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Billet de blog 20 décembre 2016

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Approche de la Syrie : clés pour comprendre l'échec de l'occidentalisme en Syrie

L'Occident fait bloc en parlant au nom du peuple syrien. Mais que veut l'Occident et qui sont les Syriens ? Comment comprendre ce qui apparaît comme un échec majeur et inédit de l'occidentalisme ?

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Le rôle de l'occidentalisme

Il y a d'abord une immense responsabilité des occidentalistes, dans la veine néoconservatrice, pour avoir ignoré toute solution politique en Syrie. Par exemple en refusant de négocier avec l'ensemble des parties belligérantes ou en fermant les ambassades syriennes à l'étranger il y a quatre ans. Ce geste symbolisait la mise entre parenthèses de la diplomatie. Signe de la fébrilité du camp occidentaliste et des anciennes puissances coloniales, qui tenaient toujours le haut du pavé depuis 1945. Mais c'était aussi la porte ouverte à la barbarie car, par conséquent, la solution ne pouvait être que militaire. L'intervention russe n'était pas inéluctable mais était rendue nécessaire. Elle a eu lieu parce qu'elle était possible.

Le problème qui met une partie de l'opinion en émoi, vivement encouragée par le ciblage du système d'information sur Alep, c'est que le clan néocon qui avait fait le pari de la guerre et du "regime change" (renversement du chef de l'Etat syrien) a perdu une bataille à Alep. Et il n'en a pas l'habitude, ayant pu détruire les états irakien et libyen et éliminer leurs dirigeants sans veto, ni de la Russie ni de la Chine. Seul Jacques Chirac avait pu s'opposer à la guerre en Irak, mettant en fureur l'establishment politique de la droite et du Parti socialiste.

Aussi, il n'y avait pas de raison de penser que la Syrie ne subirait pas les mêmes assauts et les mêmes mensonges. Car ces interventions ont toujours été décidées - à l'ONU ou non - sur la base de mensonges "humanitaires" : les supposées attaques aériennes de Khadafi contre des manifestants ou contre Benghazi ; pour l'Irak, l'affaire des armes de destruction massive ou des couveuses. A chaque fois, l'interventionnisme repose sur des mensonges destinés à gagner le soutien des opinions publiques occidentales. C'est pourquoi la focalisation sur Alep doit éveiller l'esprit critique.

Mais la situation est étrange puisque le mensonge est rendu cette fois-ci inutile à cause du rôle de la Russie. Aucune intervention occidentale directe n'est cette fois possible. Le bobard humanitaire tourne à vide. Mais il sert les intérêts des néocons qui, en Europe, veulent trouver une justification à un harcèlement de la Russie à ses frontières.

Dans le débat biaisé organisé par Mediapart le 14 décembre, les intervenants ont assuré qu'aucune puissance étrangère ne comptait en Syrie. Pour oser dire cela (sans contradicteur), il faut avoir oublié 15 ans de guerre dans la région, la présence de Daech et des mercenaires djihadistes soutenus par le Qatar, l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Chose presque amusante, cette suggestion des invités de Mediapart intervenait au moment même où Obama levait les restrictions sur les livraisons d'armes sur la Syrie (le 8 décembre) et où un projet de loi à la Chambre des représentants, déposé par les Démocrates progressistes pro-Sanders, vise à interdire le soutien aux terroristes dans le cadre de la politique américaine de "regime change" en Syrie.

La modernité syrienne (*)

La guerre en Syrie soulève de nombreuses questions intéressantes. En premier lieu, qui sont les Syriens ? On n'en parle guère. Le paradoxe, qui fait toute la complexité, c'est que la modernité démographique, sociale et culturelle du pays est plutôt située du côté des communautés syriennes qui soutiennent Bachar el Assad.

C'est pourquoi il n'y a pas eu de révolution syrienne comparable à celle de la Tunisie ou de l'Egypte. Aucun régime ne peut résister à ce genre de mouvement historique, mais l'une des conditions du succès de la révolution est le ralliement de l'armée aux insurgés. Ce qui ne s'est pas produit en Syrie, en dépit du fait que l'armée est très majoritairement composée de sunnites. On nous présente souvent cette guerre comme une révolte de la masse sunnite qui, effectivement, représente 64% de la population.

L'Etat syrien a la particularité de reposer en grande partie sur les élites issues des minorités du pays. En premier lieu le chef d'Etat Bachar El Assad, issu de la communauté allaouite (une variante du chiisme). Or il apparaît que ces minorités sont nettement "en avance" du point de vue de la modernité démographique par rapport aux masses sunnites du centre du pays (le rapport ville-campagne est de 50%). Avec notamment une condition féminine proche des standards occidentaux et ce qui s'ensuit, un faible taux de fécondité, en dépit de la politique nataliste de l'Etat. C'est ainsi que le taux de fécondité est de 2 enfants par femme en région allaouite - celle de Bachar (comme en France) mais de 3,8 à Alep (coeur de la rébellion) et de 5,4 à Rakka (fief de Daech). On peut presque lire les divisions de la Syrie et les disparités géographiques de la condition des femmes à travers ses taux de natalité.

Pour venir appuyer ce sentiment, le démographe observe à l'Ouest du pays, qui globalement est toujours resté sous contrôle de l'Etat syrien pendant tout le conflit, des "restes de matrilocalité", une meilleure répartition de l'héritage entre frères et soeurs (favorisée également par le chiisme). Au contraire, le centre du pays est considéré comme une zone de patrilinéarité absolue, qui "bloque" la natalité au-dessus de 3 enfants par femme (caractéristique déjà observée au même endroit à l'époque assyrienne, donc antérieure à l'islam sunnite).

Il n'existe pas seulement des disparités entre communautés mais également au sein du monde sunnite, qui n'a aucune cohérence d'ensemble. Il existe par exemple un folklore opposant sunnites de Damas et sunnites d'Alep. Là encore le taux de natalité montre "l'avance" des sunnites de Damas.

Les différences sont donc moins "religieuses" que démographiques et géographiques. L'approche démographique permet de suggérer que la rébellion dans ses aspects actuels et dans la mesure où elle existe en dehors de toute pression extérieure, et même en faisant abstraction de sa dimension religieuse, est portée par des forces sociales plutôt archaïques. On comprendra alors pourquoi elle sert davantage des intérêts extérieurs qu'elle n'est capable de proposer un projet politique pour la Syrie.

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(*) Voir Y. Courbage - E. Todd, Le rendez-vous des civilisations, 2007.

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