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Une complicité enracinée
Loin d'être de simples prestataires de services ou fournisseurs d’équipements, nombre d'entreprises se retrouvent aujourd'hui au cœur d'un système qui transforme l'oppression en modèle économique. Le rapport décrit ce phénomène comme un "capitalisme racial colonial", une mécanique bien huilée où les politiques de dépossession deviennent des opportunités commerciales.
Ce n'est pas un phénomène nouveau; à travers l'histoire, les entreprises ont régulièrement été impliquées dans les grandes entreprises coloniales et les crimes de masse qui les ont accompagnées. En France, les cas de Renault ou Lafarge reflètent les dilemmes éthiques complexes auxquels les entreprises ont été confrontées dans des contextes de contrainte politique, comme l'occupation nazie ou celle d'une entreprise terroriste.
En Palestine, cette logique historique semble se poursuivre avec une efficacité redoutable. L'économie de l'occupation prospère en marginalisant les Palestiniens, créant un marché fermé où les acteurs locaux sont étouffés par des politiques restrictives, tandis que les firmes internationales y trouvent leur compte.
Le droit international, champ de bataille économique
Les entreprises impliquées dans les territoires occupés ne se contentent pas de naviguer en terrain neutre. En finançant ou soutenant l'économie israélienne dans ces zones, elles minent concrètement le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. Cela va bien au-delà du commerce; leur activité participe à l'annexion illégale de territoires, au maintien de l'occupation, et, dans certains cas, à la consolidation d'un régime que de nombreux experts considèrent comme un apartheid structurel.
Certaines entreprises pourraient même être juridiquement exposées, leurs actions étant potentiellement assimilables à une complicité dans des crimes internationaux. L'argument selon lequel elles ne feraient que remplir des contrats commerciaux ne tient plus, car la jurisprudence commence à reconnaître leur responsabilité directe.
L'innovation au service de la destruction
Le secteur militaire illustre de manière saisissante cette implication. Lockheed Martin, par exemple, a fourni les chasseurs F-35 et F-16 utilisés lors des bombardements massifs sur Gaza depuis octobre 2023. Ces attaques, particulièrement destructrices, auraient impliqué plus de 85 000 tonnes de bombes, causant d'innombrables pertes humaines et dévastations.
Des sociétés israéliennes comme Elbit Systems ou Israel Aerospace Industries ont transformé la Palestine occupée en véritable banc d'essai pour des technologies de guerre avancées. Le développement de drones, de systèmes d'armement automatisés ou d'intelligences artificielles létales se fait souvent sur le terrain, avec une efficacité militaire acquise au prix de vies civiles.
Le bras invisible de l’occupation
Les grandes entreprises de la tech, elles aussi, ne sont pas en reste. Microsoft possède en Israël son plus grand centre en dehors des États-Unis, un ancrage stratégique qui l'implique dans divers pans du système israélien, y compris les établissements pénitentiaires, les universités des colonies, et les forces de sécurité. Le projet Nimbus, qui implique également Amazon et Google, assure une infrastructure cloud stratégique aux institutions israéliennes, notamment après octobre 2023. Les serveurs localisés dans le pays permettent à Israël de garder le contrôle sur ses données et d’échapper potentiellement à certaines formes de reddition de comptes.
Quant au groupe NSO, à l'origine du logiciel espion Pegasus, il illustre le lien direct entre technologie sécuritaire et oppression. Ce logiciel, testé sur des militants palestiniens, est ensuite vendu à d'autres États autoritaires, devenant un outil mondial de surveillance et de répression.-
La dépossession à travers les infrastructures
L'implication industrielle s'étend au-delà du militaire ou du numérique. Des machines de construction, comme les bulldozers Caterpillar D9, ont été modifiées pour être utilisées comme armes télécommandées lors des opérations de démolition en territoire palestinien. D'autres entreprises, telles que HD Hyundai, Doosan ou Volvo, fournissent l’équipement nécessaire à ces opérations de destruction.
Des ressources naturelles, comme la roche dolomitique, sont extraites à grande échelle sur des terres confisquées, notamment par la société Heidelberg Materials via sa filiale Hanson Israel. Dans le secteur de l'eau, l'entreprise Mekorot exerce un contrôle quasi total sur l’accès palestinien à cette ressource vitale, tout en alimentant sans entrave les colonies illégales.
Dans l'agro-industrie, des entreprises comme Tnuva ou Netafim contribuent à la sécurité alimentaire des colons tout en exacerbant l’insécurité, voire la famine, chez les populations palestiniennes. On assiste à un accaparement systématique des terres et des ressources, où chaque litre d'eau ou hectare cultivé devient un instrument de pouvoir.
Le soutien stratégique de la finance
L'impact du secteur financier est particulièrement critique. Depuis 2023, les obligations du Trésor israélien ont été un levier majeur du financement militaire. Des institutions comme BNP Paribas ou Barclays y ont activement participé, rassurant les marchés et renforçant la capacité de l’État israélien à poursuivre ses opérations à Gaza.
Cette logique atteint même les sphères dites responsables; plusieurs fonds ESG, censés intégrer des critères éthiques, continuent d'investir dans cette économie de guerre. Cela révèle une profonde incohérence dans les mécanismes d'évaluation de l'impact social et environnemental des investissements.
Le droit international se redessine
Les récentes décisions de la Cour internationale de Justice (CIJ) ont rebattu les cartes. En reconnaissant l'illégalité de l'occupation israélienne, de l'annexion de territoires et du régime d'apartheid, la CIJ a ouvert la voie à une réévaluation globale des responsabilités, y compris pour les entreprises.
Ce n'est plus simplement une question morale. La participation, même indirecte, à une structure illégale entraîne des risques juridiques concrets. Le simple fait de maintenir des relations économiques dans un tel contexte peut désormais être interprété comme une complicité dans des crimes internationaux.
Une diligence raisonnable renforcée
Dans des contextes marqués par la violence systémique, les entreprises ont l'obligation de conduire une diligence raisonnable renforcée. Cela signifie anticiper les risques, interrompre les activités ou les partenariats problématiques, et mettre en place des mécanismes de prévention sérieux.
L'inaction ne protège plus. Bien au contraire, elle expose à une responsabilité accrue, voire à des poursuites pénales.
Fermer les yeux revient à soutenir l'injustifiable.
Il ne s'agit plus de simples recommandations. Pour les États, les institutions, et les citoyens, il devient urgent de passer à l'action. Il faut imposer des sanctions concrètes, notamment un embargo total sur les armes, y compris celles à double usage. Il est tout aussi crucial de suspendre les accords économiques liés à l'occupation et de geler les avoirs des acteurs économiques impliqués.
Les institutions financières doivent, elles aussi, être mises face à leurs responsabilités. Soutenir des obligations d'État qui financent des crimes de guerre ne peut plus être toléré, encore moins lorsqu'il s'agit de fonds censés incarner une certaine éthique.
En somme, il est désormais évident qu'aucun profit ne saurait justifier la complicité dans l'oppression d'un peuple.
Fermer les yeux revient à soutenir l'injustifiable. Et dans ce silence coupable, c'est notre humanité commune qui vacille.
Source :
From economy of occupation to economy of genocide