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Billet de blog 14 novembre 2025

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Le Quai aux fleurs ne répond plus

Derrière la résolution votée par certains députés sur les accords franco-algériens se cache bien plus qu’un simple geste politique. Entre droit, histoire et mémoire, l’Assemblée a cessé d’être nationale; elle est prise en otage par des nostalgiques qui veulent faire revivre à la France un passé qui lui fait honte.

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Le Quai aux fleurs ne répond plus : l'œuvre testament de Malek Haddad © La Librairie Algérienne

Le droit, la mémoire et la responsabilité

Prenons le temps de souffler un peu et de regarder les choses en face. La récente résolution votée par certains députés sur les accords franco-algériens a beaucoup fait parler, souvent plus par émotion que par réflexion. Or, derrière ce vote symbolique, se cache un enchevêtrement d’enjeux juridiques, constitutionnels et historiques qu’il serait dangereux de négliger.

Quand la politique oublie le droit

On entend souvent dire : «L’Assemblée a voté, c’est donc légitime.» Certes, l’article 34-1 de la Constitution autorise les assemblées à adopter des résolutions. C’est une respiration démocratique.

Mais ce même article fixe aussi une limite claire; aucune résolution ne peut comporter d’injonction au gouvernement ni mettre en cause sa responsabilité. En clair, ces votes sont des gestes politiques, pas des actes juridiques.

Et surtout, rappelons l’article 52 de la Constitution : « Le Président de la République négocie et ratifie les traités. » La diplomatie n’est pas un domaine partagé, c’est une prérogative présidentielle. 

Autrement dit, cette résolution n’a, juridiquement parlant, aucune force contraignante. Elle relève davantage du symbole que de la souveraineté.

Le droit ne s’improvise pas

Sur le plan international, un principe élémentaire s’impose; un accord bilatéral ne peut être dénoncé unilatéralement.

Le principe Pacta sunt servanda (les accords doivent être respectés) est au cœur du droit des traités. La Convention de Vienne sur le droit des traités stipule, en général, qu'une dénonciation unilatérale est illégale sauf disposition contraire dans le traité lui-même ou consentement de l'autre partie (cf Article 56).

Modifier l’accord franco-algérien de 1968 exige donc l’accord de… l’Algérie.

Et le plus ironique, c’est que ce principe n’a rien d’exotique. En droit des contrats, ici même en France, la règle est la même; aucun contrat ne peut être rompu par la seule volonté d’une partie. Qu’il s’agisse d’un traité ou d’un bail, le droit repose sur une idée simple, la parole donnée engage deux volontés, pas une seule.

D’ailleurs, si l’accord de 1968 venait à être abrogé, les accords d’Évian de 1962 reprendraient automatiquement vigueur. 

Et ces accords, eux, garantissaient la libre circulation, la libre entrée et la libre installation des Algériens en France

Un effet boomerang que certains semblent avoir négligé.

Les fantômes du passé

Ce débat n’est pas neutre. Il fait resurgir une mémoire encore vive, celle de la guerre d’Algérie, de l’exil, des blessures jamais refermées. Et dans cet héritage, un nom revient, celui de l’OAS, l’Organisation de l’Armée Secrète.

Cette organisation, terroriste et ennemie de la République, a semé la mort, de près de deux mille victimes, et deux fois plus de blessés. 

L’un de ses fondateurs, Robert Tabarot, fut le bras droit du général Jouhaud, condamné à mort avant d’être gracié par de Gaulle puis amnistié par le Parlement et enfin rétabli dans sa carrière militaire par Mitterand.

Ce qui dérange, c’est que certains héritiers politiques de cette période semblent encore prisonniers d’une vision inachevée de l’Histoire. Chez eux, l’idée d’une Algérie pleinement souveraine reste difficile à avaler. Et cette nostalgie, parfois déguisée en patriotisme, se traduit aujourd’hui par des gestes politiques qui ignorent la réalité du droit.

Ironie supplémentaire, le fils de Robert Tabarot est aujourd’hui ministre, et sa fille siège comme questeur à l’Assemblée nationale 

L’Histoire, décidément, a la mémoire tenace.

Choisir la lucidité

Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce n’est pas d’une guerre des symboles, mais d’un dialogue lucide et apaisé

Comprendre le droit, respecter la Constitution, assumer notre passé, c’est ainsi qu’on évite les postures et qu’on avance vraiment.

La relation entre la France et l’Algérie mérite mieux qu’un écran de fumée parlementaire. Elle réclame du courage, de la cohérence et une vraie vision diplomatique; pas des résolutions sans lendemain.

Le passé ne s’efface pas, il s’apprend. 

À nous, citoyens, d’exiger des responsables politiques qu’ils cessent de s’en servir comme d’un instrument de diversion. 

C’est à ce prix seulement que le futur franco-algérien pourra se construire, non sur des rancunes, mais sur le respect du droit et de la mémoire de deux nations souveraines.

Et pendant ce temps, le futur algéro-italien, algéro-norvégien, algéro-britannique, algéro-américain... se construit tous les jours dans l’apaisement. La Suède notamment prépare déjà les festivités de l'anniversaire des 300 ans de relations diplomatiques entre l'Algérie et la Suède. 

Strategic U.S. Engagement with Algeria (pdf, 5.6 MB)

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