Ce genre de décision n'est pas fréquent en Europe de l'Est, où il n'est pas rare que des hommages officiels soient rendus à d'anciens dignitaires nazis.
L'Allemagne, la Pologne, l'Ukraine, les Pays baltes représentent un système en soi. Non seulement parce que l'Europe de l'Est est devenue la "Chine" de l'Allemagne, grâce aux bas salaires, mais aussi parce qu'ils partagent une histoire commune, ayant été rattachés au bloc soviétique après la Deuxième guerre mondiale après la défaite du nazisme. Mais, si le communisme s'est bel et bien évaporé à la fois comme réalité et comme projet historique, le nazisme, qui lui préexistait dans ces régions, a subsisté. Il a réémergé dès la dissolution de l'Union soviétique : en Ukraine, le parti national socialiste est reconstitué en 1991 par Oleg Tianibok et Andrei Paruby, actuel Président du Parlement ukrainien.
Le nationalisme ukrainien, arrivé au pouvoir par le coup d'Etat de février 2014, se réclame de l'héritage historique de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), une armée d'environ 150 000 hommes, fondée en 1942 par Stepan Bandera. Les statues de Bandera à l'Ouest de l'Ukraine, qui ont remplacé celles de Lénine, rendent hommage à celui qui combattit les Soviétiques sur le Front de l'Est aux côtés de la Wehmacht sous l'uniforme de la "Légion ukrainienne". L'UPA participa à la "Shoah par balles", l'élimination de près d'un million de Juifs ukrainiens. L'UPA est également responsable des massacres de la Volhynie, 80 000 polonais exterminés entre 1942 et 1944. Un fait reconnu comme "génocide" par la Diète polonaise depuis le 22 juillet.
La Pologne n'est pourtant pas totalement étrangère au tempérament anarchiste de l'UPA. L'objectif de l'UPA n'était pas de collaborer automatiquement avec les nazis allemands, mais officiellement de résister à tout envahisseur. Les troupes de SS spécialisées dans la lutte contre les guérillas ont du reste combattu l'UPA dans la région de la Volhynie pour se débarrasser d'un allié encombrant. Néanmoins, le ton était donné dès 1941 par Andrei Melnyk, "Européen", animateur de l'OUN-UPA aux côtés de Bandera :
« Le peuple ukrainien comme aucun autre, lutte pour sa liberté, l’âme imprégnée des idéaux de la nouvelle Europe. Le désir du peuple ukrainien est de participer à la mise en œuvre de ces idéaux. Nous, vieux combattants de la liberté des années 1918-1921, vous demandons de nous faire l’honneur d’accepter la participation de la jeunesse ukrainienne à la croisade contre la barbarie bolchevique. Nous demandons de nous permettre de marcher coude à coude avec nos libérateurs de la Wehrmacht et d’établir pour cela une force de combat ukrainien. »
En 2014, le coup d'Etat réalisé par les héritiers directs de l'UPA en Ukraine a réjoui de nombreux "Européens". En Pologne, Lech Walesa, l'un des activistes historiques les plus actifs dans la lutte contre les communistes, a décoré Oleg Tianibok du prix “Pour le rétablissement de la stabilité politique et le désir d’apporter la justice sociale”.

Rassemblement en hommage aux combattants de l'OUN-UPA à Karkov en octobre 2014
La décision de la Diète de qualifier les massacres de la Volhynie de "génocide" a provoqué un coup de froid entre la Pologne et le régime au pouvoir à Kiev. Petro Porochenko, le président ukrainien, a exprimé ses "regrets" en termes diplomatiques. Pour lui, les combattants de l'UPA sont "un exemple d'héroïsme et de patriotisme pour l'Ukraine".
Selon Radio Free Europe, cette décision pourrait être utilisée contre son régime, impliqué dans le meurtre de milliers d'Ukrainiens dans l'Est du pays (officiellement 9 400 morts). Porochenko a également appelé à la réconciliation et au pardon entre les deux nations.

Palissade placée devant la Bourse du travail d'Odessa, repeinte aux couleurs de l'UPA (et de Pravy Sektor) à l'automne 2015.
C'est ici qu'une centaine de Russes furent massacrés par les nationalistes en mai 2014.
(Photo par les auteurs, le groupe Automaidan, fondé par Dmytro Bulatov, ministre de la jeunesse et des sports du premier gouvernement Iatseniouk)
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Voir : Poland's Parliament Declares Volyn Massacres ‘Genocide,' Ukraine Laments Move