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Billet de blog 8 mars 2020

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Histoires de femmes soumises

Célébrer le droit des femmes ne consiste pas à les inviter à un dîner romantique, ni de leur offrir une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie. C’est se rappeler le manque d’élégance, le manque de tranquillité, le manque de délicatesse, le manque de douceur, le manque d’amabilité, le manque de courtoisie, le manque de retenue, le manque de générosité d’âme qu’elles subissent chaque jour.

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« La révolution, c’est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre », Mao Zedong, mari de Jiang Qing

Histoire de Pénélope F.

A tout seigneur, tout honneur, l’histoire commence par un certain François F. dont la femme Pénélope risque dix ans de prison pour cause de soumission à son mari.

Illustration 1
"L'homme ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image de la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l'homme. En effet, l'homme n'a pas été tiré de la femme, mais la femme de l'homme; et l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme. C'est pourquoi la femme doit, à cause des anges, avoir sur la tête un signe de sujétion." 1ère épître de Saint Paul aux Corinthiens.

Dans un interview innocent, qui deviendra plus tard un élément clé du scandale, Pénélope F. se confie. On entend une femme soumise, qui se plaint de n’être pas considérée au sein de la famille qu’elle a créé. Et l’on entend alors un discours que connaissent trop bien tous ceux qui ont fréquenté des femmes de cadres supérieurs :

  • l’impression de ne pas se sentir considérée ni par son mari ni par ses enfants
    • parcequ’elle ne "travaille" pas
    • parcequ’elle ne contribue pas aux finances du foyer
    • parcequ’elle est considérée comme forcément moins sublime que son illustre mari malgré ses diplômes en droit.

Et elle aura cette phrase lourde sens :

  • « Je n'ai jamais été son assistante ou quelque chose du genre. Je ne m'occupe pas de sa communication."

Elle est pourtant, peut-être à l'insu à son plein gré, le pilier de la famille :

  • Non seulement parce qu’elle se révèle une excellente épouse, qui, bienveillante, se met entièrement au service de son mari pour tenter de le mettre en valeur, lui qui a eu tant de difficultés à prouver la sienne auprès de son patron,
  • Parce qu’elle se révèle une excellente mère de famille, qui lui a donné de beaux enfants, les a les élevés et fait d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui,
  • Mais surtout parce que, d’après Davet et Lhomme, auteur de « Les années Fillon », elle et ses enfants ont rapporté au budget de la famille la coquette somme de 1 306 400 euros. Pénélope a donc largement contribué à l’achat du château de famille.
Illustration 2

Pire, elle avoue vouloir travailler, en avoir besoin même pour se sentir exister. Or, jamais son parlementaire de mari n’aura l’idée de la faire travailler à la mesure de ses compétences. Pénélope est pourtant fille de juriste et diplômée en droit de la prestigieuse université de Bristol, l’une des meilleures d’Angleterre avec Oxford et Cambridge.

 Comment François ne le voit pas ?

Comment surtout cette juriste diplômée n’a-t-elle pu se défendre elle-même face aux attaques médiatiques dont elle fut l’objet ? Son silence fut assourdissant.

Qui a estimé qu’elle n’en n’avait ni le droit ni le talent ?

Qui a inculqué en elle cette certitude de n’être pas à la hauteur ?

Bien pire encore, pour pouvoir rémunérer grassement sa femme, François F. a du réduire le salaire d'autres femmes qui, elles, affichaient, de manière ostentatoire, le travail de collaboratrice qu’elles offraient à François F. aux frais du contribuable.

Comme Anne Faguer par exemple, qui comme tout employé véritable affiche sur son profil LinkedIn la teneur de son travail :

  • Travail législatif (suivi des textes, rédaction d'amendements),
  • relations institutionnelles et politiques (élus),
  • gestion du courrier et des interventions,
  • représentation du député dans la circonscription (réunions diverses, permanences bimensuelles),
  • rédaction de notes,
  • répartition de la réserve parlementaire

En clair, un véritable travail de collaboratrice parlementaire. Travail évident qu’il semble pourtant si difficile à Pénélope de documenter aujourd’hui.

Et puisqu’il est question de femmes soumises et de collaborateurs parlementaires, ces travailleuses sans statut ni description de poste, sont majoritairement des femmes à la merci de leur député de patron (60,6% en 2013).

Comment croire un seul instant qu’un parlementaire défend les droits et intérêts de la nation quand il se révèle incapable de donner un statut protecteur à celles qui se battent au quotidien pour lui ?

Et circonstance aggravante qui n’autorise aucune excuse à nos parlementaires :

  • Alors que l'Etat met à leur disposition un crédit collaborateur de près de 10 000 euros,
  • Alors que la majorité des collaborateurs parlementaires sont des femmes, à près de 60%
  • Les parlementaires ont réussi à établir une inégalité salariale entre les hommes et les femmes, au détriment des femmes bien sûr. (différence -12% avec le salaire des hommes).

Sale semaine pour la condition de la femme au pays des droits… de l’homme !

Mais comme si l’histoire de Pénélope F. n’était pas assez édifiante pour la perception du rôle de la femme en France en 2020, la semaine s’est poursuivie avec l’histoire plus tonitruante d’une jeune femme qui fût encore encore plus soumise mais qui a décidé de ne plus le rester.

Histoire d’Adèle H.

L’histoire d’Adèle H. est connue désormais. Actrice prépubère, elle fut mise à 11 ans à la disposition d’un réalisateur qui a été autorisé à réaliser un film pour le moins tendancieux.

Illustration 3

Comment un tel film a-t-il pu être autorisé ?

Était-il nécessaire de jeter ainsi en pâture la nudité d’enfants de 11 et 16 ans à la satisfaction de pédophiles avides ?

Et pourquoi feindre l’hypocrisie 18 ans plus tard devant les révélations accablantes de la jeune actrice devenue femme ?

Et quel terrible cynisme a germé dans l’esprit de celle ou celui qui osa inviter cette pauvre jeune femme à une soirée dont l’objet était de célébrer un pédophile notoire ?

Pour ajouter l'injure à l'injustice, des hommes célèbres, oublieux qu’ils sont eux-mêmes nés d’une femme, se sont sentis obligés de célébrer l'agresseur et accuser la victime.

  • Oublieux du droit des femmes le plus élémentaire, celui de ne pas être violée;
  • oublieux du droit tout simplement, celui de demander justice.
  • Oublieux de la simple décence.
1979 : Roman Polanski "Ma préférence pour les jeunes filles" | Archive INA © Ina Stars

Histoire des femmes partant à la retraite

Illustration 5
Collectif Nos Retraites

Et la semaine s’est achevée par une déclaration de guerre du gouvernement à coups de 49-3

Un véritable déni de démocratie qui soumet arbitrairement les femmes et les menace de précarité tant affective que financière.

La nouvelle loi sur les retraites est particulièrement défavorable aux femmes, qui ont déjà des carrières plus courtes : 40% des femmes partent aujourd’hui avec une carrière incomplète. Le temps des femmes est encore très différent de celui des hommes : ce sont elles qui s’arrêtent ou limitent leur activité pour élever les enfants ou s’occuper des personnes dépendantes.

De plus, le gouvernement a décidé seul de supprimer :

  • La Majoration de Durée d’Assurance (MDA), qui permettait aux mères de valider 2 ans de cotisations par enfant dans le privé et 1 an dans le public. Ce dispositif permet à la fois de valider des années et d’améliorer considérablement le montant de la pension en partant avec une carrière complète.
  • La majoration de pension de 10% pour la mère des familles de 3 enfants ou plus.

À la place, une majoration de pension de 5% par enfant sera attribuée, mais pour l’un des deux conjoint.e.s au choix. Les projections démontrent que cela pénaliserait la majorité des mères, même si c’est elles qui prennent la bonification. Mais la bonification peut aussi être divisée en deux ou prise exclusivement par le père. Certaines femmes pourront donc ne plus avoir aucune compensation de leur maternité, ralentissement et interruptions de carrière alors que les écarts avec les carrières des hommes restent très importants !

Les pensions de réversion, dont les bénéficiaires sont  à 90% des femmes sont modifiées sur 3 points :

  • Il faudra être à la retraite pour pouvoir toucher la réversion de son conjoint décédé. Aujourd’hui la réversion est accessible dès 55 ans dans le privé et sans condition d’âge dans le public. Ce sont aujourd’hui 120 000 femmes qui touchent une pension de réversion entre 55 et 64 ans
  • La pension de réversion ne sera plus accessible après un divorce. 45% des mariages finissent par un divorce. 
  • Le mode de calcul de la pension de réversion sera modifié. Aujourd’hui elle assure 50% des revenus du conjoint décédé, demain elle devra maintenir 70% des revenus du couple. Pour de nombreuses personnes, cela conduirait à baisser le montant de la réversion, notamment quand il y a peu d’écarts de revenu entre les 2 conjoints.

Les départs anticipés sont supprimés

Ceci concerne notamment dans la fonction publique 400 000 femmes (sage-femmes, aides-soignantes, infirmières, …) qui bénéficient de la catégorie active et peuvent partir dès 57 ans. De l’aveu même du Premier ministre, seules ¼ des aides-soignantes pourraient partir plus tôt, c’est-à-dire à 62 ans, alors qu’aujourd’hui elles peuvent toutes partir à 57 ans !

Rappelons qu’en France l’espérance de vie d’une infirmière est de 7 ans inférieure à celle de la moyenne des femmes.

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