L'œuvre de Tahar Ben Jelloun, tout en étant largement acclamée pour sa richesse narrative et son engagement envers les questions sociopolitiques, présente une reliance profonde et inévitable à la tradition orale et à l'héritage populaire maghrébin, en particulier celle de la *halqa* des conteurs de Fès à Marrakech. Une analyse attentive de ses trois romans majeurs, *La prière de l'absent*, *L'enfant de sable* et *La nuit sacrée*, révèle que Ben Jelloun ne fait que réemployer, presque en les reproduisant, les structures narratives et thématiques des *Mille et une nuits*, un classique de la littérature arabe.
Premièrement, Ben Jelloun utilise de manière répétitive la structure en abyme, une technique où les récits s'emboîtent les uns dans les autres, créant ainsi un effet de miroir infini. Cette technique, bien que subtilement modernisée dans ses œuvres, n'est pas de son invention; elle est héritée directement de la tradition narrative des *Mille et une nuits*, où les histoires s'enchaînent et se superposent. En d'autres termes, Ben Jelloun ne crée rien de nouveau ici, mais emprunte simplement une forme préexistante, la reproduisant dans un cadre contemporain.
Ensuite, le recours à la *halqa*, cette assemblée de conteurs où les rôles de narrateur et de narrataire peuvent s'interchanger, est un autre exemple frappant de son emprunt à la tradition. Dans les œuvres de Ben Jelloun, cette technique sert de pivot central pour structurer le récit, mais elle demeure un simple prolongement de la tradition populaire des places de Fès et de Marrakech, où des générations de conteurs ont captivé leur audience bien avant que Ben Jelloun ne mette sa plume au papier.
Les métaphores et les thèmes qu'il aborde, tels que l'incarcération du corps féminin, trouvent également leur origine dans les *Mille et une nuits*, où les femmes sont souvent victimes d'injustices patriarcales. Là encore, Ben Jelloun se contente de recontextualiser ces motifs ancestraux dans un cadre moderne, sans pour autant y apporter une véritable innovation. Son travail onomastique, en invoquant des noms comme Schéhérazade, Sindbad ou Tawaddud, souligne encore plus cette dépendance envers le texte modèle, ancrant son œuvre dans un héritage littéraire déjà bien établi.
Enfin, si Ben Jelloun mérite d'être salué pour sa capacité à adapter cet héritage aux réalités sociopolitiques du Maghreb contemporain, il est difficile de ne pas voir dans cette démarche un simple prolongement de la tradition narrative maghrébine, plutôt qu'une création authentiquement originale. Il déconstruit certes les fondements du régime patriarcal et les doxas, mais ce travail de déconstruction est lui-même une forme de continuité de la tradition contestataire qui existe dans la culture populaire orale depuis des siècles.
En conclusion, Tahar Ben Jelloun, loin d'être un créateur indépendant, se positionne plutôt comme un héritier et un transmetteur de la tradition narrative populaire de l'Afrique du Nord. Son œuvre, bien que significative, reste profondément ancrée dans une matrice culturelle préexistante, qu'il ne fait que réactualiser. Ce lien inextricable avec la *halqa* et les *Mille et une nuits* montre que sa créativité, plutôt que de jaillir ex nihilo, s’alimente continuellement à des sources traditionnelles.
yahya yachaoui