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Quand le programme ne suffit pas
L'expérience de la NUPES nous a enseigné une leçon cruciale; un programme commun, aussi détaillé soit-il, ne garantit rien. Les mots se prêtent à l'interprétation, aux glissements sémantiques, aux "adaptations" une fois au pouvoir.
"Transition écologique", "justice sociale", "souveraineté populaire”, chaque famille politique signe en pensant imposer sa propre lecture le moment venu.
Le reproche de trahison surgit alors, inévitable, empoisonnant la coalition jusqu'à sa rupture.
De l’audace, toujours de l’audace, encore de l’audace
Et si nous renversions la logique ?
Plutôt que de chercher un consensus programmatique illusoire, organisons une répartition claire et assumée des responsabilités ministérielles. Chaque composante de la gauche obtiendrait les portefeuilles correspondant à ses forces, ses priorités, voire ses différences.
La France Insoumise et ses alliés proches, notamment le Parti Communiste et une partie des Écologistes, obtiendraient naturellement Matignon ou l'Élysée, garantissant ainsi le pouvoir d'arbitrage politique final.
À eux reviendraient également les ministères stratégiques, le Travail pour défendre le code du travail et les droits sociaux, l'Éducation nationale comme enjeu de société fondamental, les Affaires étrangères et la Défense pour affirmer une ligne diplomatique non-alignée sur l’atlantisme.
Le Parti Socialiste, de son côté, se verrait confier Bercy, le ministère de l'Économie et des Finances, où son expérience de gestion et sa crédibilité auprès des acteurs économiques seraient les plus utiles.
D'autres portefeuilles techniques comme la Fonction publique ou les Collectivités territoriales complèteraient son périmètre d’action.
Un pari risqué mais calculé
Confier Bercy au PS peut sembler contre-intuitif.
N'est-ce pas historiquement depuis ce ministère que sont venues les "trahisons" ? Strauss-Kahn sous Jospin, Macron sous Hollande, tous ont utilisé Bercy comme levier pour imposer un tournant libéral.
Mais rappelons le rapport de force actuel.
LFI est aujourd'hui la première force de gauche. Le PS, sans cette alliance, ne peut rien. Il a besoin de la coalition autant qu'elle a besoin de lui. Dans cette architecture, Bercy ne serait plus le centre du pouvoir, mais un ministère d'exécution sous la tutelle politique de Matignon.
Le ministre de l'Économie gérerait techniquement les finances publiques, rassurerait les marchés par sa présence, mais ne pourrait imposer ses vues sur les grandes orientations.
En cas de conflit entre l'austérité budgétaire et les réformes sociales, c'est le Premier ministre qui trancherait.
Le compromis, vertu politique
Évidemment, cette coalition suppose des compromis. Et alors ?
Le compromis n'est pas une trahison, c'est l'essence même de la politique démocratique dans une société pluraliste.
LFI devrait accepter que le PS gère Bercy et modère le rythme de certaines réformes.
Le PS devrait accepter de ne pas toucher aux politiques sociales et de suivre une ligne diplomatique non-atlantiste.
Les deux devraient négocier pied à pied sur la fiscalité, les relations avec l'Union européenne, le calendrier des transformations.
Des garde-fous institutionnels
Pour que ce modèle fonctionne, il faut des règles claires, inscrites dans un accord de coalition écrit et public :
- Définir très précisément les périmètres ministériels et les pouvoirs d’arbitrage
- Identifier des lignes rouges au-delà desquelles la coalition s'engage à se rompre plutôt qu'à renier ses principes
- Créer un mécanisme de règlement des conflits interministériels
- Assumer une transparence totale sur les désaccords assumés
L'inspiration pourrait venir des coalitions allemandes, où chaque partenaire a son domaine réservé, ses résultats à défendre, sa responsabilité claire devant les électeurs.
Un pari sur la maturité politique
Cette proposition repose sur un pari, celui de la maturité politique des militants et des électeurs.
Accepteront-ils que gouverner, c'est composer ?
Comprendront-ils qu'une coalition solide vaut mieux qu'une pureté stérile dans l'opposition ?
La culture politique française, habituée au "tout ou rien", au verbe haut et au compromis caché, devra évoluer.
Il faudra expliquer, assumer les concessions, justifier les arbitrages.
C'est difficile, mais c'est possible.
Sinon c’est le retour dans le désert
Quelle est l'alternative ?
Continuer à s'écharper sur des programmes-catalogues que personne n'appliquera ?
Refuser l'alliance et laisser la droite, voire l'extrême droite, gouverner par défaut ?
Ou pire, former des coalitions qui exploseront au premier désaccord, discréditant durablement l'idée même de gauche au pouvoir ?
La gauche française a devant elle un choix historique.
Elle peut continuer à cultiver ses divisions comme autant de marqueurs identitaires.
Ou elle peut inventer un nouveau modèle de coalition, fondé non sur l'illusion du consensus mais sur la reconnaissance lucide et organisée des différences.
Ce ne serait pas une alliance de dupes, mais une alliance d'adultes.
Pas un mariage d'amour, mais un contrat de raison.
Et peut-être, au fond, est-ce exactement ce dont la gauche a besoin pour renouer avec le pouvoir et transformer le pays.
L’histoire a montré qu’une France raciste n’est pas une France plus forte.
Aujourd’hui, la France a besoin plus que tout d’un retour de la gauche et d’un minimum de valeurs morales pour retrouver le statut qui est le sien dans le monde.