en mesure d'empêcher un terroriste d’assassiner des professeurs dans des salles de cours, sur un parking de lycée ou dans la rue ? Éviter tout meurtre de ce type sans s’attaquer aux racines du mal, relèverait du hasard. L’ultra médiatisation de ces événements ne fait que renforcer l’effet traumatique de ces crimes. Et d’une certaine façon, elle donne aux prochains événements un air encore plus tragique et pousse, possiblement, des personnes fragiles mentalement, à reproduire ces gestes et ces paroles. Dans un autre contexte, on parlerait de copycat. Les actes sont répétés, les phrases bégayées. Ces paroles sont presque marketing. Elles pourraient se référer au diable, à des scènes de films, à des crimes célèbres ou à des slogans publicitaires. Elles ne sont pas, il me semble, une idéologie complètement digérée. Elles sont prononcées pour intensifier l’acte, pour que ces moments-là soient le plus terrifiant possible. Appuyer sur les bons boutons. Allahu akbar est une marque, la marque parfaite pour accélérer la terreur, la faire exister même sans la mort, même avant la mort. Cette phrase est un trophée, un reflexe myotatique. Une marque qui fait instantanément peur, qui va permettre d’inscrire l'événement en quelques minutes sur les bandeaux des chaînes info, dans les cerveaux des humains. Comme le masque de scream, le maquillage du joker ou le bras tendu des nazis. Pourquoi s’en passer ?

Bien sûr que le parcours de ces assassins est proche de cette idéologie mais que revendiquent ils ? Rien. Ils tentent de détruire des ruines. Ils tentent d’achèver un cheval blessé. C’est bien plus facile que de s’attaquer au surprotégé Louvre ou l'inaccessible Banque de France. Le discours préconçu qui flotte dans l’air les y autorise presque. Que valent les professeurs pour le gouvernement et les médias ? Que valent les écoles publiques qui tombent en ruine ? Quelle sorte de vie vaut 2000 euros par mois après 4 ou 5 ans d’études supérieures et tant d’expériences ?

On n’entend jamais autant les flingueurs de l’école publique et des valeurs progressistes que lorsqu'un enseignant - qu’ils traitent sans relâche de fainéants, de woke, d’assistés - se fait assassiner. Ces commentateurs cathodiques qui auraient pu cracher sur les idées de Samuel Paty et Dominique Bernard trois jours avant leur mort, les érigent pourtant en martyrs pour mieux démolir l’école et la placer dans les feux de l’enfer et de tous les dangers. Pour que ça devienne encore plus irrespirable. Pour que les cours d’école deviennent des no man's land.  Pas de panique, leurs enfants sont dans des écoles privées. En temps normal, il n’y a aucun respect pour ces lieux et les gens qui y travaillent et y consacrent leur vie. 

Par facilité, on n’interroge jamais la problématique de santé mentale de ces assassins. Il est plus aisé de prendre le fait le plus signifiant et le plus médiatiquement choquant. Les meurtres réalisés par des personnes atteintes de maladies mentales ne sont pas assez impressionnants, ils durent peu de temps, ne brûlent pas assez les doigts quand on les manipulent. Ce sont presque des accidents et les accidents ne sont médiatisés que si le conducteur était drogué et sortait d’une orgie. C’est d’ailleurs le cas du meurtrier d’Agnès Lassalle dont on parle très peu dernièrement. Elle a été poignardée devant ses élèves par l'un d'eux décrit comme psychotique. L’émoi suscité a-t-il abouti à un renforcement de la prise en compte de la santé mentale en France et l’apport massif de moyens pour les institutions psychiatriques ? Il se passe exactement l’inverse avec un désengagement sans précédent de l’Etat dans les hôpitaux psychiatriques et les associations concernées. Agnès Lassalle - et tant d’autres - sont les grands absents de la minute de silence du 16 octobre 2023. Pourquoi ?

Illustration 2
La caverne © Xavier Prieur

Il y a dans cet horrible assassinat beaucoup d’éléments qui relèvent du hasard. La présence de Dominique Bernard à ce moment-là, le fait que contrairement à d'autres, il a eu la possibilité et le courage d’agir au risque de sa vie. Apparemment l'assassin ne cherchait pas quelqu’un en particulier. Il voulait tuer. Il a frappé au hasard. Personne n’était visé en particulier. Il était dans une cours de lycée. Son ancien lycée. Et cela, par contre, ne relève pas du hasard. Comme l’anniversaire de la mort de Samuel Paty quelques jours après. Un lieu, une date, une marque. En répétant en boucle ces événements, on les répète dans le temps. Et bien sûr ils portent les caractéristiques du grand méchant du moment : le terrorisme islamiste. Et c’est parti pour les raccourcis. Ce serait à cause de ce qu’il se passe au Moyen Orient, les tchétchènes sont tous dangereux, les musulmans nous menacent. Les moyens financiers pour la protection des citoyens se mettent à pleuvoir au lieu de mieux financer les lieux où se produisent ses drames et les personnes visées par ces assassins. 

Si le terroriste avait crié bietan jarrai, slogan de l’ancien ETA, aurions nous aussi peur ? Y aurait-il autant d’émissions déprogrammées ? Le résultat et les raisons idéologiques du geste seraient pourtant les mêmes. Se souvient-on des bombes quotidiennes déposées par l’IRA aux cris de tiocfaidh ár lá ? Et leurs morts ?

La question n’est pas de connaître l’histoire ou les origines des terroristes. Le terrorisme existera malheureusement toujours. Il fait, à nos pensées défendantes, partie du Léviathan que nous habitons. La question est de savoir pourquoi ils attaquent les écoles ? Pourquoi tirent-ils sur une ambulance ? Pourquoi s’attaquent-ils aux faibles et aux plus fragiles. Comme le libéralisme et les harceleurs scolaires, les dominants s’en prennent généralement aux plus vulnérables. Il faut redonner de la force à notre école en la remettant sur un piédestal, en la rendant joyeuse, libre, inclusive, puissante et pleine d’espérance. En l’inondant d’argent pour que chaque élève y entre comme on entre dans un palace ou en scène, pour que les professeurs y pénètrent comme des héros qu’ils et elles sont. 

L’école n'a pas besoin de policiers mais de bonnes nouvelles. Donnons un peu plus de fleurs aux vivants, au lieu de les garder pour les morts qui arrivent.  

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