Au plus haut de la crise ukrainienne, Mediapart, dans un parti pris occidentaliste univoque, a interrogé plusieurs "chercheurs" pour tenter d'approfondir son point de vue et tenter de lui donner une crédibilité "scientifique". Ainsi, le 30 avril dernier, Amélie Poinssot publiait l'interview d'un jeune chercheur ukrainien, Volodymyr Yermolenko.
Volodymyr Yermolenko devait démontrer que le régime Poutine, c'est le fascisme paré des atours de l'antifascisme. Un angle d'approche paradoxal, il faut le dire, au moment de la prise du pouvoir à Kiev par deux organisations revendiquant ouvertement l'héritage du nazisme : Svoboda et Pravy Sektor.
Ce jeune chercheur qui a soutenu sa thèse en philosophie politique à l'EHESS, à Paris, enseigne à l'université de Kiev-Mohyla et dirige le département des projets européens de l'ONG Internews Ukraine.
XavierD soulignait dès les premiers commentaires à cet article que l'"ONG" Internews était financée par "les Américains" et par "George Soros". En réponse duquel débat François Bonnet rétorqua que la National Endowment for Democracy (NED), dont le nom vient immédiatement à l'esprit quand il s'agit de financement de médias occidentalistes, était une ONG comme les autres :
Quant à la National Endowment for Democracy, il ne s'agit ni d'une petite PME, ni d'une officine de désinformation mais d'une des plus grandes fondations américaines. A découvrir ici:http://www.ned.org/
On est bien sûr pas obligé d'adhérer à ses actions et points de vue mais en faire une "filiale barbouze" de la CIA est une escroquerie intellectuelle.
NED et CIA
Les rapports entre la NED et la CIA sont pourtant notoires. La NED, qui est officiellement une "fondation privée de promotion de la démocratie" a en fait repris en main certaines missions de la CIA, considérant qu'un financement par une fondation était préférable à un financement clandestin, forcément entâché de suspicion (c'est ce que montre par exemple William Blum, auteur d'une étude sur le rôle de la CIA depuis la deuxième guerre mondiale). Il est ainsi difficile d'imaginer dans ces conditions que les financements ne proviennent pas de la même source : ainsi la NED est-elle financée par le Congrès dans le volet budgétaire d'USAID, organisation qui finance de nombreux soutiens de l'occidentalisme, partis politiques, syndicats, médias, corruption de groupes de pression, "ONG". La NED bénéficie en plus de l'aide de plusieurs agences gouvernementales, de dons de grosses associations défendant la politique internationale des USA, dont l'une a un budget annuel de 800 M$. La NED a financé par exemple l'opposition vénézuélienne (notamment lors du référendum révocatoire). Des enquêtes de journalistes ont révélé qu'elle aurait été à l'origine du renversement du président Aristide à Haiti. Toutes ces informations sont approfondies dans le Wikipedia en anglais.
Euromaidan, grand mouvement de foule mêlant le drapeau de l'Union européenne à la bannière du parti national-socialiste ukrainien Svoboda
Internews : quand l'utopie libérale-libertaire converge avec les intérêts des Etats-Unis
Volodymyr Yermolenko (http://polinst.kiev.ua/download/HANDBOOK%20_EU-Ukraine.pdf) est directeur des relations avec l'Union européenne d'Internews-Ukraine.
Créée en 1982 en Californie, Internews est une association à but non lucratif financée à 80% par le budget fédéral des Etats-Unis d'Amérique (http://www.sourcewatch.org/index.php?title=Internews). Mais elle se présente comme une Organisation non gouvernementale (ONG) regroupant plusieurs agences au sein d'Internews international (on joue un peu sur les mots en confondant "non-profit" et "non-governmental").
Son gourou, David Hoffman, est un ancien hippie californien qui a juré de "sauver le monde". Tout est bon pour parvenir à ses fins. Exemple de son action au Kirghizistan où une technique de prise du pouvoir sur l'information permet sa diffusion y compris par les canaux de l'adversaire (http://www.jhu.edu/~jhumag/0605web/hoffman.html).
Hoffman se vante d'avoir soutenu en 2005 Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint de la Défense de G.-W. Bush, pour la "démocratisation de l'Irak" par l'intervention militaire américaine.
Internews intervient pour former des journalistes dans toutes les "dictatures" : Afghanistan, Algérie, Bahreïn, Bosnie-Herzégovine, Egypte, Géorgie, Kosovo, Indonésie, Nigeria, Pakistan, Territoires palestiniens, Vietnam, République du Yémen et d'autres pays.
Dans le monde russe :
Lorsque le gouvernement russe a essayé de contrôler l'information sur la guerre sauvage en Tchétchénie, les journalistes formés par Internews ont diffusé des rapports et des images de cercueils contenant des cadavres de soldats russes sur le champ de bataille. Internews a formé et soutenu Rustavi-2, une station de télévision indépendante en Géorgie qui a joué un rôle crucial dans la révolte civile 2003 qui a renversé le gouvernement géorgien.
Dès les années 90, selon le John Hopkins Magazine, Internews a été soutenue par l'Open Society Institute de George Soros, the Knight Foundation et the MacArthur Foundation.
Internews se prévaut d'avoir contribué à la chute de l'URSS. Alors que l'association était encore d'une portée limitée, Hoffman et ses amis ont décidé de trouver les ressources nécessaires pour la formation de journalistes et le soutien à la mise en place de stations de télévisions russes "indépendantes". C'est l'agence USAID (agence gouvernementale US) qui s'est proposée pour le financement. Ce réseau pouvait connecter pas moins de 600 chaînes de télévision russes "indépendantes". Jeanne Bourgault, vice-présidente des missions d'Internews, est un ancien cadre de l'agence USAID.
Internews a réuni également des subsides de la NED (National Endowment for Democracy), toujours pour soutenir des médias "indépendants" en Europe de l'Est. La NED aurait en outre donné 8 M$ pour la création et les actions d'Internews en Ukraine (dont Volodymyr Yermolenko est le porte-parole pour les médias européens).
David Hoffman reconnaît que son travail rejoint les intérêts de la politique américaine : There was now an intersection between the political interest of the U.S. and the work we were doing". Internews est ainsi confrontée au paradoxe d'être financée à 80% par l'Etat US tout en se revendiquant comme une ONG promouvant l'essor de médias indépendants. Mais Hoffman assume au contraire le soutien de l'Etat dans une perspective libérale :
Comment pouvons-nous gagner la guerre des idées ? Résistez à la tentation de contrôler le message. Comptez plutôt sur deux piliers de la démocratie américaine : la libre entreprise et la liberté des médias. Le gouvernement fédéral devrait appuyer la capacité de l'entreprise privée à relever le défi.
L'entreprise privée est plus capable de gagner les cœurs et les esprits que tout ce que les gouvernements peuvent produire. Bien qu'il y ait toujours un besoin de communication d'état pour des raisons stratégiques, l'essentiel du financement public devrait aller vers les diffuseurs privés locaux. Utilisez notre puissance diplomatique traditionnelle pour encourager et soutenir des réformes juridiques dans le monde musulman, qui propulseront ces sociétés de leur modèle anti-occidental et antisémite vers le monde moderne de la communication globale. Laissez le marché libre de réaliser ce projet.
David Hoffman (photo : Kellie Jo Brown)
Les financements d'Internews en Ukraine
Le financement d'Internews Ukraine selon son site internet :
* Etats-Unis
- USAID
- Ambassade des Etats-Unis
- Internews (USAID, NED)
- International Foundation for electoral system (financée également par USAID)
* UE
- Union européenne
- Agence suédoise contre le Sida
- Royaume des Pays-Bas
* Autres Europe
- Conseil de l'Europe
* Banque mondiale
* International media support (encore une ONG, a priori financée par les pays scandinaves)
Internews Europe, "ONG" française ou agence de renseignement hors-sol ?
Le lien vers Internews International prétend qu'Internews Europe serait une ONG française :
Internews Europe is a French non-profit organization that supports independent media around the world. Projects range from Western to Eastern Europe, Southeast Asia and Africa.
Le Ministère des Affaires étrangères détaille les activités et la structure de l'association. Avec un budget de 6,5 M € en 2010, dont 530 000 € pour les seuls frais administratifs et de personnel du siège social, elle comptait alors 17 salariés. Plus quelques bénévoles et de nombreux consultants ponctuels.
L'ONG produit des rapports dont on constate qu'il s'agit en fait plutôt d'activité de renseignement sur le marché des médias et de la communication. Ce rapport sur l'Arménie a été cofinancé en 2011 par l'agence gouvernementale américaine USAID :
Cette ONG existe-t-elle réellement en France ? Le siège social semble avoir changé très fréquemment. Le dernier changement d'adresse est déclaré en juillet 2009 au 72, rue Jeanne d’Arc, dans le 13ème arrondissement de Paris. L'association semble s'être évaporée ensuite. L'ONG est en réalité domiciliée au 38 rue Dunois, qui est une simple boîte aux lettres de domiciliation d'entreprises de la société ABCliv.
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Entre utopie, journalisme et communication, Internews est un bon exemple d'"ONG" financée par un gouvernement et par des intérêts privés au service d'intérêts nationaux. Mais il faut sans doute relativiser l'importance du rôle strictement idéologique de cette agence. Sa problématique semble en effet moins liée à la conquête de la liberté d'expression, vieil héritage des Lumières ayant fini comme simple emballage pour les produits du néolibéralisme, qu'à une stratégie de conquête du marché de l'information, en outre par la "libération" des pays jugés trop régulateurs.
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Source : sur Hoffman et la fondation d'Internews, l'article du John Hopkins Magazine: The Long, Strange Trip of David Hoffman