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Billet de blog 17 juin 2025

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Pourquoi l’Europe doit casser ses chaînes pour exister ?

Article publié le 9 Février 2025

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’Union européenne ne pourra pas affronter les défis du XXIe siècle avec un marché conçu pour le XXe. Dépasser les blocages nationaux, investir massivement et impliquer les citoyens telles sont les conditions d’une renaissance européenne.

Outil d’intégration et de prospérité, le marché unique européen a été forgé dans un autre siècle, à l’époque bénie où l’on croyait qu’en libéralisant les échanges, la croissance et la convergence viendraient mécaniquement.

Mais cette machine, autrefois flamboyante, tourne aujourd’hui à vide face aux crises écologiques, sociales et géopolitiques du XXIe siècle. 

Il est temps de dépoussiérer l’édifice, non pour le rafistoler, mais pour en faire le levier d’une souveraineté écologique, d’une solidarité sociale et d’une indépendance stratégique assumée.

Un marché construit pour hier

Depuis des décennies, l’Union européenne s’est bâtie autour de ses quatre libertés fondamentales : libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Mais peut-on encore considérer ces piliers comme intouchables, lorsque l’un (les capitaux) alimente autant l’évasion fiscale que l’investissement productif, et qu’un autre (les biens) favorise une dépendance accrue aux ressources fossiles ou aux chaînes d’approvisionnement dominées par d'autres puissances ?

Le monde a changé. Le marché unique, lui, reste figé dans une vision dépassée, où la fluidité des échanges serait une fin en soi, sans se soucier de leurs impacts sociaux, environnementaux ou stratégiques.

Des diagnostics convergents, une Europe qui piétine

Deux rapports récents viennent pourtant nous rappeler à quel point l’Europe reste empêtrée dans ses propres contradictions.

D’un côté, Enrico Letta dans Much More Than a Market souligne un paradoxe absurde: l’Union ne mobilise que 33% de son épargne domestique pour investir dans son avenir, quand les États-Unis en réinjectent plus de 70%.

Résultat : Un manque à gagner de 300 milliards d’euros d’investissements par an, qui prive l’économie européenne de souffle.

MUCH MUCH MORE MORE THAN A THAN A MARKET (pdf, 1.8 MB)

De l’autre, le rapport The Future of European Competitiveness insiste sur la fragmentation des marchés européens, cette mosaïque réglementaire qui étouffe nos industries et empêche l’émergence de véritables champions capables de rivaliser avec les mastodontes américains ou chinois.

Mais au-delà des divergences, ces rapports posent la même question : Combien de temps l’Europe acceptera-t-elle de rester une puissance inachevée, incapable de dépasser ses blocages internes ?

The future of European competitiveness (pdf, 3.9 MB)

L’Europe schizophrène

L’exemple récent du mariage avorté entre UniCredit et Commerzbank est révélateur. Derrière les discours de façade sur l’intégration financière, les États membres restent enfermés dans une logique de souveraineté défensive, prêts à torpiller toute tentative de consolidation dès qu’elle touche à leurs intérêts nationaux.

Cette schizophrénie européenne n’est plus tenable : À force de tirer chacun sur la corde, elle finit par céder. Ce n’est pas un hasard si les citoyens peinent à voir dans l’Europe autre chose qu’une technostructure lointaine.

Une cinquième liberté : la liberté d’innover

Réinventer le marché unique, ce n’est pas simplement réajuster des paramètres économiques. C’est dépasser le cadre des quatre libertés historiques pour en ériger une cinquième : La liberté de la connaissance, de l’innovation et de l’éducation.

Prenons Galileo : Ce programme spatial européen est la preuve qu’une ambition commune, soutenue politiquement et financée collectivement, peut produire des résultats stratégiques concrets. Avec ses 30 satellites, un investissement de 10 milliards d’euros et des retombées économiques déjà estimées à plus de 50 milliards d’euros par an, Galileo montre ce que l’Europe peut accomplir… quand elle ose.

Qui a peur d’une Europe puissante ?

Mais chaque avancée vers davantage de souveraineté rencontre les mêmes résistances: Les dogmes budgétaires des pays dits "frugaux", les réflexes souverainistes, la peur panique de toute mutualisation.

Pendant ce temps, l'Europe disperse ses forces. Dans la défense, elle dépense 240 milliards d’euros par an… pour entretenir 178 systèmes d’armement différents, contre 30 aux États-Unis. Dans l’innovation, seuls 17% des PME européennes franchissent les frontières, contre 45% aux États-Unis.

À force de privilégier les intérêts particuliers,

l’Europe laisse aux autres le soin d’écrire les règles du jeu.

Financer l’avenir 

Les investissements nécessaires sont colossaux : 620 milliards d’euros par an pour la transition énergétique, 500 milliards pour relancer l’industrie innovante.

La réponse classique ? Les plans nationaux, les fonds aux montants dérisoires comparés aux besoins réels.

Pourtant, les solutions existent : Eurobonds permanents, taxe carbone aux frontières, taxe sur les transactions financières, renforcement du rôle de la Banque européenne d’investissement… Mais là encore, ce ne sont ni les outils techniques ni les idées qui manquent : C’est le courage politique, étouffé par des années d’austérité et de frilosité budgétaire.

Une Europe des citoyens

Cette réinvention ne peut réussir sans une dimension sociale et démocratique forte. 

Derrière les grands chiffres, ce sont 20 millions d’emplois européens qui seront affectés par la double transition écologique et numérique d’ici 2030.

Peut-on sérieusement laisser les perdants sur le bord de la route sans allumer une mèche politique ?

Un Fonds européen de transition juste, doté de 100 milliards d’euros, ou encore l’instauration d’un revenu minimum européen harmonisé, sont des prérequis si l’on veut que l’Europe sociale devienne réalité.

Mais surtout, pourquoi ne pas donner la parole aux citoyens eux-mêmes ? Une Conférence permanente de citoyens européens, tirés au sort, sur les orientations économiques redonnerait du souffle démocratique à une Europe trop souvent confisquée par ses élites.

Se renouveler ou disparaître

Face aux défis mondiaux, montée des autoritarismes, urgence climatique, rivalités géopolitiques, l’Europe ne peut plus se contenter d’être un simple marché sans boussole. Elle doit devenir un acteur politique à part entière, capable d’affirmer un modèle unique, mêlant prospérité partagée, autonomie stratégique et justice sociale.

Mais cela suppose d’en finir avec les demi-mesures. Ce n’est plus une question de savoir si nous devons transformer notre marché unique, mais quand nous aurons enfin le courage collectif de casser les chaînes qui nous empêchent d’exister pleinement.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.