(Pour relire notre première note sur le sujet c’est ici.
Après les plans successifs de communication égrenés par le gouvernement pour nous enjoindre à la sobriété (sortie du ministère à vélo, cols roulés, wi-fi ou climatiseurs), nous voulons continuer à attirer l’attention sur la surconsommation indécente des ultra-riches. Au moment où le gouvernement explique qu’il faut de la solidarité entre les générations pour préserver notre modèle social avec sa réforme des retraites “juste” et “nécessaire”, il est bon de rappeler que les ultra-riches ne sont jamais concernés par l’effort collectif. Cette note est un nouveau jeu de cache-cache encore une fois avec le yacht de Bernard – le Symphony – et nous démontre encore une fois que les riches, dans leur consommation et dans le rapport qu’ils ont à la planète, n’ont et n’auront jamais à cœur l’intérêt collectif. Rappelons quelques éléments issus de notre jeu avec le Symphony : si l’on doit résumer notre mois de décembre, c’est avant tout la suite d’un jeu banal mais sur un terrain de jeu hors du commun. Jouer au chat et à la souris MAIS en mer et avec une souris pas comme les autres. Cette souris, c’est le “Symphony”, méga-yacht et propriété de Bernard Arnault, PDG de LVMH et accessoirement multi-milliardaire, récemment devenu l’homme le plus riche du monde. Après avoir perdu la trace du méga-yacht, nous avons réussi à le retrouver et à retracer son itinéraire pendant les fêtes. Le but de cette note est de vous raconter cette petite aventure qui va nous révéler que ces trajets ont rejeté des quantités considérables de CO₂ et consommé des quantités astronomiques de diesel – c’est encore pire qu’au mois de septembre.
Retour sur la suite de notre aventure avec le Symphony (mais pas que !) qui nous permet de poser un constat simple : les méga-yachts sont dangereux pour l’environnement et une aberration en termes d’utilisation des ressources à l’heure où il nous est demandé de la sobriété dans nos consommations et nous montre que les milliardaires n’ont jamais à cœur l’effort collectif, notamment demandé au plus grand nombre et aux plus précaires pour “sauver notre système de retraites”.
Intro :
En pleine bataille sur la réforme des retraites, les milliardaires sont pointés du doigt parce qu’ils symbolisent l’inégalité croissante des richesses dans le pays. Comment expliquer que les fortunes s’accumulent d’un côté alors qu’on demande encore et encore des “efforts” ayant un impact terrible sur notre quotidien et particulièrement sur la santé des plus précaires de notre société ? Quel lien entre suivre le méga-yacht de l’homme le plus riche de France – pardon, du monde ! – et cette bataille des retraites ? L’indécence et l’inutilité des milliardaires. Cette note joue à cache-cache encore une fois avec le yacht de Bernard – le Symphony – et nous démontre encore une fois que les riches, dans leur consommation et dans le rapport qu’ils ont à la planète, n’ont et n’auront jamais à cœur l’intérêt collectif.
À la recherche du Symphony perdu, journal de bord
Pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi, nous avons joué à cache-cache avec le yacht de Bernard au mois de septembre dernier. Après une longue croisière d’un mois en Croatie et à Venise, le Symphony aura lâché pas moins de 1250 tonnes de CO₂ (pour la note complète, c’est ici). Nous avons ensuite malheureusement perdu la trace du navire, après avoir quitté Barcelone, a pris la direction de Nice. L’aventure aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans compter sur une communauté mobilisée et notre goût immodéré pour le grand luxe sur mer. Cette nouvelle aventure, nous l’avons nommée :
On a (re)joué au chat et à la souris avec le méga-yacht de Bernard : à la recherche du Symphony perdu mais pas tant que ça finalement.
Vous trouverez ici les différentes étapes de notre suivi du Symphony via notre journal de bord :
- Tout (re)commence en novembre 2022, où nous nous décidons pour l’appel à témoin afin de nous aider à retrouver le Symphony et à le suivre.
- Mi-novembre, première bonne nouvelle : Le Symphony est localisé à Barcelone, dans une zone où œuvrent des entreprises qui font l’entretien de gros yachts. Pas étonnant qu’une petite escale technique soit nécessaire après le voyage gourmand du mois de septembre.
- Le 20 novembre 2022 : passage d’un satellite haute résolution au-dessus du port de Barcelone, qui nous confirme que oui ! c’est bien le Symphony ! Coucou !
- 21 novembre : On perd sa trace…
- 1er décembre : La communauté YachtCO2Tracker est bien présente, et une personne nous envoie une photo du bassin… Vide, complété par l’info du 2 décembre : l’AIS du Symphony pointe à Gibraltar. Le carénage est bien fini.
- Le 3 décembre, maintenant bien retapé, on peut recommencer à jouer : avec un départ de Gibraltar, le Symphony met le cap à l’Ouest. Osera-t-il traverser l’Atlantique ?
- 18 décembre : arrivée du Symphony à St Martin. Il a osé.
Pour cette traversée on est sur du 1800 t de CO₂ rien que sur cette traversée là…
- 21 décembre 2022 :Le navire est maintenant mouillé par loin de l’aéroport de St Martin où se posent les jets privés. Est-ce qu’on attend un VIP ?
- 23 décembre : il faut bien 2 jours pour se remettre du décalage horaire hein !
Et go faire la douane à Tortola puis pause à Norman Island.
En vrais « pirates », ces matelots ont coupé leur AIS.
Heureusement il y a Instagram et les satellites (la commu’ YCT encore au top : on reçoit plusieurs photos ! )
- 24 décembre : On ne sait pas ce que papa noël a apporté dans sa hotte ? Nous, il nous a fait cadeau d’un sacré gros bout de charbon, on est déjà à plus de 2000 tonnes de CO₂ sur la croisière.
- 27 au soir : Enfin St-Barthélémy ! Le Symphony mouille à moins de 1 nm de la boutique Louis Vuitton de St Barth. Prêt pour la teuf annuelle des milliardaires.
- (C’est d’ailleurs pas loin de la Villa Pamplemousse, vous savez, celle que la justice a saisie pour payer les amendes des Balkany ?
Ne pleurez pas trop hein, il leur reste quand même 13000 € de retraite/mois)
- plusieurs photos entre le 28 et le 31 (Instagram en est plein, on ne les recopie pas ici mais elles sont disponibe)
- 31 au soir : Grosse teuf chez les milliardaires. Et puis c’est une belle tradition : chaque année ils traversent les océans en cramant des tonnes de diesel à St-Barth pour se raconter à quel point ils sont géniaux. Avant de rentrer chez eux, rassurés.
- 2 janvier : rien à signaler, du coup on formule l’hypothèse hautement scientifique qu’ils sont arrachés et savent plus où ils habitent (le Moët ça fait mal à la tête)
- 3 Janvier départ de St-Barthélémy, AIS coupé. En route pour les petites Antilles. Ce sera le 4 janvier en Guadeloupe, le 6 en Dominique et le 7 retour à St-Barth.
- 8 janvier : Retour à St-Martin, pour l’aéroport, fin des vacances ?
- On perd ensuite la trace du navire. Mais on ne doute pas de le retrouver bientôt, mais ça permet de faire les comptes!
Quel est le bilan de ce deuxième épisode ?
Réponse : 2800 tonnes de CO₂ en ne comptant que l’aller simple.
Mais si on considère que tôt ou tard, le Symphony ira parader en Méditerranée, alors on sera dans les 4000 tonnes de CO₂.
On vous redonne quelques ordres de grandeur, comme on l’avait fait pour le premier épisode, et ça donne ça :
2800 tonnes de CO₂ c’est :
- 16 800 fois plus que le budget CO₂ moyen d’un.e français.e pendant le mois de septembre.
- C’est autant que ce qui serait économisé par un peu plus de 62 200 foyers français qui baisseraient la température de leur appartement pendant 1 an , d’après les chiffres de l’ADEME.
4000 tonnes de CO₂ c’est l’équivalent de
- 24 000 fois plus que le budget CO₂ moyen d’un.e français.e pendant le mois de septembre.
- C’est autant que ce qui serait économisé par un peu plus de 89 900 foyers français qui baisseraient la température de leur appartement pendant 1 an, d’après les chiffres de l’ADEME.
Nous sommes désolé-es de ne pas avoir de meilleures conclusions que cette réalité triviale :
Un milliardaire aime prendre son méga-yacht pour se mettre une murge à l’autre bout du monde, et en faisant cet aller-retour, il crame les efforts de TOUS les habitant-es d’une ville comme Ajaccio qui baisseraient la température à leur domicile.
2 milliardaires, chacun sur son méga-yacht (bien sûr, on partage pas hein) ruinent les efforts de la ville de Lille.
Si à Lyon, tout le monde fait des efforts sur son chauffage, ça sera cramé par 6 milliardaires.
À Marseille ? 9.
À Paris ? 24. De quoi faire un match de foot…
Rassurez-vous, le Symphony n’est pas notre seul passe-temps ;) !
Si nous mettons la loupe sur le Symphony, c’est parce que c’est celui du riche le plus riche du monde des riches, mais aussi parce qu’il est représentatif des us et coutumes des autres méga-yachts. Mais ce n’est pas pour autant que nous ne nous intéressons pas aux autres méga-yachts. Cette fois, on suit aussi tous les autres yachts qui sont passés par St Martin, Antigua, St Barth au nouvel an.
Il faut savoir que depuis des années, les plus gros yachts du monde se réunissent sur l’île française de St Barthélémy pour le nouvel an au “St Barth superyacht showdown” Seulement, ces méga-yachts sont en général en méditerranée pendant l’été. Alors pas le choix, il faut les faire traverser l’Atlantique pour une semaine de vacances, puis demi-tour…
On notera d’ailleurs que personne ne cite le Symphony dans les différents articles sur le sujet alors qu’il a “photo bombed” la moitié des photos de yachts de St Barth sur Instagram. (C’est un peu le “Jean Claude Duss” des yachts. Il est sur toutes les photos de vacances mais personne n’en parle).
Cette année, on a regardé quels étaient les superyachts présents dans cette zone au mois de décembre et on a suivi leur parcours à rebours dans le temps pour savoir d'où ils venaient et pour mieux comprendre combien ça nous coûte en termes de pollution.
- On a trouvé 117 yachts de luxe de plus de 40 mètres dans ce cas.
- La plupart (71%) venaient de Méditerranée, le reste majoritairement de la côte Est des USA.
- Sur ces 117 bateaux, plus de 90% battent pavillon de paradis fiscaux, (surtout Malte et les Iles Cayman).
Au total, ils ont cramé environ 43 millions de litres de gasoil et émis 132 000 tonnes de CO₂ pour venir participer à leur petite sauterie.
En moyenne 1100 tonnes par yacht, mais ça monte à plus de 5000 t en tout pour des gros yachts comme le Rising Sun. Vous savez, celui avec un TERRAIN DE BASKET à bord.
Pour bien se rendre compte de ce que cela représente 132 000 t de CO₂ :
- C’est 55 milliards de km
- 1,37 millions de tours du monde, ou 5 aller retour Terre-Pluton.
- L’équivalent d’une ville de 2.9 millions d’habitants qui baisse son chauffage de 1° pendant 1 an…
Et tout ça pour quoi ?
Voilà la question qu’on se pose : très concrètement, à quoi cela sert-il de se retrouver à St Barth pour ensuite se rejoindre probablement en jet à Davos la semaine suivante ?
Le seul objectif est-il vraiment de traverser l'Atlantique aller-retour pour pouvoir boire une bonne bouteille pour la nouvelle année ? Et probablement rester sur son yacht, parce qu’il n’y a pas de terrain de basket ou de spa dans les Antilles hein ?
L’occupation de l’espace, leur manière de vouloir gaspiller leur argent de manière si absurde et futile simplement parce qu’ils peuvent le faire – et en cela se démarquer du reste du monde - est une aberration. Il n’y a là aucune conscience écologique ; ce qui est finalement assez logique, puisqu’il n’y aucune éthique à leur mode de vie et leur conception de ce que veut dire “faire société”.
Et finalement, on retrouve la même logique de la violence sociale dans l’égoïsme écologique dont ces milliardaires font preuve à travers leur utilisation de ces méga-yachts : si je peux le faire, pourquoi m’en priver ? Et ce, quel que soit le coût environnemental.
Nous reposons ici une question que nous espérons voir dans le débat public : être milliardaire nous donne-t-il le droit (ou plutôt le passe-droit, le privilège) non plus seulement de polluer, mais d’ultra-polluer ?
L’argument du “mérite” qui est constamment mis en avant pour les milliardaires (qui rappelons-le, sont soit héritiers, soit d’accord de piller les ressources, soit d’accord de trouver les failles dans nos systèmes – faisant fi de toute morale vis-à-vis du reste de la société) veut-il dire qu’on est exempt de lutte contre le réchauffement climatique, et pire, qu’on rend les efforts collectifs encore plus difficiles, voire impossibles ?
Est-ce acceptable que le Symphony, pour son plaisir du réveillon, rende caduque les efforts d’une population équivalente à la ville d’Ajaccio qui aurait accepté de baisser son chauffage pendant 1 an ?
À l’heure de l’immense défi de notre société face au dérèglement climatique – dans lequel nous sommes déjà – comment peut-on tolérer cela en tant que responsable politique ? N’est-on pas au cœur d’un mépris de classe (les masses feront l’effort pour que les riches n’aient pas à le faire) et d’une déconnexion proche du climato-scepticisme (ne pas comprendre l’urgence et le fait que tout le monde est concerné, sans exception) ? D’autant plus qu’il n’est plus à prouver que les pratiques des plus riches sont les plus polluantes.
Et à la réponse “oui mais ils s’en iront si on régule/interdit”, et alors ? et simplement : ces méga-yachts ne sont pas immatriculés en France de toute façon, donc quitte à ce que ces ultra-riches passent par des sociétés écrans ailleurs qu’en France, pourquoi devrions-nous tolérer leurs obscénités sur nos côtes ? La mainmise sur les espaces littoraux, la pollution inhérente à ces énormes machines, et le fait de cautionner leur exploitation des travailleurs qui ne sont pas soumis au code du travail français.
Les usagers de méga-yachts, c’est un groupe de gens avec un pouvoir immense, que ce soit en termes de financement de l’économie ou en termes de financement de partis/campagnes politiques. A quel moment c’est une bonne idée de les laisser avec autant de pouvoir tout en étant hors sol à ce point ?
Liens :
Les calculs de comparaison chauffage/émissions de CO2 considèrent les données démographiques de 2019, il y a en moyenne 2,19 personnes par foyer en France : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381486.
Reims a une population d’environ 180 000 habitant-es.
Le superyacht showdown de St barthelemy : https://www.boatinternational.com/yachts/news/superyachts-in-st-barths-new-years-eve
Annexes :
Nombre de navires impliqué : 117
Total gasoil consommé (l) : 42616735.2
Total CO₂ émis (t) : 131909
Plus gros consommateur : RISING SUN
émissions du + gros consommateur (t) : 5598
Classement des plus gros pavillons émetteurs (par nombre de navires)
1 er: Cayman Islands 67 navires
2 e: Malta 16 navires
3 e: Jamaica 9 navires
4 e: Marshall Islands 7 navires
5 e: United Kingdom 5 navires
6 e: Isle of Man 4 navires
7 e: Bermuda 4 navires
8 e: Luxembourg 1 navire