Les hommes derrière l’accord de 1968 entre la France et l’Algérie
En 1968, la France et l'Algérie signaient un accord qui allait régir le séjour de centaines de milliers d'Algériens. Un texte, toujours source de débats passionnés aujourd'hui.
En 1968, alors que la jeunesse contestait, la France et l’Algérie signaient un accord pour organiser l’immigration algérienne.
L’enjeu ?
Créer un cadre stable pour une immigration considérée déjà comme massive,
réguler l’accès à l’emploi,
favoriser l’intégration sociale.
Pour la France, il s’agissait de répondre à un besoin crucial de main-d’œuvre dans un pays en plein essor économique.
Pour l’Algérie, l’objectif était d’offrir des perspectives d’emploi à ses ressortissants, dans un pays encore marqué par les séquelles de la guerre d’indépendance.
Malgré une période d’instabilité gouvernementale, les négociateurs des deux camps ont fait preuve d’une relative bienveillance pour l'époque envers les personnes concernées, cherchant à préserver leurs droits et leur dignité.
Un accord structurant l’immigration algérienne
L’Accord franco-algérien de 1968 répond à une double ambition : structurer l’immigration algérienne en France et encadrer son intégration.
Le nombre de travailleurs algériens a doublé entre 1962 et la fin des années 1960, passant de 200 000 à 400 000.
En 1969, face aux discours alarmistes sur une supposée « invasion » de travailleurs algériens, Allel Sadoun, ancien conseiller social à l’Assemblée d’Algérie à Paris, publiait une analyse détaillée dans Le Monde daté du 27 février 1969. Il y démontrait, chiffres à l’appui, que :
Les statistiques officielles contredisaient les affirmations d’une immigration massive et incontrôlée.
Les travailleurs algériens, souvent victimes de discriminations et de préjugés, contribuaient de manière courageuse et significative à l’économie française, notamment dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie.
Les problèmes de logement , et de conditions sanitaires n'étaient pas liées à la communauté algérienne en tant que telle, mais bien au contexte socio-économique dans lequel les travailleurs étrangers vivaient, les bidonvilles étant des exemples de ces difficultés.
Un article coup de poing qui nous rappelle que derrière les chiffres, il y a toujours des hommes et des femmes, avec leurs espoirs et leurs difficultés. L'article s'est révélé une référence essentielle pour comprendre les enjeux de l'immigration en France, algérienne ou autre, hier comme aujourd'hui.
"Concrètement, l’accord d’origine (1968) permet à tout Algérien muni d’une carte d’identité de s’établir en France, donc sans visa, ce qui est sans équivalent pour aucune autre nationalité. Mais ces conditions sont immédiatement encadrées par l’établissement d’un contingent de 35.000 travailleurs par an (dès 1968), puis durcies par une série de mesures tendant à rapprocher le régime conventionnel du régime commun, comme l’instauration d’un visa, la durée des titres de séjour (un an et dix ans), l’exigence de production d’un certificat d’hébergement et d’un justificatif de ressources pour rendre visite à sa famille." Nathalie Clarenc.
L’accord met également l’accent sur la réunification familiale : les épouses et enfants des travailleurs algériens pouvaient obtenir un droit de résidence, sous réserve de justifier d’un logement et de fournir un certificat familial. Au départ, les travailleurs algériens bénéficiant d’un permis de travail délivré par la mission nationale algérienne avant leur départ pouvaient ainsi postuler pour un titre de séjour pour trois ans avant réévaluation.
Droits, devoirs et contrôles
L’accord de 1968 établissait un cadre juridique pour le séjour et le travail des Algériens en France, mais il prévoyait également des mesures de contrôle et de surveillance :
Certificat de 5 ans : pour les travailleurs et les résidents de plus de 3 ans.
Révocation : chômage de longue durée, absence prolongée.
L’accord prévoyait également des mesures sanitaires : tout travailleur algérien souhaitant immigrer devait se soumettre à un examen médical en Algérie, réalisé dans des centres de santé mis en place en coopération avec la France. Cette précaution visait à assurer la protection sanitaire des migrants.
Enfin, les travailleurs algériens involontairement au chômage pendant plus de douze mois, et incapables de prouver des moyens de subsistance après trois mois, risquaient de perdre leur titre de séjour.
L’accord tentait de concilier les besoins économiques de la France avec les droits des travailleurs algériens. Cependant, cet équilibre était fragile, et les tensions ont souvent ressurgi.
Une avancée par rapport aux Accords d’Évian
Si les Accords d’Évian de 1962 avaient déjà établi un cadre général pour les relations entre la France et l’Algérie post-coloniale, ils ne réglaient pas concrètement la question du statut des travailleurs algériens en France. L’Accord de 1968 comblait cette lacune en apportant une régulation précise et un cadre légal durable pour encadrer l’immigration algérienne.
Là où les Accords d’Évian garantissaient une libre circulation temporaire, l’Accord de 1968 mettait en place des quotas et un dispositif de résidence structuré, équilibrant le besoin de main-d’œuvre en France et la protection des travailleurs algériens.
Un accord source de controverses
Le décret n° 69-243 du 18 mars 1969 a également suscité des critiques, émanant des mêmes milieux qu'aujourd'hui.
Certains ont reproché à l’accord de favoriser une immigration de travail, au détriment de l’intégration sociale et culturelle des Algériens en France.
D’autres ont souligné les difficultés rencontrées par les travailleurs algériens en matière de logement, d’accès aux services sociaux et de lutte contre les discriminations.
L’arrêt de l’émigration de travail décidé par l’Algérie en 1973, en réaction au racisme en France, a mis en évidence les tensions sous-jacentes.
L’accord a permis à de nombreux Algériens de trouver un emploi en France et de soutenir leurs familles restées au pays. Cependant, l’intégration sociale et culturelle a été un processus complexe, marqué par des inégalités et des discriminations.
L’essor de la construction à l'époque des bidonvilles en France, principalement peuplé d’immigrés Algériens, témoigne de la réalité difficile de l’intégration.
Une mise en œuvre surveillée
Une commission mixte surveillait l’application de l’accord et proposait des solutions en cas de difficultés. Des différends sont apparus sur les conditions d’accès au regroupement familial, les critères d’attribution des titres de séjour et les modalités de lutte contre les discriminations.
Il est essentiel de comprendre que toute remise en cause de cet accord impliquerait un retour aux Accords d’Évian et donc à la libre circulation des personnes entre la France et l’Algérie.
Or, les esprits mal intentionnés qui militent pour l’abrogation de l’Accord de 1968 ne visent pas à restaurer cette liberté, mais bien à restreindre davantage les droits des travailleurs et de leurs familles. Leur démarche, fondée sur un rejet des principes mêmes qui ont permis de stabiliser les relations migratoires entre les deux pays, révèle ainsi toute son absurdité.
Entre vision politique et réalités humaines
Les signataires de l'accord étaient des visionnaires; ils ont joué un rôle clé dans la négociation et la mise en œuvre de l’accord.
Charles de Gaulle : Président de la République française, dont la vision politique hors du commun reste inégalée. Son rôle dans l’approbation de cet accord témoigne d’une anticipation stratégique qu’aucun homme politique actuel ne saurait égaler.
Abdelaziz Bouteflika : Ministre des Affaires étrangères de l’Algérie à l’époque, il deviendra le futur président du pays pendant vingt ans, après en avoir été longtemps le porte-parole. Sa signature sur cet accord en fait un document historique d’une importance capitale.
Michel Debré : Ministre des Affaires étrangères de la France et père de la Constitution de 1958, connaissant mieux que quiconque la constitutionnalité de ces accords, un savoir que nul homme politique français aujourd’hui ne pourrait revendiquer avec autant de légitimité.
Maurice Couve de Murville : Premier ministre français, garant de la mise en application de l’Accord.
Jean Basdevant : Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la France en Algérie, signataire du texte au nom du gouvernement français. Il déclarait à l’époque : " La France se félicite de l'apport précieux de la main-d'œuvre algérienne à son économie. (…) La France propose à l'Algérie une politique de coopération confiante et équilibrée sur une base de réciprocité. "
L'histoire a retenu leurs noms. Il n'est pas sûr que l'histoire de France retiennent le nom de ceux qui aujourd'hui veulent remettre en cause l'accord.
L’Accord franco-algérien de 1968 a marqué une étape importante dans l’histoire des relations entre la France et l’Algérie, et son héritage continue d’influencer les débats contemporains sur l’immigration.
Les décideurs, malgré les tensions de l’époque, ont fait preuve d’un souci réel pour les travailleurs et leurs familles, tentant d’assurer une transition migratoire plus stable et plus juste.
L'idée prévalait que l'immigré d'aujourd'hui est le français de demain, dont la France a un besoin existentiel.
L’Histoire ne s’arrête jamais. Surtout, ce décret nous permet de redécouvrir une époque où l’administration savait parfois écouter les réalités humaines vécues par les travailleurs étrangers et leurs familles..
Nos décideurs aujourd’hui sont-ils capables de la même empathie, de la même vision et de la même bienveillance au-delà des intérêts électoralistes, qui souvent sont les ennemis de la France ?
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