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Billet de blog 12 mai 2024

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Greenwashing et misogynie : Cannes à nouveau dans le viseur de yachtco2tracker

Nous sommes de retour à Cannes pour une deuxième année ! Où en sommes-nous de la prise de conscience de ce festival sur les rapports de domination de notre monde ? (Spoiler : pas bien loin…) DiCaprio, Depp, Bernard (et son Greenwashing), tour d’horizon d’un festival que nous suivrons pour vous, avec bien évidemment nos yeux rivés sur les yachts qui viendront s’y installer ;)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(Avant de démarrer la lecture, si vous souhaitez lire la note que nous avons proposé l’an dernier, elle est ici : 

https://blogs.mediapart.fr/yachtco2tracker/blog/150523/le-festival-de-cannes-la-croisette-les-yachts-et-les-traditions-ecocides)

L’heure est au #metoocinema en France. Depardieu sera finalement jugé en octobre, après des dizaines d’accusations d’agressions sexuelles. Judith Godrèche a révélé cette année l’emprise qu’a exercée sur elle le réalisateur Benoît Jacquot, alors qu’elle était encore mineure. La salle des Césars résonne encore de son vibrant discours dénonçant l’omerta sur les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma. Avant sa voix, celle d’Adèle Haenel et son retentissant « la honte ! » prononcé avec force avant de claquer la porte, aux Césars 2020, au moment du sacre de Roman Polanski. La porte de la salle, mais aussi celle du cinéma. La tribune qui accompagne ce départ est puissante : « J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est. » 

A quelques jours de l’ouverture de l’édition 2024 du festival de Cannes, la question se pose à nouveau : jusqu’à quand va-t-on tolérer la poudre aux yeux qui consiste à récompenser et encenser des films qui dénoncent les inégalités et injustices sociales tout en abritant et protégeant un monde pétri d’oppressions, de rapports de pouvoir et de domination ? Tour d’horizon en trois études de cas. 

Sexisme, âgisme, domination : le cas Leo 

Leonardo Dicaprio, avec son sourire so sexy et son engagement so hot pour le climat et les espèces en danger d’extinction, est aussi le héros du film Don’t look up !, qui dénonce l’inaction climatique des dirigeants : on adore.

Mais Leo, c’est aussi celui qui, après avoir aligné les millions pour préserver la forêt amazonienne (c’est très bien), passe ses vacances sur des yachts ultra polluants (beaucoup moins bien). 

Leo qui, sur ces mêmes yachts, est régulièrement photographié accompagné de femmes très jeunes. C’est peut-être un détail pour vous, mais ça veut dire beaucoup. Vous avez sans doute vu passer cette blague qui continue à tourner sur les réseaux sociaux : « 25 ans, trop vieille pour Leo ! » et qui fait référence au fait que l’acteur ne relationne qu’avec des femmes de 25 ans ou moins (alors qu’il en a lui-même aujourd’hui 49). Derrière la plaisanterie, une réalité profondément sexiste : celle d’un système qui permet voire encourage les relations d’hommes mûrs avec de très jeunes femmes, dans la reproduction d’un schéma patriarcal doublement violent : ce comportement systématique de l’acteur, loin d’être anecdotique, est révélateur de rapports de domination systémiques renforcés par l’écart d’âge et la célébrité ; il nourrit et illustre par ailleurs l’âgisme que subissent les femmes, dans une société où elles sont en permanence renvoyées à leur physique, et qui les inondent d’injonctions à ne pas vieillir, afin de rester « désirables ». 

Le cinéma contribue largement à perpétuer ces violences sexistes : le cas de Judith Godrèche et de l’emprise exercée par Benoît Jacquot est révélateur de ce système de prédation qui commence à peine à être questionné ; on pense aussi à tous les exemples de films, et notamment de biopics, dans lesquels les actrices sont beaucoup plus jeunes que leur personnage. Ce fonctionnement sexiste sous-entend qu’une actrice est bankable seulement si elle correspond à des critères physiques stéréotypés : jeune, jolie, mince de préférence, objet de désir en premier lieu, et cantonnée aux rôles de « femme de ». Les exemples sont légion de couples au cinéma où l’acteur l’écart d’âge est conséquent (Eiffel de Martin Bourboulon (2021) : Emma Mackey, 28 ans et Roman Duris, 49 ans, alors que le personnage d’Eiffel est censé retrouver son amour de jeunesse perdu depuis longtemps… avec qui il avait en réalité 12 ans d’écart ; Napoléon, de Ridley Scott (2023) : 35 ans pour Vanessa Kirby, 49 ans pour Joaquin Phoenix – Joséphine avait 6 ans de plus que Napoléon… !) Les acteurs se voient offrir leurs plus beaux rôles en vieillissant, quand les actrices disparaissent des écrans après 35 ans. 

Leo et ses girlfriends, c’est donc tout un symbole : celui d’un sexisme banalisé dans un système de domination encore largement protégé par une complaisance généralisée. 

Misogynie, indécence, domination : le cas Johnny 

En 2022, Johnny Depp et son ex-femme Amber Heard (de 23 ans sa cadette, tiens tiens), s’opposent au cours d’un procès surmédiatisé. L’acteur porte plainte pour diffamation après la parution d’un article du Washington Post évoquant les violences conjugales subies par Amber Heard, mais sans que Depp soit nommé. L’actrice répond à la plainte en l’accusant, cette fois explicitement, de violences physiques et sexuelles répétées. 

La médiatisation du procès, stratégie préméditée, permet à l’avocat de Johnny Depp d’orchestrer une savante manipulation de l’opinion par des réseaux masculinistes, en faisant d’Amber Heard la cible d’un cyberharcèlement misogyne visant à discréditer le moindre de ses propos. Si les deux parties sont finalement condamnées, Amber Heard écope d’une peine bien plus lourde, donnant l’impression d’une victoire de Johnny Depp, et faisant de ce procès le triste symbole d’une misogynie décomplexée et des discours réactionnaires visant à silencier le mouvement #Metoo. 

Le harcèlement que continue à subir l’actrice aujourd’hui en dit long sur les mécanismes de domination à l’œuvre dans notre société. 

Johnny Depp, quant à lui, a-t-il vu sa carrière brisée par les accusations de son ex-femme, comme le redoutaient ses fervents défenseurs ? Loin de là. En mai 2023, le film Jeanne du Barry, dans lequel il donne la réplique à Maïwenn, fait l’ouverture du festival de Cannes, et l’acteur apparaît radieux sur le tapis rouge. 

Summum de l’indécence, il signe la même année avec Dior un contrat à 20 millions de dollars pour être à nouveau l’égérie du parfum « Sauvage ». Quel message pour les victimes de violences sexistes à travers le monde, pour les opprimé.es ? Celui que leur voix ne compte pas face à la mécanique implacable des puissants. Moins un message qu’un crachat, une gifle, une double violence. 

Quand on sait les liens étroits entre le groupe LVMH, auquel appartient Dior, et le festival de Cannes, où les acteur.ices montent les marches chaque année avec des créations dont le faste sert, par la fascination qu’il exerce, un capitalisme outrancier et pétri d’inégalités, on peut évidemment avoir de sérieux doutes quant au fait que l’événement le plus célèbre du cinéma se montre enfin à la hauteur de #Metoo et des enjeux sociaux de notre époque. Avec la projection cette année du court-métrage « Moi aussi » de Judith Godrèche, le festival assure vouloir « faire résonner [les] témoignages » des victimes de violences sexuelles. Cela ne suffit pas, si on continue à offrir la gloire à des Johnny Depp. 

Pollution, greenwashing, domination : les mauvais calculs de Cannes 

Quid des enjeux climatiques ? 

LVMH, ce n’est pas seulement des contrats indécents avec des hommes violents. C’est aussi son PDG Bernard Arnault, désastre ambulant pour le climat. Son dernier caprice en date : la construction d’un palace démesuré aux Seychelles, une véritable catastrophe environnementale. Bernard et son yacht Symphony (on ne parle même plus de son jet), l’un des navires les plus polluants du monde, qui émet chaque année des kilos tonnes de CO2 en toute impunité, et qui a évidemment sa place toute prête dans les ports de Cannes. 

L’organisation du festival assure pourtant prendre un tournant éco-responsable. Analysons ensemble cette noble ambition. 

« Le festival s’engage pour l’environnement » trouve-t-on sur le site même de l’événement. Le bilan carbone est détaillé, dans une démarche de transparence. Sans surprise, pour l’édition 2023, 91% des émissions de CO2 (44000 tonnes) provient de « la venue des participants » jusqu’à Cannes. La transparence a ses limites : nous n’avons pas plus de détails. Les responsables – les jets privés et les yachts de luxe – ne sont jamais cités. Nulle mention sur l’ensemble de la page de la responsabilité de ces moyens de transports ultra-polluants, et nulle volonté affichée d’imposer un changement de ces pratiques responsables de la quasi-totalité des émissions carbone du festival. (Rappel : pas moins de 44 yachts ont mouillé à Port Canto lors de l’édition 2023). 

L’organisation s’enorgueillit en revanche des petits gestes écolos que sont le recyclage du tapis rouge ou le tri sélectif mis en place depuis quelques années, énumérés dans ses « champs d’action ». Que ce soit bien clair : on ne changera pas le monde avec du tapis recyclé. Quel impact durable peut vraiment avoir ce plan d’attaque si les responsables de plus de 90% du bilan carbone du festival chaque année ne sont jamais inquiété.es ? 

Dans le reste des actions mises en place : « soutenir des projets vertueux pour l’environnement ». Le festival entend ainsi, en taxant les participants, compenser son bilan carbone catastrophique en réinvestissant cette « éco-contribution » dans des projets écolos. Le problème ? Il semble qu’il s’agisse surtout pour les riches d’acheter leur droit à polluer. C’est ce qu’a dénoncé le média Disclose au cours de l’édition 2022 du festival : le « projet Kariba » visant à empêcher la déforestation de plusieurs hectares de forêt entre le Zimbabwe et la Zambie devait être financé par l’achat de crédits carbone à l’entreprise suisse South Pole, et compenser le bilan carbone du festival. En réalité, l’enquête du média Follow the money et rapportée par Disclose révèle que South Pole a largement surestimé l’impact carbone qu’aurait généré la déforestation. Pas de compensation donc, mais un greenwashing décomplexé et aucun changement dans les déplacements en jets. Si le festival a cessé son partenariat avec South Pole après ces révélations, comment être certain.es que les projets suivants ne suivront pas la même voie ? et comment ne pas y voir une stratégie pour ne surtout jamais remettre en question le train de vie irresponsable des plus riches ?

Des millions de victimes de violences sexistes et sexuelles, des millions de réfugié.es climatiques, des millions de travailleur.euses précarisé.es par le capitalisme… et on continue à dérouler le tapis rouge aux agresseurs, aux ultra-pollueurs, on nous saupoudre de greenwashing, on continue à nous servir la même soupe de paillettes, le même glamour rance d’un vieux monde qui ne profite qu’à une poignée, à un entre-soi de prestige déconnecté des défis majeurs de notre temps, et dont le festival de Cannes offre chaque année l’un des plus éloquents exemples. 

Il serait temps d’arrêter d’être complice de « cet ordre mortifère » du monde. Il serait temps de faire beaucoup mieux. Se lever et claquer la porte ? #AdeleHaenel 

Sources 

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