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Billet de blog 16 octobre 2025

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La France, son budget et Abilene, Texas

La scène se déroule à Coleman, Texas, sous une chaleur accablante qui colle à la peau. Une famille profite tranquillement du porche à l’ombre. Jerry est là, avec sa femme, chez ses beaux-parents. Tous semblent calmes, jouant aux dominos, sirotant une limonade… Jusqu’au moment où tout bascule.

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Illustration 1
© Yamine Boudemagh

Le beau-père, avec les meilleures intentions du monde, lance innocemment : 

"Et si on allait dîner à Abilene ?”

Abilene, c’est la ville à 80 kilomètres de là. Il faut trois bons quarts d’heure pour y arriver. 

Et là commence le plus extraordinaire ballet de malentendus que vous puissiez imaginer.

La fille s'exclame : 

"Oh, quelle bonne idée !”

Jerry, lui, est plus hésitant. 80 kilomètres ? Cette chaleur ? Il se dit intérieurement : 

"Hmm, je ne suis pas sûr..." 

Mais il pense que tout le monde a envie d'y aller; alors il se dit : 

"Bon, je ne veux pas être celui qui gâche la fête. Si ça fait plaisir à tout le monde…"  

Il accepte donc, avec un sourire un peu forcé.

Et la belle-mère ? 

Elle affirme avec enthousiasme : 

"Oh oui, allons-y, ça fait si longtemps "

Le domino commence à tomber… Le voyage de l’absurde se met en branle.

Alors , sous une chaleur infernale, dans une voiture sans climatisation, les voilà partis, tous les quatre, entassés dans cette voiture brûlante.

Le trajet est interminable, La chaleur insupportable, chacun transpire en silence, regardant défiler le paysage poussiéreux du Texas. 

Une fois à Abilene, la nourriture est... décevante, pour rester poli

Quatre heures plus tard, ils rentrent, épuisés, irritables, couverts de poussière

Et c'est là que survient le moment le plus incroyable de cette histoire

De retour sur le porche, quelqu'un ose enfin dire : 

"Bon... ce n'était pas vraiment le voyage du siècle, non ?”

Et là, BOUM ! La vérité éclate comme un feu d'artifice :

La belle-mère

"En fait... j'aurais adoré rester ici bien au frais. J'ai juste suivi par politesse”

Jerry

"Moi non plus je ne voulais pas y aller ! Je pensais vous faire plaisir”

La femme

"J'ai accepté uniquement pour que mon mari soit content”

Et le beau-père, celui qui a tout déclenché, révèle le summum de l'ironie : 

"Mais je n'avais pas vraiment envie d'y aller non plus. 

Je proposais ça parce que je pensais que VOUS en aviez envie"

En fait,  PERSONNE ne voulait aller à Abilene… Pas une seule personne 

Quatre personnes ont passé un après-midi épouvantable, gaspillé de l'essence, mangé un repas médiocre, et sont rentrées épuisées... pour une sortie que PERSONNE ne désirait

Cette gentillesse bien intentionnée a créé exactement l'opposé de ce que tout le monde voulait 

Cette histoire, c’est justement l’histoire de Sébastien Lecornu.

Le Premier Ministre a proposé un budget à la France pensant faire plaisir à son patron, à son groupe politique, à l’opposition, à l’ensemble des électeurs ou une majorité relativement relative d’entre eux.

Bon, d’accord, la gentillesse, j’y vais un peu fort.

Mais tout le reste y est.

D’ailleurs lorsque l’on examine le budget, on le voit bien :

Abilene est devenu Matignon. 

Les Cinq Coups de Théâtre Cachés du Budget

Pour financer son redressement et naviguer entre les groupes d'intérêts, le Projet de Loi de Finances 2026 recèle cinq mesures chocs, qui illustrent ce jeu de dupes permanent :

Le Squeeze Fiscal des Ultra-Riches

Pour donner des gages à la gauche et assurer une « juste répartition des efforts », Sébastien Lecornu va chercher 2,5 milliards d'euros du côté des plus aisés, espérant "charmer la gauche”, enfin une partie de la gauche, celle qui est le plus à droite :

  • Prolongation de la Contribution Différentielle sur les Hauts Revenus (Article 2)

La CDHR assure une imposition minimale de 20 % pour les foyers gagnant plus de 250 000 euros par an

  • Taxe sur les « holdings patrimoniales » (Article 3)  

Utilisées par environ 4 000 des plus riches foyers pour accumuler de la richesse financière, les « holdings patrimoniales » permettait de différer l'impôt personnel. C'est donc la fin de cette astuce légale qui expliquait la « perte de progressivité de l'impôt ».

Le Cartel contre les Hybrides

Le « Verdissement de la fiscalité sur les véhicules » s'accélère.

  • Fin de l'Exonération pour les Hybrides  (Article 13) : À partir du 1er juillet 2026, les hybrides rechargeables perdent leur exonération totale du « malus au poids » et y seront assujettis. Le signal est clair, l’État veut forcer le passage au tout-électrique.

La Taxe Mystère du Petit Colis

  • Taxe sur les Envois de Faible Valeur (Article 22) : Une « taxe sur les petits colis » est créée pour cibler le volume massif d'e-commerce à bas coût en provenance de l'extérieur de l'Union Européenne. Une manière de rééquilibrer la concurrence et de capter la manne du commerce en ligne.

Faire Payer Sarkozy

Le gouvernement met en place un mécanisme indirect pour que la Justice ne soit plus une facture totalement gratuite, visant symboliquement à « faire payer les frais de justice » en cas de condamnation.

  • L'amende de 50 € pour Plaider (Article 30) : Une nouvelle contribution de 50 € (timbre fiscal numérique) est créée pour engager la plupart des procédures devant un tribunal civil ou aux prud'hommes, destinée à financer l'aide juridique.
  • Frais d'Enquête à la Charge du Condamné (Article 46) : Les personnes condamnées pénalement devront désormais payer les frais liés à leur propre enquête et procès (sauf mineurs et bénéficiaires de l'aide juridictionnelle), un alignement sur le droit européen.

La Chasse aux Gaspillages

Sébastien Lecornu taille dans le soft pour rassurer les comptables :

  • Adieu l'Aide au Permis Apprentis (Article 80) : L'aide de 500 € pour le permis de conduire des apprentis est supprimée.
  • Coup de Rabot sur le CPF (Article 81): Le Compte Personnel de Formation (CPF) est resserré pour économiser 500 millions d'euros. Les « bilans de compétences » sont exclus, et les formations non certifiantes seront plafonnées. Le gouvernement justifie cette régulation par le fait que près de 40 % des coûts du CPF financent aujourd'hui des formations non certifiantes, alors que l'objectif initial du dispositif consistait à conduire à une progression des compétences sanctionnée par une certification.

Le dilemme du compromis impossible

Ce projet de loi de finances pour 2026 constitue un document d'une complexité politique inédite. 

En proposant simultanément l'abolition de la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE) pour séduire le patronat et une taxe sur les holdings patrimoniaux pour satisfaire la gauche, Sébastien Lecornu espère acheter une forme de paix sociale. 

Mais cette stratégie comporte un risque majeur; chaque mesure qui plaît à un camp irrite profondément l'autre.

La gauche dénonçera une taxation purement symbolique des riches, insuffisante au regard des besoins de financement des services publics. 

La droite hurlera contre ce qu'elle percevra comme une taxation masquée de l'activité économique, via notamment la taxe sur les petits colis et le malus sur les véhicules hybrides. 

Le patronat s'inquiétera des contraintes environnementales croissantes. 

Les associations de consommateurs critiqueront le renchérissement du commerce électronique. 

Les organisations de défense des droits s'alarmeront de la mise en place d'une justice payante.

En tentant de rallier tout le monde vers une cité imaginaire du budget équilibré, Sébastien Lecornu risque de se retrouver seul, sans le soutien entier d'aucun groupe politique. 

Le vrai défi de ce budget n'est pas technique mais éminemment politique. 

Dans un contexte de fragmentation parlementaire et de défiance généralisée, l'art du compromis trouve ses limites lorsqu'il transforme chaque mesure en demi-victoire pour tous et en demi-défaite pour chacun.

Reste à savoir si le Parlement acceptera de se laisser entraîner dans ce voyage frustrant où personne n'obtiendra vraiment satisfaction mais où chacun devra consentir des sacrifices au nom de l'intérêt général. 

L'équation budgétaire de Sébastien Lecornu ressemble à un pari audacieux; celui de croire qu'en déplaisant un peu à tout le monde, on finira par obtenir l'assentiment de tous. 

L'histoire politique suggère que ce pari est rarement gagnant.

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