Il y a ce que nous disent les sondages et que l'on entend; il y a ce que ne nous disent pas les sondages et que l'on entend quand même; il y a ce que nous disent les sondages et que l'on n'entend pas et il y a ce que que nous ne disent pas les sondages et que l'on n'entend évidemment pas. Le dernier sondage d’Ipsos BVA/CESI École d’ingénieurs pour La Tribune Dimanche n’échappe pas à la règle.
Le "Baromètre Politique Juillet 2025" d’Ipsos BVA/CESI École d’ingénieurs pour La Tribune Dimanche brossent le portrait d’une France incertaine, où les préoccupations économiques et sociales dominent largement le débat public.
L'exécutif traverse une période particulièrement difficile.
24 %. C’est tout ce qu’il reste du crédit politique d’Emmanuel Macron. Un chiffre qui claque comme un rappel à l’ordre, à quelques encablures de la fin de son second mandat. Pour mémoire, en 2017, il était accueilli par 46 % d’opinions favorables. Aujourd’hui, trois quarts des Français ne veulent plus en entendre parler.
Et son Premier ministre ? François Bayrou s’en sort encore moins bien : 19 % de soutien. En langage non technocratique : 81 % de défiance. Pas besoin d’être sociologue pour comprendre qu’on est loin de la lune de miel. À titre de comparaison, Édouard Philippe culminait à 72% d'opinions favorables en avril 2020.
Ce désamour ne tombe pas du ciel. Il s’ancre dans des frustrations très concrètes.
Lorsqu’on leur propose le pouvoir d’achat comme source de préoccupation, 42 % des Français en font leur objectif premier. Et les analystes politiques aiment à gloser sur le sujet.
Il feignent d’oublier que ce que nous dit le sondage est que 58 %, donc, n’en font pas leur priorité. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout. Les plateaux TV y voient une urgence absolue. Le terrain, lui, est plus nuancé.
Même logique pour la santé, les retraites; 35 % des Français s’en inquiètent. Cela veut dire, mathématiquement, que 65 % placent autre chose au sommet de leurs préoccupations.
Et ainsi de suite, inflation, salaires qui stagnent, impôts qui grimpent, tout est là, mais rien ne prend vraiment le dessus. Ce n’est pas un feu, c’est un brasier lent.
Le mécontentement populaire est la raison d’être des sondeurs. Non pas qu’il n’y ait pas de raisons d’être mécontent de la manière dont le budget est géré. Mais l’on oublie trop souvent que la politique est la recherche du bonheur, tout comme l’économie chère à Serge-Christophe Kolm.
Les peurs vendues en kit
Délinquance : 34 %. Immigration : 30 %. Dette publique : idem. Ces thèmes, toujours en vitrine, ne dominent pourtant pas les pensées d’une majorité; respectivement 66%, 70% et 70% n'en font pas leurs priorités.
Mais alors pourquoi semblent-ils omniprésents dans le discours politique et médiatique ? Parce que la peur, c’est plus simple à vendre. Et que les chaînes d’information continue, souvent détenues par quelques grands noms de la finance, ont besoin de drames, pas de subtilité.
Curieusement, personne ne songe à demander aux Français ce qui les rend heureux. Ce serait pourtant une piste intéressante, en juillet, à la veille des départs en vacances. Mais l’humeur nationale, ça se sculpte, et l’optimisme n’a jamais été très vendeur.
Un paysage politique présenté comme fragmenté
Les sympathisants du Rassemblement National placent l'immigration et la sécurité exactement là où on leur demande : C’est-à-dire cœur de leurs préoccupations, (respectivement à 64% et 47%).
L’idée est de créer un écart saisissant avec la moyenne nationale de 30% sur l’immigration; ce qui signifie que pour une large majorité de français, 70% soit plus des deux tiers en fait, ne situent ni l’immigration ni la sécurité au cour de leurs préoccupations.
Sauf évidemment si on le leur demande.
Les commentateurs aiment à parler de “France fragmentée”, un archipel de communautés.
En réalité, la diversité des opinions n’a rien d’anormal. Le RN pense immigration et sécurité (64 % et 47 % chez ses sympathisants), les écologistes misent sur l’environnement (69 %), les insoumis ciblent les inégalités (43 %), le PS reste accroché au modèle social. Classique.
Il est remarquable d’avoir à commander un sondage, nous espérons pas trop cher, pour constater ce que tout le monde sait déjà.
Ce qui est moins classique, c’est cette manie de présenter comme des révélations des données parfaitement prévisibles. Oui, les macronistes soutiennent Macron. Non, les insoumis ne l’approuvent pas. Fallait-il vraiment un sondage pour cela ?
Là où le sondage peut paraître pertinent, c’est lorsque l’on apprend que 9% des sympathisants de la France insoumise approuvent l’action du président.
Plus croustillant, 31 % des sympathisants Renaissance n’approuvent pas leur propre président. Voilà qui en dit long sur l’état de la majorité, une coalition qui ne tient plus que par habitude.
Et même si les instituts de sondage aiment à parler de fracture, force est de constater qu’il n’y a jamais eu meilleur consensus de l’opinion française dans l'appréciation de l'action présidentielle.
Agrandissement : Illustration 2
Le paradoxe vert
Il existe une autre incongruité sur laquelle IPSOS n’insiste pas bien qu’elle soit étonnamment révélatrice. Elle concerne les Écologistes.
Les électeurs écologistes ? Ils adorent la planète (69 %), évidemment. Mais ils s’intéressent aussi, plus que prévu, aux crises internationales (34%)
Un tiers d’entre eux place les conflits mondiaux avant le pouvoir d’achat (27 %) et les inégalités sociales (19 %).
Plus déconcertant encore, 10 % d’entre eux préfèreraient une victoire de l’extrême droite et 24% une victoire de la droite plutôt que la victoire d’une alliance de gauche.
Peut-être ont-ils juste perdu foi dans les coalitions impossibles. Peut-être aussi qu’un tiers des électeurs verts ne se reconnaît plus dans ce que la gauche est devenue. Peut-être plus sûrement que le soutien à l’OTAN ou à l’entité sioniste en Palestine occupée est plus important à leurs yeux que le bien-être des français.
L’arnaque des figures émergentes
Le sondage voudrait nous faire croire que certains ministres parviennent à tirer leur épingle du jeu.
Le principe est de donner des chiffres d’opinions favorables sans jamais préciser que la majorité y est défavorable.
Ainsi Bruno Retailleau et Gérald Darmanin sont présentés comme appréciés respectivement par 36% et 33% des Français. Ce qui signifie bien qu’ils ne le sont pas par respectivement près des deux tiers des électeurs, respectivement 64% et 67%.
Pas grave, avec un bon storytelling, un rien de fermeté, et quelques punchlines calibrées, les chaînes d’info en feront les visages de demain.
Et pour nous faire avaler cette soupe, on finira le raisonnement par un constat sur lequel tout le monde est d’accord, la chute continue de François Bayrou, et son éventuelle censure.
Du pur Bonneteau !
2027 en ligne de mire
On l’a bien compris. Les sondages ne sont pas là pour constater une opinion, mais pour la fabriquer. Ils ne prennent pas la température. Ils la créent.
C’est flagrant quand on lit les “intentions de satisfaction” pour 2027. Bardella ? 34 %. Le Pen ? 33 %. Ce qui veut bien dire qu’environ deux tiers des gens n’en sont pas satisfaits, un détail souvent glissé sous le tapis.
Même traitement pour Édouard Philippe, 27 % de satisfaits et donc 73% d’insatisfaits. Pourtant, il est présenté comme “l’alternative crédible”. Dans quel monde 27 % constitue une base solide ?
Qu’importe, à force de marteler l’idée que l’élection se jouera entre le RN et... personne, on finit par y croire. Ou pire, on s’y résigne.
Enfin une bonne nouvelle, un désir de démocratie
Dans ce fatras d’analyses biaisées, une lueur, 73 % des Français veulent une dose de proportionnelle.
Ce n’est pas un caprice de minorité, c’est un appel trans-partisan. Un besoin des électeurs français de voir leur vote compter autrement que dans un duel bloqué.
Autre indicateur d’un ras-le-bol larvé, la dissolution. 42 % sont contre, mais 59 % ne s’y opposent pas franchement et 31 % y sont carrément favorables. Pas forcément pour rejouer les cartes, juste pour respirer un peu.
Signe des temps, si des élections législatives étaient organisées aujourd’hui, les français souhaiteraient garder la fragmentation actuelle avec une domination sans majorité du Rassemblement National : 43 % des Français souhaiteraient voir le RN et ses alliés obtenir le plus de sièges, contre 29 % pour le Nouveau Front Populaire et 28 % pour l’alliance Ensemble-LR.
Ce n’est pas un triomphe idéologique. C’est un vote de rejet. Un cri, plus qu’un choix.
Reconstruire la confiance
Ce que ces chiffres disent, au fond, c’est que les Français ne demandent pas la lune. Ils veulent qu’on les écoute. Tout simplement.
Pas avec des tableaux Excel. Pas avec des narratifs prémâchés. Mais avec des idées. Avec du courage, aussi.
Alors, plutôt que de pleurer la fragmentation ou de fantasmer le “retour de l’ordre”, peut-être faudrait-il réapprendre à faire de la politique. La vraie. Celle qui ne se décide pas à huis clos ou sur un plateau, mais au contact du réel.
Parce qu’en juillet 2025, ce pays fatigué n’a pas besoin d’un nouveau sondage. Il a besoin d’un souffle.
L’étude, réalisée par Ipsos BVA et CESI pour La Tribune Dimanche, repose sur un échantillon de 1000 personnes, interrogées en ligne les 9 et 10 juillet 2025.
La représentativité est assurée par une méthode des quotas (sexe, âge, profession, agglomération, région) et une pondération incluant le vote aux élections présidentielle (2022) et européennes (2024). Ipsos, troisième groupe mondial du secteur, garantit la fiabilité par des contrôles rigoureux à chaque étape et une certification ISO 20252. L'intervalle de confiance est de 95%.
Toutefois, la fiabilité des sondages, surtout sur des sujets sensibles, est à nuancer. La représentativité statistique a ses limites.
Un panel de 1000 personnes, même rigoureusement constitué, peine à refléter les subtilités d’une société fracturée sur des sujets sensibles comme l’immigration. Des variations importantes existent selon l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, ou le lieu de résidence. Un échantillon trop agrégé peut lisser ces disparités et donner une image trompeuse de l’opinion.
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