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Billet de blog 29 mai 2014

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La France et l'Europe, après la démocratie

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Le scrutin européen du 25 mai 2014 aura été un grand moment de soulèvement populaire contre l'Union européenne. Confirmant une divergence structurelle entre l'idée européenne et la démocratie, le taux d'abstention en France se stabilise autour de 60 %. Tandis que celui des pays de l'Est oscille toujours entre 70 et 80%.

Affiche d'un mouvement de boycott des élections européennes en France

Selon Jacques Sapir, spécialiste des économies du continent européen et euro-asiatique, il s'agit d'un rejet massif de l'UE :  Les gouvernants sont confrontés à l’équivalent électoral d’une insurrection contre l’Union européenne  : 

"En France, ces résultats traduisent ...un rejet massif des institutions européennes, radicalement contestées par 35% des votants, et une crise particulière dans différents partis. (...) le PS devrait poursuivre sa marche à la destruction en raison de la politique qu’il continue à mener. Il y a une obstination suicidaire dans la persistance des thèmes de la rigueur chez Manuel Valls. Mais, deux faits retiennent l’attention :

- Le parti écologiste EELV paye très lourdement et son européisme béat et ses palinodies.

- Le Front de Gauche a été dans l’incapacité de capitaliser sur le rejet du PS et sur l’immense colère qui monte dans les classes populaires. Il le doit au manque absolu de lisibilité de sa ligne politique, ce qu’a reconnu courageusement l’un de ses deux co-présidents, Jean-Luc Mélenchon. Mais, il doit surtout à l’incompréhension profonde de ce que représente la Nation, tant dans la réalité que dans l’imaginaire des Français. Soit il connaîtra dans les semaines qui viennent une rupture culturelle fondamentale, un « moment Chevènement » le conduisant sur une autre trajectoire, soit il est condamné à dépérir."

Sapir précise les nouveaux rapports de force en France :

- les fédéralistes (MODEM/UDI, EELV) passent de 24,7% des suffrages en 2009 à 18,7%.

- Les « euro-résignés » (PS, UMP) de 44,4% à 35%.

- Les « eurosceptiques » (DLR, FdG, FN) passent de 13,5% à 35,6%.

Le PSE remercie ses électeurs (source : compte twitter officiel du PSE - 13:37 - 26/05/2014)

Ailleurs :

- Triomphe de UKIP en Grande-Bretagne et d'une nouvelle formation eurosceptique au Danemark (27,5% des voix), de Syriza en Grèce (26,5%).

- En Italie, les eurosceptiques (M5S, Forza Italia - qui a récemment basculé dans ce camp et la Ligue du Nord) dépassent en fait le score du PD de Renzi.

Selon Jacques Sapir, la situation conforte le point de vue avancé depuis fort longtemps par Jean-Pierre Chevènement : "C’est Jean-Pierre Chevènement qui a porté, depuis maintenant plus de quarante ans dans la politique française, la double aspiration d’un « Etat Social » et d’un Etat-Nation. Toutes les pleureuses de la « gauche » officielle, qui aujourd’hui se lamentent sur le score du Front National et nous cassent les oreilles avec leurs sanglots imbéciles, devraient avoir le minimum d’honnêteté de le reconnaître. La pensée de Jean-Pierre Chevènement ne s’est d’ailleurs pas limitée à cette double aspiration à plus de protection et plus de Nation. Il a très finement analysé la dialectique des relations franco-allemandes et la logique de destruction de l’Europe à laquelle nous conduit la logique de l’Union européenne. Il parle aujourd’hui d’un « vote d’exaspération ». La formule est juste. Mais il faut se souvenir que ce qui vient après l’exaspération, c’est la colère et la violence."

"Mainhattan" (Francfort), siège de la gouvernance de la monnaie unique européenne

L'historien démographe Emmanuel Todd nous propose de prolonger cette analyse en explorant les pistes probables d'évolution de l'Europe. Il constate l'état de décomposition de l'Union européenne, qui est devenue un véritable "sac de pommes de terre" dans lequel chaque nation s'agite séparément comme elle le peut. On peut d'ailleurs se demander si la déstabilisation de l'Ukraine n'est pas un écho de cette décomposition de l'UE :

"Certains Européens ont foutu le feu à l'Ukraine, donnant des encouragements à l'extrême droite. Le point commun un peu ironique qu'on peut trouver entre l'Ukraine et l'Europe, c'est que ce sont deux systèmes en désintégration, l'Ukraine étant bien sûr dans un état de décomposition plus avancé. En intégrant la question russe (à travers la situation ukrainienne) dans la question européenne, c'est comme si on vivait le match retour de 1990 et la dissolution de l'URSS. Aujourd'hui l'Europe se désintègre, alors que la Russie est retombée sur ses pieds et se relève (ce que nous n'avons pas vu, en particulier à cause de la désinformation pratiquée par le journal Le Monde)."

2010, carte des dernières élections présidentielles reconnues par toutes les parties de l'Ukraine

Au sein de l'Union européenne, "on est dans une situation impossible. La monnaie unique ne marchera jamais. C'est un contre-temps historique : les nations sont devenues les pôles de résistance à la dureté de la situation économique. Le problème vient d'une autre impossibilité : les dirigeants européens et en particulier français n'accepteront jamais de tenir compte de la réalité."

"C'est pourquoi je regarde si attentivement vers l'Ukraine. L'Europe, dans un mouvement expansionniste, est peut-être allée chercher sa mort en Ukraine. Celle-ci va continuer à se désintégrer (ce qui est également visible dans les indicateurs démographiques) et ce sera à cause de l'Europe et non de la Russie. L'Allemagne veut lui "piquer" sa main d'oeuvre qualifiée quoiqu'il arrive, quand la Russie se contentait de vouloir contrôler une partie de l'Ukraine pour la "retaper"."

"Dans la partie orientale de l'Europe (Pologne, Ukraine, Roumanie), les gens ne s'intéressent pas au monde. C'est une zone de violence, de non-construction étatique (où l'élite, juive, d'avant-guerre, a été exterminée). Quelque chose de maléfique est en train de se préparer là-bas."

Une disputation judéo-chrétienne (Johannes von Armssheim - 1483)

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 Sources :

- Jacques Sapir, Stupeur et tremblement, 26/05/2014

- id., Le moment Chevènement, 28/05/2014

- Emmanuel Todd, L'Europe, après la démocratie, France culture, 26/05/2014

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