L'hystérie qui a suivi la parution de l'ouvrage d'Emmanuel Todd "Qui est Charlie" doit nous interroger sur ce que devient la France et singulièrement la gauche. Nous tentons ici de dégager les points essentiels de la problématique de l'ouvrage.
Le climat islamophobe, après le 7-janvier, a conduit à une tentative d'union nationale sous diverses injonctions et notamment celle de demander aux membres d'une minorité religieuse, les Musulmans, de se distinguer des criminels ayant assassiné des journalistes, pour ce qu'ils écrivaient et des Juifs, pour ce qu'ils étaient. Etre Français ne serait plus seulement avoir le droit de blasphémer, mais avoir le devoir de blasphémer. En d'autres temps, l'Inquisition interrogeait les Juifs convertis pour s'assurer qu'ils mangeaient bien du porc. Comment faire comprendre dans une telle perspective que les frères Kouachi et Amédy Coulibaly étaient bel et bien des Français, des produits de la société française ?
Ce phénomène serait révélateur d'une crise de la société française, non dans ses franges, mais en son coeur intellectuel et politique dirigeant : les classes moyennes : "La focalisation sur l'islam révèle un besoin pathologique des couches moyennes et supérieures de détester quelque chose ou quelqu'un et non pas simplement la peur d'une menace montant des bas-fonds de la société."
L'angoisse des classes moyennes, marchant pour la liberté se caractérise par une mise en veille de la notion d'égalité. Ainsi la manifestation du 11-janvier a révélé l'absence du monde populaire, Musulman ou non. Les classes moyennes, loin de porter les valeurs positives de la nation, apparaissent égoïstes, autistes "et d'humeur revancharde". A un autre niveau, les politiques ont joué leur propre carte : ils ont "consciemment instrumentalisé l'événement pour tenter d'échapper à leur impopularité." "Bien des journalistes ont renoncé, en toute connaissance de cause, à leur devoir critique".
Ce mouvement d'une ampleur "sociologique" (4,5 à 6% de la population) permet de révéler de nombreux aspects de sa fausse conscience : ainsi, le débat sur la laïcité "ne s'inscrit pas dans la continuité des valeurs laïques". Les forces se réclamant de la République "ne sont pas d'essence républicaine". Le PS est ancré à droite et la droite ne sait plus ce qu'elle est. Ces forces "puissantes et efficaces" maintiennent la France dans "le carcan des politiques austéritaires qui détruisent une partie de la population".