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Billet de blog 6 octobre 2025

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De l’éphémère à l’équilibre, la solution face à un Premier ministre Tinder

Le nouveau record de Matignon vient de nous offrir un cas d’école fascinant. Le passage éclair de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre, vingt-sept jours montre en main, restera dans les annales, non pas pour ce qu’il a accompli, mais pour ce qu’il révèle de notre régime.

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Illustration 1
Un Premier Ministre, tu l'aimes ou tu l'ignores © Yamine Boudemagh

Derrière cette comète politique se cache une question plus sérieuse qu’il n’y paraît :

Qu’est devenue la fonction de Premier ministre sous la Ve République ?

Et surtout, pourquoi sa survie institutionnelle demeure-t-elle essentielle ?

Ce record de brièveté a de quoi faire sourire, mais il n’a rien d’inédit dans notre histoire politique. Sous la IIIᵉ République, les Présidents du Conseil tombaient les uns après les autres, parfois au bout de quelques jours; les 4 jours d'Édouard Herriot en 1926 en restent le symbole parfait.

La Ve, censée nous avoir immunisés contre l’instabilité parlementaire, a certes apporté de la durée, mais pas forcément de la solidité.

Lecornu n’est pas une anomalie; il est le symptôme d’un déséquilibre plus ancien, celui d’un pouvoir trop vertical pour son propre bien.

Le Premier ministre, ce “fusible” qu’on aime trop griller

Depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, le Président a avalé la lumière, l’air et l’espace.

Dans l’imaginaire collectif, il est devenu le seul vrai chef de l’exécutif.

Le Premier ministre, lui, se contente du rôle de collaborateur ou de fusible, selon la formule désormais consacrée.

Certains ont même semblé s’y résigner, assumant cette position avec une docilité presque administrative.

Pourtant, cette lecture, politiquement confortable, ne tient pas juridiquement.

La Constitution, dans son équilibre subtil, a prévu tout autre chose.

C’est bien le Premier ministre, et non le Président, qui dirige l’action du Gouvernement, signe les décrets et pilote la machine administrative.

Et c’est encore lui, seul, qui engage sa responsabilité devant l’Assemblée nationale.

Le Président peut dissoudre, oui, mais lui ne risque jamais la censure.

Ce lien de responsabilité, c’est le cœur battant du régime, la preuve que la Ve République n’a pas totalement basculé dans la monarchie élective.

Le cumul, un contresens démocratique

Certains esprits joueurs s’amusent à imaginer un Président qui serait aussi Premier ministre; après tout, “il commande déjà tout”.

Sauf que le droit constitutionnel, lui, ne le permet pas.

Le Président, selon l’article 67, est irresponsable politiquement : Il incarne l’arbitre, pas le joueur.

Le rendre responsable devant l’Assemblée reviendrait à détruire son rôle de Chef d’État.

Et surtout, le contreseing prévu à l’article 19, cette signature du Premier ministre engageant le Gouvernement sur les actes du Président, est un rouage essentiel.

Si les deux fonctions fusionnaient, ce mécanisme s’effondrerait ; la séparation des pouvoirs avec lui.

Autrement dit, le cumul, c’est la fin du bicéphalisme et la mort lente de la Ve République.

La cohabitation, respiration démocratique

Ironie du sort, le seul moment où la Ve République retrouve un vrai souffle démocratique, c’est quand le Président et le Premier ministre ne s’entendent pas. La cohabitation, loin d’être une anomalie, agit comme une cure d’oxygène.

Durant ces parenthèses de mésentente institutionnelle, le Premier ministre redevient un véritable chef de gouvernement, fort ou non de sa majorité parlementaire, tandis que le Président retrouve son rôle d’arbitre, celui que la Constitution lui assigne mais qu’il déserte volontiers en temps normal.

Dans ces moments-là, le bicéphalisme prend tout son sens : Deux têtes, deux légitimités, un équilibre retrouvé.

Certains réformateurs, plus audacieux, vont jusqu’à imaginer une VIᵉ République où la cohabitation deviendrait la règle : Le finaliste malheureux de la présidentielle nommé automatiquement Premier ministre; le verdict législatif qui s'ensuit détermine qui du Président ou du Premier ministre a la préséance gouvernementale.

Utopique ? Peut-être.

Mais cette tension, aussi inconfortable soit-elle, serait sans doute le meilleur antidote aux dérives hyperprésidentielles.

Le bref passage de Lecornu à Matignon n’est donc pas qu’une curiosité de plus dans la chronique politique française. Il est un rappel utile; le Premier ministre, si souvent relégué à l’arrière-plan, reste le bouclier constitutionnel de notre République.

Tant qu’il y aura quelqu’un à Matignon pour gouverner, répondre et parfois tomber, notre système gardera un souffle démocratique, fragile, instable, mais vivant.

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