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Billet de blog 13 juin 2025

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Il était une fois en Syrie

"Il était une fois dans l’Ouest" raconte, de manière prémonitoire, les conflits du Proche‑Orient d'aujourd'hui. Tout y est : Le mariage ambigu du terrorisme et du capitalisme colonial. Sergio Leone signe en 1968 un western politique et visionnaire, dont les échos résonnent aujourd’hui avec une étonnante acuité.

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C'era una Volta il West - La Famiglia McBain Uccisa (HD) © EdenClipMovie

Sergio Leone, figure emblématique du western dit "spaghetti" — un terme teinté de mépris culturel, voire de racisme — signe avec Il était une fois dans l’Ouest une œuvre qui dépasse largement le cadre du divertissement. Derrière son récit de vengeance et de conquête, le film propose une lecture politique des rapports de force, qui fait étrangement écho aux conflits géopolitiques contemporains.

Sweetwater : L’eau, enjeu de tous les conflits

Dans Il était une fois dans l’Ouest, l’enjeu central tourne autour de Sweetwater, un territoire où la seule source d’eau devient un point névralgique. Autour de ce lieu, les figures s’affrontent et se croisent, chacune porteuse d’un symbole fort : 

  • Frank, le tueur froid et méthodique, bras armé du capitaliste Morton, incarne une violence rationalisée au service de l’expansion économique
  • Jill McBain, veuve solitaire et déterminée, fait figure de résilience féminine dans un monde brutalement masculin
  • Cheyenne, le hors‑la‑loi injustement accusé, évoque les laissés-pour-compte, constamment marginalisés
  • et enfin, l’Homme à l’harmonica, silhouette énigmatique et silencieuse, semble porter la mémoire des humiliés et des minorités qu’on préfère oublier.

Terrorisme et capitalisme : Revers d’une même médaille

Plus qu’un récit de vengeance, le film tisse une toile où la terreur n’est pas une fin en soi, mais un levier au service d’un ordre capitaliste naissant. Le massacre de la famille McBain n’est pas un élan de barbarie gratuite : il s’agit d’une opération stratégique pour consolider un pouvoir économique. Mais cette violence, loin de rester impunie, finit par s’éroder sous le poids d’une solidarité inattendue entre les opprimés. L’union, même fragile, de ceux que tout oppose devient ici le ferment d’une résistance. En cela, le film atteint une portée universelle, bien au-delà des codes du Far West.

Un film prémonitoire 

Ce que Sergio Leone a réalisé dans ce film dépasse la relecture des westerns traditionnels : il a livré une fresque lucide sur les dynamiques de pouvoir. Et ce n’est pas un hasard si, des décennies plus tard, cette œuvre résonne étrangement avec les conflits géopolitiques actuels. Les affrontements autour des ressources, l’instrumentalisation des identités, le recours à la violence pour faire avancer des intérêts économiques : tout cela, nous le voyons aujourd’hui, de façon parfois plus sophistiquée mais non moins brutale.

Le film met en lumière un mécanisme inquiétant : la manière dont le capitalisme peut manipuler les récits, créer des ennemis, exacerber les divisions… tout en récoltant les bénéfices du chaos. Dans ce contexte, la solidarité entre dominés — parfois improbable, souvent chaotique — devient l’un des rares contre‑pouvoirs capables de déstabiliser cette logique. C’est une leçon politique autant qu’humaine.

La Syrie : un Sweetwater moderne

Prenons un exemple contemporain : La Syrie. 

Si l’on transpose la logique du film à ce conflit, les parallèles frappent. Ce territoire est devenu l’épicentre d’un affrontement d’intérêts stratégiques, énergétiques notamment, où plusieurs puissances — régionales comme internationales — tentent d’imposer leur influence. Les populations civiles, quant à elles, se retrouvent prises en étau, réduites à des dommages collatéraux, tout comme les communautés oubliées du western.

Les groupes armés, y compris les organisations terroristes, jouent un rôle proche de celui de Frank et de ses hommes : Instaurer un climat de peur pour mieux servir certains desseins politiques ou économiques. Les alliances, souvent contre-nature, entre milices, États ou factions ethniques, rappellent les liaisons ambiguës dans le film, où les anciens ennemis finissent par s’unir face à une menace plus grande.

Le parallèle n’a rien de gratuit. Il montre combien certaines mécaniques du pouvoir — domination, exploitation, manipulation — sont profondément ancrées, et se répètent, même dans des contextes radicalement différents.

Sergio Léone, une masterclass cinématographique et politique

Il était une fois dans l’Ouest ne se contente pas d’être un chef‑d’œuvre du genre : il interroge, il dérange, il éclaire. Il nous pousse à regarder autrement les récits dominants, qu’ils soient cinématographiques ou politiques. Il nous rappelle que derrière chaque conquête se cachent des exclusions, des violences, des silences.

Il serait donc temps de dépasser l’appellation réductrice de "western spaghetti" pour reconnaître l’ambition et la portée politique du travail de Monsieur Sergio Leone. Ce n’est pas une imitation d’Hollywood, mais bien une relecture critique de ses mythes fondateurs. En ce sens, Il était une fois dans l’Ouest n’est pas seulement un film : c’est une leçon, à la fois de cinéma et de lucidité historique.

Sergio Leone: The Italian Who Invented America | Now on Showmax © Showmax

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