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Billet de blog 16 juillet 2025

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Judaïsme, identité et inclusion

Les débats actuels sur le lien entre identité, citoyenneté et religion prétendent être les conséquences d'une immigration récente. Pourtant, entre autonomie juridique, stratégies d’intégration et respect des différences, l’histoire du judaïsme antique offre des clés précieuses pour penser nos tensions contemporaines avec nuance et créativité.

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Illustration 1
© Louis François Couché

L’autonomisation du droit

L’un des apports les plus subtils du judaïsme antique à la pensée politique réside dans l’émancipation progressive du droit vis-à-vis du pouvoir politique.

À l’inverse des structures hasmonéennes, qui concentraient tous les leviers du pouvoir, l’autorité rabbinique a introduit une idée neuve, celle d’un espace juridique distinct, autonome. Une véritable révolution silencieuse.

Lorsqu’à l’époque talmudique, les sages refusent d’accepter une voix divine (la Bat Kol) pour trancher un débat juridique, ils envoient un message fort :

La loi ne relève pas de l’absolu, mais de l’interprétation humaine.

Cette histoire, connue sous le nom du four d'Akhnai illustre un principe audacieux : La prééminence du débat collectif sur la révélation divine.

Le miracle ne fonde pas la norme.

Rabbi Eliezer, défenseur d’une position minoritaire, est contredit par la majorité des sages, malgré les prodiges qu’il invoque. À la Bat Kol qui donne raison à Eliezer, Rabbi Yehoshua répond : 

« Ce n’est pas dans les cieux » (Dt 30:12).

Une intuition forte, qui résonne avec nos principes modernes de séparation des pouvoirs et d’État de droit. La parole divine elle-même ne saurait court-circuiter la rigueur du raisonnement.

Résister sans se renier

Face à l’hégémonie universaliste de l’Empire romain, les penseurs juifs ont su composer, plutôt que s’opposer. Ils adaptent certains concepts du droit romain, comme l’affranchissement des esclaves (manumissio) qu’ils accompagnèrent de l’obligation pour l’affranchi de fréquenter et de participer au culte synagogal de son maître. 

Les Sept Commandements des Enfants de Noé (les lois noahides) constituent une exception dans la loi juive, car ils s’adressent non seulement aux Juifs mais à tous les peuples de l’humanité. Alors que la Torah et la Halakha (loi juive) s’appliquent principalement aux Juifs avec leurs 613 commandements, ces sept lois sont considérées comme un code moral universel donné par Dieu à Noé après le Déluge, destiné à régir la conduite de tous les êtres humains.

Ces Commandements, offerts aux non-Juifs, qui imposent entre autres de ne pas tuer, de ne pas voler et d’établir des tribunaux de justice posent un cadre éthique sans exiger d’assimilation soit une inclusion qui respecte la différence.

Reconnaître l’autre sans se perdre soi-même.

L’adoption comme ancrage identitaire

La pensée rabbinique antique propose une filiation spirituelle fondée sur l’engagement plus que sur le sang. Le ger(converti) devient un "fils d'Abraham", pleinement intégré à la communauté. Une idée audacieuse, presque moderne, qui entre en tension avec d’autres modèles religieux fondés sur la foi ou la culture dominante. Cette intégration, codifiée, ritualisée, peut être rapprochée de nos processus contemporains de naturalisation.

On devient citoyen sans perdre son histoire.

De l’exclusion à l’excellence

L’adversité peut devenir un levier d’émancipation. L’exemple des médecins juifs à l’époque moderne en témoigne; exclus, ils font de leur savoir un outil de reconnaissance sociale et intellectuelle. Ce renversement du stigmate est une stratégie d’affirmation identitaire puissante, encore pertinente aujourd’hui.

Traduire sans trahir

Au XIXe siècle, le passage du yiddish hébraïque à l’allemand latinisé fut un acte de transmission culturelle. Il faisait écho à la Septante, traduction grecque de la Bible hébraïque au IIIe siècle av. J.-C. Plus tard, quand il s’est agi de créer l’état juif, c’est l’arabe qui a servi de base à la langue vernaculaire du nouvel état. Pendant ce temps, en Europe, le russe supplante le yiddish. 

Ces traductions posent une question toujours vive :

Jusqu’où peut-on transformer une tradition sans en perdre l’essence ?

Chaque réinterprétation est aussi une création. Ce qui vaut pour les textes vaut aussi pour les cultures diasporiques modernes.

Israël : Entre Droit et Foi

Aujourd’hui, les tensions entre reconnaissance civile et appartenance religieuse restent vives. En Israël, un citoyen reconnu par la Loi du Retour peut se voir refuser un mariage religieux. Cette dissonance entre sphères séculière et religieuse interroge bien au-delà du cas israélien : 

Comment conjuguer droits individuels et traditions communautaires ?

Faire dialoguer les contraires

L’histoire du judaïsme nous enseigne qu’il n’existe pas de réponse unique aux défis de l’inclusion. Mais une constante demeure; la créativité naît souvent de la tension entre tradition et ouverture. Du droit rabbinique à l’excellence intellectuelle, des conversions ritualisées aux traductions culturelles, le judaïsme a su construire des passerelles sans renier ses fondements.

Penser l’inclusion, c’est reconnaître la diversité comme une richesse à faire fructifier, non comme un problème à résoudre.

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