L'histoire a tendance à oublier l'incroyable contribution des femmes dans le football. C'est pourquoi il est important de raconter l'histoire de l'interdiction du hijab par la Fifa et de celles qui ont contribué à la faire annuler.
Shireen Ahmed est écrivain, conférencière et militante sportive. Elle a reçu de nombreux prix. Elle s'intéresse aux femmes musulmanes dans le sport, ainsi qu'aux liens entre le racisme et la misogynie dans le sport. Les articles de Shireen Ahmed dans The Guardian ont, dans une très grande mesure, inspiré cet article.
Hier, le droit de manifester en France est mort. Ou peut-être avant-hier, je ne sais pas. La Préfecture de Police a interdit une manifestation. De jeunes françaises manifestaient pour le droit de jouer au football ou pour le droit d'exister tout simplement. Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.
Le droit de manifester son opinion publiquement est un droit fondamental. Il n'a pas être demandé ni autorisé, encore moins interdit. C'est même "l'un des droits les plus précieux de l'homme" nous rapelle le site de l'Elysee en publiant l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. L'article 10 est on ne peut plus clair :
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses,
pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.
Le trouble à l'ordre public est devenu la guillotine moderne du droit de manifester. C'est d'ailleurs l'excuse utilisée hier encore par la Prefecture de Police de Paris.
Asmahan Mansour était la jeune Canadienne au centre de la décision de la Fifa d’interdire le hijab sur le terrain. En 2007, la jeune footballeuse de l'Ontario a tenté de porter un foulard lors d'un tournoi et l'arbitre ne l'a pas autorisée à jouer. On lui a dit qu'elle pouvait l'enlever et jouer, mais que son hijab ne serait pas autorisé sur le terrain. En réaction, son équipe s'est retirée de l'événement organisé dans la ville québécoise de Laval.
L'affaire Mansour a été portée devant l'Association canadienne de football, puis devant la Fifa, qui a décidé de maintenir l'interdiction en exemptant les couvre-chefs qui exposent le cou. Malgré le fait qu'il n'y avait aucune donnée empirique qu'un hijab pouvait étrangler un joueur ou blesser un adversaire, le règlement sur l'équipement a conclu qu'il était dangereux. C'est sur cette base que l'arbitre a expulsé Mansour.
Le résultat est que Mansour n'a pas joué. Tout comme des milliers de filles et de femmes pendant les sept années qui ont suivi.
Au départ, la Fifa avait invoqué le "symbolisme religieux" pour justifier l'interdiction du port du couvre-chef. Mais cela s'est avéré trop difficile à appliquer compte tenu de la multitude de tatouages, de signes de croix et de célébrations de buts par des footballeurs masculins de premier plan qu'il aurait fallu surveiller et faire respecter. Elle s'en est donc tenue à des arguments de "santé” et de “sécurité".
Lors d'un match de qualification olympique contre la Jordanie en 2011, l'équipe féminine d'Iran a été interdite de jeu à cause de ses couvre-chefs. Elles portaient des foulards qui étaient censés répondre aux normes de la Fifa. Le cœur brisé et frustrées, les femmes ont quitté le terrain. Leurs rêves de football olympique ont été réduits à néant. Les photos des joueuses en sanglots ont été placardées dans les médias. Il ne s'agit pas d'un cas de femmes musulmanes opprimées par leur foi, mais d'un cas grave de femmes exclues par des règles draconiennes, créées par des hommes, imprégnées d'islamophobie sexiste et d'ignorance.
Mais les amoureux du ballon rond ont continue de rêver à un football pour tous…et toutes. Des supporters sont arrivés, dont Moya Dodd, de la Confédération asiatique de football, Assmaah Helal, joueuse et militante, et le prince Ali bin al-Hussein de Jordanie, alors vice-président de la Fifa et directeur de l'Association jordanienne de football. Ils ont mené des campagnes et se sont associés à Right 2 Wear, aux Nations unies et à Fifpro pour faire pression sur la Fifa afin qu'elle approuve ce morceau de tissu qu'on ne saurait voir.
Les femmes sont venues à la rescousse en proposant des modèles et des solutions pratiques aux problèmes créés par les hommes, problèmes qui empêchaient des milliers de personnes de pratiquer le sport qu'elles aiment.
Des entreprises telles que Capsters et ResportOn ont conçu des bonnets de sport en tenant compte des recommandations de sécurité de l'International Football Association Board, l'organe de décision des lois du jeu.
Le 1er mars 2014, après de nombreuses discussions, essais et clarifications, Jérôme Valcke, alors secrétaire général de la Fifa, a annoncé que les couvre-chefs religieux (y compris les hijabs, les turbans pour les hommes sikhs et les kippas pour les hommes juifs) seraient autorisés sur le terrain. Il était entendu que ces couvre-chefs seraient conformes aux règles médicales de l'Ifab.
En octobre 2016, moins de deux ans après l'annulation de l'interdiction du foulard dit islamique, la Coupe du monde féminine des moins de 17 ans s'est tenue à Amman, en Jordanie. C'était la première fois que le foulard était autorisé lors d'un grand tournoi de la Fifa.
Ce fut un moment important - et pourtant largement ignoré - dans le football. Le football est pour nous tous. Parfois, il suffit de femmes pour le prouver.