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Billet de blog 11 juin 2025

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Leçon de Transparence pour Matignon

Il y a du Necker dans David Guiraud et cela fait du bien. Necker était le ministre des finances de Louis XVI; une fois congédié pour être revenu sur les trop larges cadeaux fiscaux accordés à quelques privilégiés, il rédigea un rapport des finances publiques à l'attention de tous les français. Le livre fut un succès de librairie. La suite, on la connaît.

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David Guiraud dénonce le cambriolage mis en place par l'État sur la TVA © David Guiraud

Député de la Nation assemblée, David Guiraud met en lumière plusieurs mécanismes financiers jugés préoccupants. En 2024, sur les 212 milliards d'euros de TVA collectés par l'État, seuls 96,8 milliards apparaissent dans les documents budgétaires officiels, ce qui représente un manque de 115 milliards d'euros. Cette somme représente près des deux tiers du déficit public. Pire, plus de 110 milliards d'euros de TVA sont transférés discrètement vers la Sécurité sociale et les collectivités locales, sans vote parlementaire ni débat public. Ces transferts visent notamment à compenser des réductions de cotisations sociales pour les entreprises et la suppression de la taxe d’habitation.

Sur le plan fiscal, tous les Français ont payé plus d'impôts, à l'exception des 10% les plus riches.

Leur taux d'imposition réel a diminué de 17,5% à 15,2%. Des dispositifs comme le crédit d'impôt pour l'emploi à domicile et l'abattement sur les pensions de retraite bénéficient majoritairement aux plus aisés. 

Enfin, une nouvelle convention comptable introduite en 2024 fait passer les dépenses fiscales liées à la TVA de 23 à 11 milliards d'euros dans les documents officiels, masquant 12 milliards d’euros.

Nous ne soulignerons jamais assez l'importance pour les futurs dirigeants de maîtriser les rouages de la machine budgétaire pour garantir une démocratie fiscale réelle. Pour éviter la "redistribution à l’envers”, tout dirigeant politique se doit d’insister sur la nécessité de la transparence. Si elle ou il comprend sa fonction de représentant du peuple, son devoir démocratique est d’éviter que  la charge fiscale soit transférée des plus aisés vers les moins favorisés.

Explications :

Derrière les chiffres qui font peur, une réalité moins reluisante

Sous le régime Macron, le vote du budget de l’état est toujours l’objet d’un grand spectacle, soutenu par un pseudo suspense, savamment entretenu par les médias, il finit toujours par le même dénouement : le 49-3.

Toujours des chiffres apocalyptiques brandis comme des épouvantails : -5,8% de déficit, 3 305 milliards de dette, afin de donner des sueurs froides à n'importe quel contribuable normalement constitué. 

Mais avant de s'affoler, il est bon de mieux regarder. Il semblerait en effet que notre gouvernement pratique l'art délicat de l'illusion comptable avec un brio tout particulier.

La Stratégie du Choc à la Française

Imaginez un prestidigitateur qui vous montre sa main droite pendant que la main gauche fait des siennes. C'est un peu ce qui se passe selon l'analyse fine du député, membre de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. David Guiraud décortique cette mécanique bien huilée. D'un côté, on nous assène des chiffres effrayants pour sidérer le bon peuple et couper court à tout débat. De l'autre, on oublie opportunément de mentionner que les recettes fiscales nettes de l'État n'ont jamais été aussi élevées dans notre belle histoire de France.

Curieux, non ? Comment peut-on à la fois pleurer misère et battre des records de rentrées fiscales ? C'est là que l'affaire devient savoureuse...

La TVA, Cette Mal-Aimée qui Rapporte Gros

Depuis 2017, les rentrées de TVA ont explosé. De 163 milliards d'euros, nous voilà partis pour atteindre 222 milliards en 2025. Une progression qui ferait pâlir d'envie n'importe quel commercial en assurances.

Mais pour saisir toute la perversité du système, il faut remonter le temps. Jusqu'en 2018, la quasi-totalité de cette TVA filait directement dans les caisses de l'État. Un système somme toute logique : l'État collecte, l'État garde, l'État dépense. Simple comme bonjour.

Un Scandale d'État

En 2024, l'État collecte 212 milliards d'euros de TVA. Mais miracle de la comptabilité créative : seuls 96,8 milliards apparaissent dans les documents budgétaires officiels. 

Où sont passés les 115,2 milliards manquants ?

Cent quinze milliards : C'est 115 plus 9 zéros. 115 000 000 000. C'est déjà long à écrire, impossible à dépenser pour un contribuable, même centenaire, durant toute sa vie. Et pourtant c'est un tour de passe-passe réalisé en un jet d'écriture pour tout ministre du budget macroniste.

Pour vous donner une idée, cette somme représente pratiquement les deux tiers du déficit public qui nous fait tant pleurer. Autrement dit, si cette TVA n'était pas détournée de sa destination première, notre fameux déficit fondrait comme neige au soleil.

David Guiraud a raison de parler de "scandale d'État". Jamais dans l'histoire de la République, une telle dissimulation comptable n'avait été orchestrée avec une telle désinvolture.

Le Grand Jeu de Bonneteau Budgétaire

Mais où va tout ce “pognon de dingue” ?

Et c'est là que l’exercice devient délicieux.

2019 marque le grand basculement : Les transferts de TVA vers la Sécurité sociale explosent littéralement. De quelques milliards, on passe à 46 milliards d'euros, soit 26% du produit total de la TVA. 

Et ça continue, encore et encore
C'est que le début, d'accord, d'accord

En 2021, on passe à 53 milliards transférés à la Sécu, puis 57 milliards en 2022. Et en 2024, tenez-vous bien : 58 milliards partent vers la Sécurité sociale, tandis que 53 milliards supplémentaires s'évaporent vers les collectivités locales.

Motif officiel cette fois : Compenser les cadeaux fiscaux. Compenser les réductions de cotisations sociales accordées aux entreprises en échange de la suppression du fameux CICE et l'abandon de la taxe d'habitation.

La "TVA Sociale" Sans Débat Démocratique

Voilà comment on redistribue discrètement une "TVA sociale

Sans vote parlementaire, sans débat public, sans que les Français sachent qu'ils financent désormais via leurs courses quotidiennes les cadeaux fiscaux des plus fortunés.

Cette TVA sociale représente 5 points de PIB

Pour mesurer l'ampleur du détournement, rappelons que tout grand changement fiscal de cette envergure aurait dû faire l'objet d'un débat démocratique majeur. Au lieu de quoi, nos gouvernants ont procédé par petites touches, année fiscale après année fiscale, transférant discrètement cette manne vers d'autres budgets.

L'impact démocratique est considérable :

Comment les citoyens peuvent-ils exercer leur souveraineté sur des politiques fiscales qui leur sont sciemment dissimulées ?

Quand les Riches Payent Moins

Pendant ce temps, que se passe-t-il du côté des nantis ? 

Le Trésor public nous livre en 2024 une information croustillante : 

"Tous les Français ont payé plus d'impôts sauf les plus riches" en 2023. 

Pendant que monsieur et madame Tout-le-Monde voyaient leur ponction fiscale augmenter, les 10% les plus fortunés bénéficiaient d'une aimable réduction : leur taux d'imposition réel chutait de 17,5% à 15,2%.

Prenons quelques exemples concrets de cette générosité sélective :

Le crédit d'impôt pour l'emploi d'un employé à domicile coûte 6,7 milliards à l'État. 

Les 10% les plus riches empochent en moyenne 2 426 euros par foyer, soit 1,1 milliard au total. 

Les 10% les plus pauvres ? 838 euros en moyenne, soit moins de 400 millions au total. 

L'État aide donc les riches trois fois plus que les pauvres 

L'abattement de 10% sur les pensions de retraite représente 4,8 milliards d'euros. 

Les 30% les plus pauvres reçoivent moins de 8 euros par an. 

Les 10% les plus riches ? Plus de 900 euros annuels, captant à eux seuls 30% du coût total, soit 1,4 milliard 

La méthode David Guiraud

Qui se souvient du discours de politique générale de François Bayrou ? Pas grand-monde et c’est normal, il tenait plus du calendrier de l’avent que du programme de gouvernement

Le discours de David Guiraud contient, lui, les prémisses d’une véritable déclaration de politique générale. David Guiraud vient de nous offrir ce qui devrait être le modèle de tout candidat à Matignon : Une analyse budgétaire précise, chiffrée, documentée, qui révèle les mécanismes réels de gouvernement.

Car toute déclaration de politique générale devrait commencer par :

"L’année dernière, les recettes fiscales nous ont rapporté tant et nous avons dépensé tant.

Et cette année voilà ce que je compte faire en tant que premier ministre si les recettes fiscales sont maintenues"

Qu'est-ce qu'un programme politique sans maîtrise budgétaire ? De la poudre aux yeux, des promesses creuses. Comment peut-on prétendre diriger un pays sans décortiquer d'abord comment l'argent public circule réellement ?

Trop de prétendants auto-déclarés à Matignon nous servent des discours généraux dignes de Miss France ou pire s’enferment dans des mesurettes ridicules sans aucun effet sur le budget; l’idée est bêtement d’en appeler à leur électorat : l’immigration, l’islamophobie, voire l’écologie qui étrangement fonctionne sur le même format. 

Ils nous parlent de leurs peurs plutôt que de la gestion de la richesse publique. Personne ne leur demande de nous dire quoi penser sur tel ou tel sujet de société. On leur demande juste de bien gérer les finances publiques. Juste cela, et ce serait déjà bien.

David Guiraud, lui, nous montre les tuyaux, les robinets, les fuites. Il explique comment 115 milliards d'euros disparaissent des radars, comment une TVA sociale se met en place sans débat, comment les niches fiscales profitent massivement aux plus aisés.

L'Arnaque de la Redistribution à l'Envers

Cette démonstration implacable révèle l'arnaque en pleine lumière. Les "baisses d'impôts" tant vantées ne sont qu'un mirage. En réalité, il s’agit simplement d’un transfert de charge fiscale des épaules de ceux qui pouvaient la porter vers celles de ceux qui la subissent déjà.

La transformation de l'ISF en IFI fait perdre 4,5 milliards à l'État ? 

Qu'à cela ne tienne, on compensera avec la TVA du boulanger.

La suppression de la Cotisation de la Valeur Ajoutée des Entreprise (CVAE) coûte cher ? 

Hop, un petit transfert de TVA vers les collectivités locales.

Même l'abolition de la redevance audiovisuelle publique a été compensée par... devinez quoi ? La TVA.

Cette politique de classe menée avec une "intensité" et une "férocité" remarquables transforme notre système fiscal en véritable machine à redistribuer la richesse vers le haut.

L'Urgence Démocratique

Et pour parfaire l'illusion, nos comptables publics ont même inventé une nouvelle convention comptable en 2024. Grâce à cette petite astuce dénoncée par la Cour des comptes, les dépenses fiscales liées à la TVA passent magiquement de 23 à 11 milliards dans les livres. Douze milliards d'euros planqués sous le tapis. Même Houdini n'aurait pas fait mieux.

Face à cette réalité, tout candidat sérieux à la direction du gouvernement devrait commencer par là : Une radiographie complète des flux budgétaires réels. Car tant que la représentation nationale et les citoyens ignorent ces mécanismes de transfert, la démocratie fiscale reste un leurre.

Il y a du Necker dans ce David Guiraud.

Tout ministre du budget devrait avoir l’obligation dès la fin de sa nomination

de remettre un rapport public de ce qu’il a fait lorsqu’il était aux commandes.

L’exemple de David Guiraud devrait inspirer tous ceux qui aspirent aux responsabilités : Avant de promettre monts et merveilles, montrez-nous d'abord que vous maîtrisez les rouages de la machine budgétaire. Sinon, vos beaux discours ne vaudront pas un sou. 

L'Exigence de Transparence

La prochaine fois qu'un politicien vous promet la lune, demandez-lui d'abord : "Combien ça coûte, qui paie, et par quel mécanisme budgétaire ? 

S'il ne sait pas répondre avec la précision d'un David Guiraud, passez votre chemin. La France mérite mieux que des promesses en l'air financées par des tours de passe-passe comptables.

Tant que nous n'exigerons pas de nos dirigeants cette maîtrise budgétaire, nous continuerons à subir ce grand détournement démocratique. 

La Comptabilité publique, c'est la démocratie en action.

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