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Billet de blog 10 octobre 2025

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Former les formateurs de la lutte contre l’antisémitisme

Détester un Palestinien, est-ce être antisémite ? Cette interrogation révèle une complexité morale et conceptuelle. Si oui, alors qui est le gouvernement le plus antisémite de l’histoire de l’antisémitisme ? Si non, alors avoir l’honnêteté d’examiner la cohérence de son propre système de valeurs.

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Détester un Palestinien, est-ce être antisémite ?

Derrière cette question se cache une réflexion essentielle : Pourquoi séparer les racismes ?

Pourquoi l’antisémitisme a-t-il été isolé du reste des discriminations raciales, comme s’il appartenait à une catégorie morale supérieure ?

La seule différence, semble-t-il, réside dans la couleur de peau ou l’identité perçue des victimes. 

Et c’est précisément cette distinction implicite qui interroge, notamment parmi les populations le plus souvent visées par ces “formations à la tolérance”.

Le traitement législatif différencié du racisme

De manière surprenante, le législateur français n’a pas jugé pertinent d’ériger en circonstances aggravantes la haine envers d’autres catégories de victimes du racisme; ce qu’on pourrait nommer africanophobie, islamophobie ou encore asianophobie

Avant même d’introduire ces notions, la loi s’était concentrée non sur le racisme en tant qu’idéologie, mais sur ses conséquences visibles :

  • La discrimination,
  • La diffamation,
  • L’injure publique.

Ce choix avait une logique; ces délits sont concrets, observables, et donc plus aisés à prouver que les préjugés eux-mêmes.

Or, le débat sur l’antisémitisme, en France, s’éloigne souvent de cette logique factuelle. Il repose davantage sur des présupposés, des représentations et des jugements moraux que sur des actes répréhensibles au sens juridique.

Faut-il des commissions spécifiques ?

On peut dès lors se demander s’il est pertinent qu’un parti politique maintienne une commission exclusivement consacrée à l’antisémitisme, ou même au racisme d’ailleurs. 

La loi française encadre déjà sévèrement la discrimination, la diffamation et l’injure publique. Et la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est un principe non négociable de la démocratie républicaine.

Peut-être serait-il plus cohérent de créer une commission contre les discriminations et les atteintes à la dignité publique, plutôt qu’une structure segmentée par type de haine.

Cela dit, il faut reconnaître que ces commissions ont un rôle différent du droit pénal; elles ne punissent pas, elles préparent les consciences

Elles participent à la prévention, à la pédagogie et à la déconstruction des stéréotypes. Leur mission est d’agir en amont des délits, en s’attaquant à leurs racines culturelles et idéologiques.

Mais est-ce le rôle d’un parti politique d’expliquer aux français comment il doivent penser ? Possèdent-ils la légitimité et la crédibilité nécessaires à ce type de pédagogie. 

Oui, si le rôle du politique est ce qu’il devrait être, celui de rassembler. 

Évidemment non, si les partis politiques, influencés par les journaux d’information continue, continuent de diviser les français.

Antisémitisme et hostilité envers les Palestiniens

Revenons à la question initiale 

Détester un Palestinien, est-ce être antisémite ?

La réponse la plus consensuelle est non.

L’antisémitisme se définit comme une hostilité spécifique envers les Juifs, perçus comme un groupe religieux, culturel ou ethnique. L’hostilité envers les Palestiniens relève d’un autre registre, celui du racisme anti-arabe ou de l’islamophobie, voire d’une hostilité politique liée à l’occupation illégale de la Palestine.  

Et, à cette étape de la réflexion, il est toujours utile de rappeler que les palestiniens ne sont pas tous musulmans; la Palestine reste le berceau du christianisme et bon nombre de palestiniens appartiennent à l’une ou l’autre des obédiences chrétiennes.

Pourtant, la distinction entre “Juif” et “Palestinien” n’est pas toujours comprise. Confondre les deux termes n’est pas seulement une erreur linguistique, c’est une manière, souvent inconsciente, de délégitimer d’autres formes de racisme.

L’histoire singulière de l’antisémitisme

Pourquoi l’antisémitisme bénéficie-t-il d’une attention si particulière ?

La réponse tient en grande partie à son histoire.

Cette forme de haine a accompagné les sociétés européennes pendant des millénaires, culminant dans le génocide perpétré par le gouvernement allemand entre 1941 et 1945. Ce traumatisme historique a conduit les États modernes à lui accorder une vigilance exceptionnelle.

Mais il faut rappeler que le Code pénal français ne distingue pas entre les “phobies”. 

L’article 132-76 prévoit une circonstance aggravante générale pour tout acte commis en raison de l’origine, de l’ethnie, de la religion ou de la prétendue race de la victime.

Autrement dit, le racisme anti-arabe ou l’islamophobie sont déjà reconnus et censés être punis aussi sévèrement que l’antisémitisme.

Le problème, dès lors, n’est pas juridique, mais symbolique.

Le paradoxe du terme “antisémitisme

D’un point de vue étymologique, le mot “sémite” englobe aussi bien les Juifs que les Arabes, et donc les Palestiniens, des peuples issus d’une même racine linguistique et culturelle. 

Pourtant, le terme “antisémitisme”, vulgarisé au XIXe siècle par le journaliste allemand et notoirement raciste Wilhelm Marr, a été détourné de ce sens. 

Journaliste et député de gauche, Friedrich Wilhelm Adolph Marr cherchait à donner une justification pseudo-scientifique à sa haine des Juifs, en la détachant du religieux pour la rattacher à la “race”.

Dans son célèbre pamphlet Der Sieg des Judenthums über das Germanenthum vom nichtconfessionellen Standpunkt (La victoire du judaïsme sur le germanisme d'un point de vue non confessionnel), Marr prétendait en 1879 que sa critique des Juifs n'était qu'une réaction inévitable à leur comportement et que son “raisonnement” n'avait rien à voir avec des préjugés ou une hostilité religieuse envers les Juifs. C’est dans ce but qu’il fonde la première association politique antisémite de l'Empire allemand, die Antisemitenliga (la Ligue antisémite). En qualifiant les Juifs de “Sémites”, il détournait de manière raciste un terme qui désignait à l'origine une famille linguistique.

Marr entendait distinguer clairement son antisémitisme politique «éclairé» de l'antijudaïsme purement émotionnel et religieux chrétien afin de le faire passer pour un discours rationnel et de convaincre même les citoyens non croyants de la nécessité supposée d'exclure les Juifs.

En fait, le nom «antisémites» apparaît dans les écrits de Marr, mais pas le mot «antisémitisme»; cette néologie est apparue pour la première fois dans un article de journal sur la fondation de la Ligue antisémite en décembre 1879. L'adjectif «antisémite» est attesté pour la première fois dès 1860 chez Moritz Steinschneider.

Fondateur de la bibliographie hébraïque scientifique, Moritz Steinschneider était considéré comme le savant juif le plus universel de son temps”, notamment par le judaïste Günter Stemberger. En 1860, Moritz Steinschneider qualifia pour la première fois les clichés du philosophe et historien français Ernest Renan sur une prétendue «race sémitique» de “antisemitische Vorurteile” (préjugés antisémites).

Ainsi, par un glissement sémantique historique, le mot “antisémitisme” en est venu à ne désigner que la haine des Juifs, excluant arbitrairement les autres peuples sémites, notamment les Arabes.

Ce glissement, adopté ensuite par la loi et par les institutions, a donc paradoxalement consacré le vocabulaire d’un idéologue raciste.

Le double préjudice subi par les Arabes et les Palestiniens

C’est ici que surgit la question morale : 

N’y a-t-il pas une forme de racisme implicite dans cette distinction même ?

Les victimes du racisme anti-arabe subissent une double peine.

D’une part, la haine dont elles sont la cible, et d’autre part, la négation symbolique de leur identité sémite. En les excluant du champ du mot “antisémitisme”, on leur dénie une part de leur héritage linguistique, historique et culturel.

Cette hiérarchie sémantique engendre une hiérarchie de reconnaissance. Certains racismes paraissent plus “dignes” d’attention que d’autres, alors qu’ils procèdent tous du même fondement : la peur de l’Autre.

Le cas spécifique du racisme anti-palestinien

La situation des Palestiniens illustre cette tension avec une acuité particulière.

Réduire le racisme anti-palestinien à une simple islamophobie ou à une arabophobie revient à nier l’existence politique et nationale du peuple palestinien. Leur identité ne se résume ni à leur religion, ni à leur langue; elle s’enracine dans une histoire et dans une revendication territoriale.

Le racisme anti-palestinien, par conséquent, n’est pas qu’un racisme ethnique; il est aussi un racisme de déni d’existence, une haine nourrie par la négation d’un peuple et de ses droits.

Pour une égalité réelle dans la reconnaissance des racismes

Un parti politique réellement soucieux d’égalité devrait donc plaider non pas pour la redéfinition du mot “antisémitisme”, ce qui serait confus et juridiquement irréaliste, mais pour la parfaite égalité de traitement entre toutes les formes de racisme.

Chaque haine, qu’elle vise un Juif, un Arabe, un Africain ou un Asiatique (la liste n’est hélas pas exhaustive) doit être reconnue et sanctionnée avec la même rigueur.

Le véritable combat consiste à abolir la hiérarchie implicite entre les souffrances.

Nommer justement chaque forme de haine, sans la diluer ni la survaloriser, c’est déjà un acte politique de réparation symbolique.

L’usage exclusif du terme “antisémitisme” pour désigner la haine des Juifs perpétue malgré lui une injustice sémantique héritée d’un vocabulaire raciste du XIXe siècle.
Reconnaître ce paradoxe ne revient pas à nier la gravité de l’antisémitisme, mais à rappeler qu’aucune haine raciale ne mérite plus ou moins d’attention qu’une autre.

En niant aux Palestiniens leur identité sémite, ou en réduisant le racisme qui les vise à une simple islamophobie, on commet une double faute : on efface une identité et on banalise une oppression. Et rappelons encore que nombre de palestiniens sont chrétiens en Palestine.

Le combat contre toutes les formes de racisme ne peut être juste que s’il est totalement équitable, dans les mots comme dans la loi.

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