Tout d'abord relativisons le résultat du premier tour de l'élection présidentielle.
Comme en 2017, l’abstention est le véritable vainqueur. Avec 26,31% des inscrits, elle ridiculise le score du prétendu « vainqueur » de plus de 6% et le score de celle arrivée en « deuxième position » de presque 10%.
Pire, l’abstention arrive en tête dans 73 départements et territoires français. Soit dans plus de 68% des départements et territoires.
Dans une démocratie digne de ce nom, cette élection serait annulée et tous les candidats rendus inéligibles.
L’urgence démocratique nous enjoint de repenser notre mode de scrutin. Et l’analyse du vote Marine Le Pen nous montre le chemin.
Marine Le Pen est arrivée en tête dans 42 départements sur les 107 départements et territoires français définis par le Ministère de l'Intérieur.
Élément cocasse, Marine Le Pen a même remporté le département d'origine d'Emmanuel Macron, la Somme.
Selon Louis Alliot, vice-président du mouvement, Marine Le Pen est arrivée en tête dans 22 000 communes françaises, soit 61,11% des 35 000 communes qui constituent la France.
Or, La France est un pays particulier, avec une géographie particulière :
Au 1er janvier 2022, la France compte près de 68 millions d'habitants répartis sur environ 35 000 communes.
90% de ces communes ont moins de 3500 habitants. Elles représentent au moins 14 millions de français.
La loi du 7 août 2015 a redéfini l’organisation territoriale de la république.
Agrandissement : Illustration 2
Et ce fut une véritable révolution.
Il s’agissait de renforcer les intercommunalités. Celles-ci passèrent de 5 000 à 15 000 habitants. Même dans les territoires peu denses, le seuil minimal fût fixé à 5 000 habitants. Et la loi a imposé des transferts de compétences.
Les 34 951 communes françaises sont aujourd'hui réparties en 1254 EPCI (Établissement Public de Coopération Intercommunal) :
- 21 métropoles d'au moins 400 000 habitants
- 14 communautés urbaines de plus de 250 000 habitants
- 227 communautés d'agglomération de plus de 50 000 habitants
- 992 communautés de communes.
Auxquelles il faut ajouter la métropole lyonnaise, qui jouit d'un statut particulier, et les 4 dernières communes isolées
L’identité propre de la commune a été détruite… ainsi que son pouvoir de décision.
Ajoutée au nouveau découpage des régions, la transition fut trop rapide. Les français ont perdu leurs repères.
Ayant perdu leur repère communal et régional, beaucoup de français s'agrippent au fantasme national. Et le bouc émissaire n'est plus la réforme territoriale mais l'immigré rendu responsable de cette perte d'identité.
Le vote Marine Le Pen n’a donc rien à voir avec la mondialisation, ni avec une éventuelle paupérisation. Ses électeurs ne sont pas parmi les plus pauvres. Ils ont juste perdu leurs repères environnementaux... et peinent à s’en créer d’autres. Et on les comprend. Le nouveau découpage de la France ne correspond à rien.
Avant cette révolution administrative, l’identité de la France depuis Napoléon résidait dans le département. Tout français connaît son département, celui où il est né, celui où il vit voire celui où il finira ses jours. Les départements français ont le plus souvent une réalité écologique. Ils portent le nom d’un cours d’eau, d’une montagne facilement repérable dans l’environnement quotidien des français qui les habitent.
Quel français peut aujourd’hui dessiner les contours de sa région ?
Quel français connaît la circonscription électorale de celui qui est censé le représenter ?
Quel élu pourrait la dessiner ?
Donc plutôt que d'évoquer un vote raciste, voire d'extrême-droite, il serait plus judicieux de parler de vote identitaire. Le vote Marine Le Pen est le vote de la France périphérique.
D'ailleurs, le succès relatif du vote Jean Lassalle ne s'explique pas autrement. C'est le vote Marine Le Pen sans la xénophobie.
Car, ce type de vote n'appelle pas automatiquement une réponse raciste.
L'épopée zemmourienne a d'ailleurs montré les limites de l'exercice. Si elle veut réaliser son projet de rassemblement national, Marine Le Pen gagnerait à oublier ses obsessions xénophobes; Elle gagnerait à assumer ce vote périphérique. Un vote français. Un vote républicain puisqu'il permet de donner une voix à ces français délaissés par la classe politique germanopratine.
Evidemment, Marine Le Pen ne le fera pas. Elle est restée traumatisée par la campagne 2007 de son père. Marine était alors la directrice de campagne de Jean-Marie. Inspirée par Philippe Peninque et Alain Soral, Marine Le Pen a l'idée de s'ouvrir aux français d'origine immigrée. C'est un échec. Sarkozy en profite pour lui rafler le vieux fond raciste de l'électorat français. Nicolas Sarkozy réalisera en 2007 31,18% des suffrages exprimés au premier tour; Jean-Marie Le Pen, avec 10,44% des suffrages, sera éliminé dès le premier tour.
Honteuse et confuse, Marine jura mais un peu tard qu'on ne l'y reprendrait plus. Aussi lorsque Darmanin lui reprochera son racisme mou, ses mots sonneront comme un rappel de la campagne 2007. Marine Le Pen ne changera pas. Et c'est la raison pour laquelle elle devrait perdre cette élection.
Le vote raciste existe bien en France. Mais il est volatile comme on le voit bien dans le sud-est de la France. Il n'est en tous les cas pas l'apanage du Rassemblement National. Il se vend toujours au mieux-disant.
Ce qui est intéressant dans le vote Marine Le Pen, c'est le vote périphérique. Et c'est de lui dont il faut s'inspirer pour rebâtir un vote plus démocratique.
C'est un puissante niche électorale... dont devraient s'inspirer tous les autres candidats.
C'est d'ailleurs l'objet de cet article :
Repenser le mode de scrutin pour le rendre plus proche de l'électeur
Ce serait un mode de scrutin qui partirait du département pour ensuite englober la nation. Un mode de scrutin qui prendrait le temps de s'assumer et surtout qui donnerait au candidat le temps de se préparer. Un mode de scrutin dans lequel chacun se reconnaîtrait. Enfin un mode de scrutin à la portée de toutes les bourses et qui n'endetterait personne.
(la suite dans le prochain article...)