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Billet de blog 27 janvier 2014

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Instabilité politique en Amérique latine : l'exemple du Mexique

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Le mouvement d'autodéfense contre un cartel de la drogue, qui émerge depuis un an dans l'Etat du Michoacan, au Mexique, prend une tournure dramatique depuis quelques semaines. 10.000 à 25.000 combattants, venus d'horizons variés, toutes classes confondues, se battent armes à la main contre les hommes du cartel, mais aussi contre les polices, corrompues et complices de la criminalité et désormais également contre l'armée fédérale venue les désarmer. De nombreuses interprétations au sujet de ce mouvement sont possibles, car, comme dans l'armée de Pancho Villa, il y a un siècle, les autodefensas comptent autant d'honnêtes gens que de hors-la-loi. 1 Ces événements soulèvent avant tout la problématique du rôle de l'Etat dans le système politique fédéral mexicain et plus généralement latino-américain.

Illustration 1
autodefensa

Le rôle social du cartel des Chevaliers Templiers

Dans le quotidien La Jornada, l'ethnologue Salvador Diaz Sanchez 2 conteste l'idée d'un mouvement motivé par des oppositions de classe, annonciateur d'une guerre civile ou autonomiste. En fait, il apparaît, selon l'américaniste Romain Le Cour Grandmaison 3 que le cartel des narco-traficants, “Caballeros templarios” (Chevaliers templiers) joue, au-delà de sa fonction criminelle notoire, un rôle d'encadrement social de la population. Ce n'est pas sans évoquer le rôle des groupes islamistes au Moyen-Orient : des organisations paramilitaires, plus ou moins complices d'un Etat structurellement faible, financées par un système d'économie parallèle (souvent la drogue) et jouant un rôle social auprès de la population. 

Le mouvement autodefensas révèlerait en fait l'échec du cartel sur le plan de l'encadrement social, dans un contexte où l'Etat ne joue pas son rôle. Observons que l'émergence des cartels au Mexique suit de près la signature de l'ALENA, traité de libre-échange signé avec les USA et le Canada en 1994, qui a imposé des politiques néo-libérales de réduction des dépenses publiques.

Le rôle de l'Etat dans une société structurée horizontalement

Les autodefensas et les cartels sont l'expression d'un même fonctionnement horizontal de la société, qui prédomine du fait de la faiblesse structurelle de l'Etat. La modeste place de l'Etat dans la société est définie par son organisation fédérale ou par la grande autonomie des régions, dans le reste de l'Amérique latine (ou en Espagne). La prépondérance du système horizontal favorise l'organisation horizontale, paramilitaire, qu'il s'agisse des cartels, des guérillas, des escadrons de la mort, qui se substituent aux fonctions régaliennes, à la violence légitime de l'Etat. Ainsi l'article 2 de la Constitution mexicaine de 1917 prévoit-il que l'Etat peut abandonner ses prérogatives, y compris de violence légitime, aux coutumes locales.

L'instabilité politique liée à la nuance égalitaire du système

La grande stabilité politique du système fédéral des USA est rendue possible par un psychisme indifférent à l'idée d'égalité 4. Il s'agit d'un système libéral absolu, héritage des fondateurs, protestants, de cette nation : l'idée de "peuple élu", portée par le protestantisme, induit l'idée d'inégalité entre les hommes, comme le révèle l'organisation sociale ségrégationniste ou la volonté d'exterminer les Indiens (plutôt que de choisir le métissage).

L'instabilité politique du système latino-américain est la conséquence de la nuance égalitaire de son tempérament libéral. La contrainte de l'égalité introduit des éléments psychiques contestataires dans le système libéral. Ce système produit, en situation de conformisme, des parodies de comportements autoritaires ou "révolutionnaires" de la part d'un Etat qui a en fait peu de pouvoirs. Ce conformisme est particulièrement bien illustré par la dénomination du parti dominant : Parti révolutionnaire institutionnel (PRI).

La structure horizontale permet l'émergence de mouvements de "droite" ou de "gauche" qui prennent une tournure révolutionnaire ou criminelle et dont les rapports à l'Etat sont ambigus. L'affaiblissement de l'idée égalitaire depuis la signature du traité de libre-échange au Mexique entraîne une dérive criminelle. Au contraire, son renforcement aboutit à des progrès sociaux spectaculaires dans les pays d'Amérique latine dont le premier acte de souveraineté, au début des années 2000, fut de dénoncer le traité de libre-échange les liant aux Etats-Unis.

Diaz Sanchez a probablement raison de dire que le mouvement du Michoacan ne constitue pas une tentative de révolution sociale et ne débouchera pas sur une guerre civile. Il est au contraire constitutif du modèle spécifique de ce système anthropologique. Les autodefensas, selon les termes d'une négociation avec l'état fédéral et l'état du Michoacan finiront par être intégrés aux polices communautaires, ce qui n'empêchera pas l'émergence d'autres mouvements de ce genre.

Il est enfin important de souligner que le bouillonnement politique général des nations latino-américaines est dû également à un important dynamisme éducatif de rattrapage (alphabétisation, passage accéléré à l'enseignement secondaire voire supérieur), bien visible dans les révolutions bolivariennes. Les soulèvements récents au Venezuela révèlent également les conceptions inégalitaires (sous une forme plutôt raciste) d'une partie des classes moyennes qui rejettent l'entrée à l'Université des nouveaux étudiants issus des classes populaires arrivés dans le cadre du programme de planification éducative impulsée par le chavisme 5.

Notons aussi un élément de dynamisme démographique lié à la présence de classes d'âge jeunes nombreuses : l'âge médian est de 27 ans au Mexique et au Venezuela, de 34 ans aux USA, de 46 ans en Allemagne. 

Illustration 3

Détournement de la publicité pour une marque de glace du Michoacan lors de l'épisode des "Autodefensas"

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1 Lydiette Carrión, "Ex militares y ex templarios, en autodefensa", El Universal, 23 janvier 2014.

2 Salvador Díaz Sánchez, ¿Guerra civil o insurrección de la burguesía?, La Jornada de Oriente, 15 janvier 2014.

3 Romain Le Cour Grandmaison, Groupes d’autodéfense, cartels et reconfiguration du territoire dans le MichoacanNoria, 30 septembre 2013.

4 Sur la définition des systèmes anthropologiques libéraux et la distinction entre différentialisme anglo-saxon et homme universel "latin", on se reportera à Emmanuel Todd, Le destin des immigrés, assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, 1994.

5 MAJ 2017.

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Sujet connexe sur ce blog : Les dames de charité du cartel des Chevaliers Templiers (Michoacan)

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