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Billet de blog 17 juin 2025

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Les défis concrets de l'autodétermination

Comment transformer un principe juridique noble en réalité concrète pour des millions de personnes ? C'est tout l'enjeu de du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes au XXIe siècle. Ou quand les peuples reprennent leur destin en main...

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Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes fait partie de ces grands principes qui font vibrer les cœurs et alimentent les débats diplomatiques. Mais que se passe-t-il vraiment quand on tente de le mettre en pratique ? Entre les aspirations légitimes des peuples et les résistances du système international, le chemin est semé d'embûches fascinantes à explorer.

La longue marche vers la reconnaissance

Imaginez-vous privé de la capacité juridique de signer un contrat simplement parce que vous appartenez à un certain groupe. C'était la réalité des peuples autochtones jusqu'à récemment dans le droit international. Avant 1926, ces communautés concluaient pourtant des traités avec les puissances coloniales, mais le système juridique international leur a progressivement retiré cette capacité.

L'affaire de l'Île de Palmas en 1928 et le différend du Groenland oriental en 1933 ont ainsi balayé d'un revers de main des siècles d'accords, décrétant que les peuples autochtones ne pouvaient créer de droits en droit international. Une négation juridique aux conséquences dramatiques pour des millions de personnes.

Heureusement, les mentalités ont évolué. Le tournant s'amorce en 1966 avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui proclame solennellement, dans son article premier, que "Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.". Mais c'est vraiment en 1990 que les choses bougent concrètement.

L'affaire des Lubicon de l'Alberta marque un moment historique. Cette communauté autochtone canadienne voyait ses terres ancestrales concédées pour l'exploitation gazière, pétrolière et forestière sans son consentement. Le Comité des droits de l'homme de l'ONU a tranché : C'était bel et bien une violation de leurs droits fondamentaux. Cette décision a ouvert la voie à une reconnaissance progressive des droits des peuples autochtones sur leurs territoires et ressources.

Aujourd'hui, ces communautés peuvent légitimement revendiquer le maintien de leurs liens spirituels avec leurs terres et la gestion de leurs ressources pour les générations futures. Une évolution majeure qui redessine les contours de l'autonomie sans remettre en cause l'intégrité des États.

Quand l'économie menace la souveraineté politique

Julius Nyerere, l'ancien président tanzanien, l'avait bien compris en 1979 : Une souveraineté politique sans indépendance économique reste un leurre. Cette intuition s'est révélée prophétique face aux défis actuels.

La crise de la dette des années 1980 a marqué un tournant dramatique. Le FMI et la Banque Mondiale ont imposé leurs fameux Programmes d'Ajustement Structurel aux pays en développement. Privatisations forcées, réduction des dépenses publiques, dérégulation : Ces mesures ont souvent affaibli la capacité des États à garantir les droits fondamentaux de leurs citoyens.

L'exemple bolivien est saisissant. Au milieu des années 1990, le gouvernement de Sánchez de Lozada privatise les réserves de gaz et de pétrole. Résultat ? Les revenus de l'État s'effondrent au profit de sociétés transnationales étrangères. Une leçon amère sur les limites de la souveraineté face aux pressions économiques.

Les entreprises multinationales jouent désormais un rôle majeur dans cette équation, comme le montre l'exemple troublant de la mine d'or de Marlin au Guatemala. En 2003, les sociétés Goldcorp et Montana obtiennent une concession d'exploitation sans consulter les communautés indigènes locales. Depuis 2005, cette mine menace gravement l'accès à l'eau potable, au logement décent et à la santé des populations. Pire, seule une infime partie des revenus miniers profite réellement aux Guatémaltèques.

Cette dynamique s'amplifie avec le phénomène d'accaparement des terres, en forte croissance depuis 2006. Des investisseurs privés et des gouvernements étrangers acquièrent massivement des terres arables dans les pays en développement, souvent sans consulter les communautés paysannes qui en dépendent pour survivre. Le Rapporteur Spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, Olivier de Schutter, a tiré la sonnette d'alarme en 2010;  ces pratiques menacent directement la sécurité alimentaire des plus vulnérables.

Des recours inégaux mais porteurs d'espoir

Face à ces violations, comment les victimes peuvent-elles faire valoir leurs droits ? La réalité est contrastée, mais des victoires encourageantes émergent.

Certes, le droit à l'autodétermination sur les ressources naturelles est rarement invoqué directement devant les tribunaux nationaux. Mais les droits des peuples autochtones trouvent parfois protection grâce à d'autres instruments juridiques comme la Convention 169 de l'OIT ou les constitutions nationales.

L'Argentine, la Bolivie, l'Inde et l'Afrique du Sud ont ainsi montré la voie. L'affaire Kenneth George en Afrique du Sud, en 2007, reste exemplaire;  la Haute Cour du Cap de Bonne-Espérance a contraint le gouvernement à réviser sa législation sur les ressources marines pour garantir que leur exploitation bénéficie aux communautés de pêcheurs traditionnels.

Plus spectaculaire encore, certains États ont repris le contrôle de leurs ressources. La Bolivie, inspirée par les recommandations de Jean Ziegler en 2008, a nationalisé ou renégocié ses contrats pétroliers pour investir les profits dans les droits sociaux de sa population. La Russie, en rachetant le trust pétrolier Yukos en 2005, a également réaffirmé le contrôle étatique sur ses ressources énergétiques.

Ces exemples, bien que minoritaires, prouvent qu'une autre voie est possible : Celle d'une souveraineté économique au service du bien-être des populations.

Protection ou instrumentalisation ?

La question de l'intervention extérieure demeure l'un des points les plus sensibles du droit international contemporain. D'un côté, le principe de souveraineté étatique,  de l'autre, la nécessité parfois urgente de protéger les populations.

La "Responsabilité de Protéger" et l'intervention humanitaire ont émergé comme des réponses à ces dilemmes. Mais leur application soulève des questions légitimes. Les interventions en Afghanistan, en Irak, en Lybie ou en Haïti ont montré les risques d'instrumentalisation géopolitique de ces concepts nobles.

L'intervention de l'OTAN en 1999 en Serbie-et-Monténégro, au profit de l'Armée de Libération du Kosovo, illustre parfaitement cette ambiguïté. Menée sans mandat du Conseil de Sécurité, elle a certes contribué à arrêter des violences massives, mais elle a aussi créé un précédent controversé.

La multiplication des conflits armés non internationaux complique encore la donne. Comment traiter avec des groupes armés non étatiques ? Quelle responsabilité leur attribuer ? Ces questions, analysées par des experts comme Zakaria Daboné, révèlent les limites du cadre juridique actuel face à la complexité des conflits contemporains.

L'usage croissant de mercenaires, fermement condamné par l'Assemblée Générale de l'ONU en décembre 2023, illustre une autre dérive préoccupante. Ces acteurs de l'ombre violent les droits humains et entravent l'exercice de l'autodétermination, tout en bénéficiant d'une impunité quasi-totale.

Construire l'avenir de l'autodétermination

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'est pas un concept figé dans le marbre juridique. Il évolue constamment, refletant les tensions d'un ordre international qui peine à concilier souveraineté étatique et aspirations des peuples.

Des avancées significatives ont été accomplies, notamment pour les peuples autochtones et la reconnaissance de la dimension économique de l'autodétermination. Mais de nombreux défis persistent, et leur résolution nécessite une approche nuancée et pragmatique.

L'enjeu pour la communauté internationale est triple : Renforcer les mécanismes de mise en œuvre du droit à l'autodétermination, assurer la responsabilité des acteurs étatiques et non étatiques, et prévenir l'instrumentalisation des principes juridiques à des fins géopolitiques.

C'est dans cette quête d'équilibre délicat entre idéal et réalisme que réside la promesse d'un droit international véritablement capable de garantir aux peuples le droit de déterminer leur propre destin. Un défi de taille, mais qui en vaut la chandelle pour des millions d'êtres humains aspirant légitimement à la liberté et à la dignité.

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