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Billet de blog 16 mai 2025

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Confession d’un lecteur indésirable

Assigné à résidence pour crime de lecture, réduit au silence pour avoir écrit sur Gaza. Dans un monde où lire Céline ou nommer un génocide vaut condamnation, je confesse mes fautes : avoir lu, avoir écrit, avoir résistés

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Interdiction de lire, interdiction d’écrire – Confession d’un lecteur indésirable

I. Lire Céline ou le plaisir coupable du lecteur hérétique

Il fut un temps — doux et poussiéreux comme une bibliothèque en friche — où lire Céline relevait d’un choix personnel, d’un goût risqué peut-être, mais jamais d’un acte criminel. J’arpentais ses phrases comme un funambule en équilibre sur la corde raide de la langue : grotesque, sublime, sale, viscérale. C’était une lecture d’ombre et de feu, pas un hommage à l’homme mais un plongeon dans l’abîme du style. Lire Céline, c’était comprendre que la littérature ne doit rien à la morale, tout au vertige.

Mais ce temps est révolu.

Aujourd’hui, le simple fait de lire est une transgression surveillée. Lire Céline, ce n’est plus explorer une voix marginale, c’est devenir complice d’un passé qu’on ne contextualise plus, qu’on réduit à une étiquette. On m’a regardé comme un délinquant textuel, un esthète dangereux, un détraqué du lexique. J’ai été convoqué, réprimandé, menacé — assigné à résidence, littéralement, pour avoir lu ce qu’il ne fallait pas. Un œil sur mes rayonnages, l’autre sur mes annotations. Lecture interdite, pensée interdite, passion interdite.

Et ce n’est pas une métaphore : on m’a interdit de lire certains livres. À voix basse, comme une consigne mafieuse, on m’a conseillé d’éviter les “auteurs sulfureux”. De ne pas troubler l’ordre esthétique. De ne pas faire de vagues dans la piscine des lecteurs modérés.

Lire est devenu suspect. Lire mal, c’est désobéir. Lire tout court, c’est résister.

II. Écrire Gaza : l’innommable sous surveillance

Mais pire que lire : j’ai osé écrire. Écrire non pas une fiction bien peignée, non pas un roman familial emmitouflé dans la nostalgie. Non, j’ai écrit sur Gaza, ce mot de trois lettres qui brûle les écrans comme une vérité radioactive. Gaza, où l’on tue les enfants, les enseignants, les médecins, les journalistes, les poètes, les mères. Gaza, où le sang coule sans que l’encre suive.

Et là, ce n’est plus une simple convocation : c’est le silence qui m’est imposé. Tais-toi ou paie. Ne dis pas génocide. Ne dis pas colonisation. Ne dis pas apartheid. Encore moins : ne dis pas que tu vois. Tu dois rester aveugle, comme eux, ceux qui feignent l’équilibre tout en se vautrant dans le camp des bourreaux.

On m’a interdit de prendre parti, sauf à rejoindre les rangs des commentateurs propretement pro-sionistes, ceux qui disent “drame”, “conflit”, “bavure”, quand c’est l’extermination méthodique d’un peuple. J’ai refusé. Et pour cela, j’ai été désigné. Mis sous surveillance. Classé dangereux. Ma parole, dit-on, pourrait “porter atteinte à la cohésion sociale”.

Mais quelle cohésion ? Celle des complices ? Des lâches ? Des salons feutrés où l’on débat de la mort pendant que les bombes tombent sur les écoles ?

On m’a interdit d’écrire — ou plutôt, on m’a interdit d’écrire vrai. L’écriture, désormais, doit être neutre, c’est-à-dire complice. On peut parler d’amour, de rupture, de traumas personnels — jamais de ceux des autres, surtout pas s’ils sont palestiniens.

Épilogue : Lire et écrire contre l’effacement

Voilà mon crime : lire ce qui dérange. Écrire ce qui existe. Me tenir debout dans un monde qui rampe.

On m’a privé de mots comme on prive un peuple de pain. Mais je continue, dans la clandestinité de l’encre, à écrire ce qui doit l’être. Non pas pour être publié, mais pour ne pas devenir complice du silence.

Je lis. J’écris.

Et dans ce monde où les mots sont traqués, c’est une forme de résistance.

Une forme d’amour.

Une forme de vie.

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