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Billet de blog 5 juillet 2025

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Chine : Quand LFI s'éveillera

Porté par La France insoumise, le rapport parlementaire sur les relations avec la Chine n’influencera guère la diplomatie française, monopole de l’Élysée. Mais à deux ans de 2027, il offre à LFI une vitrine idéologique claire, entre souveraineté, éthique et rupture stratégique.

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Cerf-volant du bout du monde (1958) Bande Annonce VF [HD] © Le Projectionniste

Un rapport percutant, mais sans lendemain

Dans un contexte international où la Chine s’impose désormais comme un acteur incontournable, la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale a publié un rapport d’information qui ne manque ni de courage ni d’ambition. 

Marqué par l’empreinte idéologique de La France insoumise (LFI), ce texte, porté par Sophia Chikirou, se veut un appel à repenser en profondeur la relation entre la France, l’Union européenne et la Chine. 

Derrière sa volonté de bâtir une politique étrangère plus souveraine et éthique, le rapport soulève surtout une interrogation : 

L’action extérieure de la France est-elle l’expression de la volonté générale ?

En réalité, l’intérêt du rapport semble surtout politique : Offrir à LFI un positionnement clair à deux ans de la présidentielle de 2027.

Un projet clair pour une souveraineté européenne

Le rapport d’information parlementaire dresse un état des lieux sans détour.

  1. L’Union Européenne accuse un déficit commercial massif avec la Chine, 291 milliards d’euros en 2023;
  2. L’Union Européenne dépend toujours plus de ses importations stratégiques, semi-conducteurs, minerais critiques;
  3. L’Union Européenne se heurte à des différends profonds sur les droits humains, que ce soit à Hong Kong ou au Xinjiang. 

Face à cela, le rapport avance une série de recommandations structurées, presque programmatique. 50 exactement :

  • Souveraineté économique : Mieux contrôler les investissements chinois dans les secteurs sensibles (5G, infrastructures portuaires), relancer l’industrie locale, et s’appuyer sur des initiatives comme l’European Chips Act1 pour réduire la dépendance.
  • Équité commerciale : Imposer des conditions plus équilibrées dans les échanges avec la Chine, lutter contre les pratiques de dumping et les subventions massives, tout en protégeant les entreprises européennes.
  • Défense des valeurs : Adopter une ligne ferme sur les violations des droits humains avec des sanctions ciblées, voire des suspensions d’accords commerciaux si nécessaire.
  • Autonomie stratégique : Sortir d’un alignement systématique avec les États-Unis et diversifier les alliances, en misant notamment sur des partenariats avec l’Inde ou l’Afrique face à l’emprise croissante des Nouvelles routes de la soie.
  • Coopération ciblée : Maintenir un dialogue avec la Chine sur des enjeux planétaires comme le climat, mais exiger des engagements tangibles (La Chine vise la neutralité carbone à l’horizon 2060, mais reste floue sur les moyens).

Ces propositions dessinent en creux le projet d’une Europe moins naïve, plus offensive, et d’une France désireuse d’incarner autre chose qu’un simple relai des intérêts industriels ou des logiques de blocs.

Parce que tel est Son bon plaisir

Aussi dense soit-il, ce rapport risque de peser peu dans la balance. Sous la Ve République, la politique étrangère reste entre les mains du président, épaulé par le ministre des Affaires étrangères. 

Les rapports parlementaires, aussi lucides soient-ils, n’ont pas de force contraignante. Celui-ci, perçu comme trop teinté de l’idéologie LFI, semble déjà mis de côté, en décalage avec les priorités de l’exécutif.

Emmanuel Macron défend une diplomatie qu’il qualifie de « lucide et exigeante », conciliant coopération économique (à l’image des faveurs douanières accordées à des géants comme Volkswagen) et engagement sur les défis planétaires, notamment via le climat. 

Cette approche, nourrie par les notes internes du Quai d’Orsay, comme celles du CAPS, ne s’aligne guère avec les prises de position plus idéologiques du rapport. 

Par ailleurs, les pressions exercées par les grands groupes français fortement implantés en Chine (Airbus, LVMH…) compliquent toute ligne de rupture. En somme, entre réalisme économique et centralisme institutionnel, les belles intentions du rapport risquent fort de ne jamais passer le cap de la mise en œuvre.

Un miroir des carences démocratiques

Derrière cet échec prévisible, c’est aussi une réalité plus gênante qui se dessine; la diplomatie française reste profondément verrouillée. 

Le président décide, le Parlement suggère, le plus souvent dans le vide. Les travaux des commissions, comme celui-ci, stimulent le débat public, mais n’obligent à rien. Les analyses clés, issues du Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS) ou d’autres organes du Quai d’Orsay, restent largement confidentielles, limitant la transparence du processus.

Et dans une relation aussi sensible que celle avec la Chine, cette opacité est problématique. Elle empêche l’émergence d’un débat démocratique solide sur des questions essentielles : Dépendance économique, influence des lobbies, place des droits humains dans les relations bilatérales… 

Le citoyen, même attentif, n’a que peu de moyens d’intervenir. Et bien que le président bénéficie d’une légitimité démocratique directe, cette concentration du pouvoir diplomatique contribue à une politique étrangère souvent perçue comme contraire à la volonté générale. On le constate en Palestine occupée.

LFI : Un coup politique habile en vue de 2027

Si le rapport a peu de chances de transformer la politique étrangère actuelle, il pourrait s’avérer utile pour autre chose :

Tracer une ligne claire pour LFI à l’approche de 2027

Dans une gauche encore éclatée, où le PS, le PC et les Écologistes peinent à faire entendre une voix unifiée, LFI prend les devants. En défendant une diplomatie fondée sur la souveraineté, la justice sociale et le refus des dépendances économiques, le parti de Jean-Luc Mélenchon affirme une posture radicale, autant vis-à-vis de Beijing que de Washington.

Ce rapport fonctionne presque comme une esquisse de programme : Relocalisation, protectionnisme assumé, défense des droits fondamentaux, rééquilibrage stratégique… 

Certes, la mise en œuvre resterait semée d’embûches, notamment au sein d’une Union européenne aux intérêts divergents. Mais dans le tumulte de la gauche, LFI semble être le seul à proposer une doctrine cohérente, à défaut d’être immédiatement applicable.

Une tribune plus qu’un tournant

En définitive, ce rapport ne bouleversera sans doute pas la politique étrangère française. Il rappelle surtout les limites d’un système où le Parlement peut diagnostiquer mais non décider, et où la diplomatie reste peu transparente. 

Pourtant, son impact pourrait bien se jouer ailleurs.

Ce rapport d’information parlementaire offre à La France insoumise une tribune pour affirmer une vision audacieuse et cohérente.

À l’heure où la gauche cherche encore ses repères, à l’approche de 2027, les 50 recommendations de Sophia Chirikou pourraient bien être le socle d’une stratégie électorale, transformant un exercice parlementaire en étendard pour une gauche radicale prête à bousculer l’ordre établi.

En ce sens, ce rapport n’est pas un simple exercice parlementaire;  c’est un manifeste stratégique, voire un tremplin électoral.

1L’European Chips Act, Loi européenne sur les semi-conducteurs, est une réponse stratégique de l’UE à la dépendance aux semi-conducteurs asiatiques, notamment chinois, et un pilier de l’autonomie technologique prônée par la France. Il vise à doubler la production européenne d’ici 2030 grâce à des investissements massifs et une coordination renforcée. Dans le contexte des relations avec la Chine, il soutient la stratégie de "derisking" défendue par Macron, mais reflète aussi les préoccupations du rapport ci-dessous. Cependant, son succès dépendra de la capacité de l’UE à surmonter ses retards technologiques et ses divisions internes, tandis que LFI y voit un levier pour une politique étrangère plus radicale et moins dépendante des grandes puissances.

Source :

RAPPORT D’INFORMATION DÉPOSÉ PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1) sur les relations entre l’Union européenne et la Chine © MME SOPHIA CHIKIROU, Députée (pdf, 1.1 MB)

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