L'identité chrétienne se manifeste de diverses manières au sein des institutions et des textes européens, bien que l'Union européenne se définisse officiellement comme laïque et pluraliste. Cette présence résulte d'une histoire complexe, de l'influence de certains États membres et de l'activisme de groupes d’intérêts.
Le Préambule du Traité de Lisbonne mentionne que l'Union "s'inspire des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de droit". L’usage du terme « religieux » masque fréquemment une réalité plus précise : celle d’une influence politique chrétienne institutionnalisée.
L’Article 17 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) stipule que "l'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres." Plus significatif encore, il ajoute que "l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations."
Cet article confère un statut privilégié aux relations entre les institutions de l'UE et les organisations chrétiennes, permettant une influence légale et institutionnalisée.
Cette relation se traduit concrètement par des rencontres régulières entre des représentants des églises (comme la COMECE, Commission des épiscopats de la Communauté européenne) et des organisations religieuses avec des commissaires européens, des députés européens et d'autres hauts fonctionnaires. Ces dialogues permettent aux églises d'exprimer leurs positions sur des projets de lois ou des politiques publiques. Le Parlement européen a même désigné une vice-présidente chargé de conduire le dialogue avec les organisations religieuses, principalement chrétiennes, témoignant d'une reconnaissance formelle de leur rôle.
Le 17 décembre dernier, leaders chrétiens et députés européens s'unissaient pour un "petit-déjeuner de prière" de Noël au Parlement européen. Le petit-déjeuner de prière a été organisé par le groupe de travail du PPE sur le dialogue interculturel et religieux, coprésidé par les députés européens Željana Zovko et Vangelis Meimarakis. La rencontre a rassemblé des membres du Parlement européen, ainsi que des responsables religieux de différentes églises chrétiennes. Parmi eux, le Père Manuel Barrios Prieto, Secrétaire général de la COMECE, le Révérend Frank Dieter Fischbach, Secrétaire général de la Conférence des Églises européennes (CEC), et le Révérend George Valcu, Secrétaire général du Comité des représentants des Églises orthodoxes auprès de l'Union européenne (CROCEU). Une délégation de l'Assemblée interparlementaire sur l'orthodoxie (I.A.O) était également présente. Au cours de l'événement, une prière œcuménique a été menée conjointement. Ils ont prié pour les institutions européennes.
La Conférence des Églises européennes représente 114 lieux de cultes de toutes les régions d'Europe. Par l'intermédiaire de son bureau à Bruxelles, la Conférence des Eglises européennes porte les préoccupations chrétiennes auprès de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe.

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Le mardi 28 janvier 2025, Son Éminence le Métropolite Athénagoras de Belgique et Exarque des Pays-Bas et du Luxembourg, a été reçu par Son Excellence Mme Antonella Sberna, Vice-présidente du Parlement européen. Le Métropolite Athénagoras était accompagné par le révérend prêtre George Valcu, Secrétaire général du CROCEU (Comité des Représentants des Églises Orthodoxes auprès de l’U.E.). Au cours de la conversation, le Métropolite Athénagoras a remercié la vice-présidente pour sa réception et a rappelé que l’Église Orthodoxe dispose d’un bureau auprès de l’Union Européenne depuis 1995. C’est à la demande du président de la Commission Européenne de l’époque, M. Jacques Delors, que le Patriarcat Œcuménique a établi son bureau à Bruxelles. Mme Sberna a révélé qu’elle aimerait organiser plus de réunions par an, non seulement à Bruxelles, mais aussi dans les États membres de l’Union Européenne.
Le Préambule de la Charte des droits fondamentaux de l'UE évoque un "patrimoine spirituel et moral" de l'Union, qui renvoie implicitement aux valeurs chrétiennes. Ces valeurs "indivisibles et universelles" sont souvent présentées comme découlant du christianisme.
De nombreux leaders politiques européens, y compris des figures de proue de la construction européenne comme Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, souvent appelés "pères fondateurs", étaient des démocrates-chrétiens convaincus. Leur vision d'une Europe unie était souvent imprégnée de leurs convictions chrétiennes de paix, de réconciliation et de solidarité. La "doctrine sociale de l’Église" est la figure de proue de l'entrisme chrétien.
L'influence démesurée du Parti Populaire Européen (PPE)
Au cœur de cette dynamique se trouve la toute-puissance du Parti Populaire Européen (PPE). Avec 188 députés issus de l'ensemble des Etats membres, le Groupe PPE est le groupe politique le plus important du Parlement européen. Et ses racines historiques sont profondément ancrées dans la démocratie chrétienne.
Au sein même du PPE, un groupuscule particulièrement influent se réclame du christianisme politique. Ce courant, bien qu'il ne représente pas la totalité du PPE, constitue une force non négligeable, regroupant au moins 15% des députés européens. Il est important de noter que nombre de ces députés chrétiens sont issus de la CDU/CSU allemande, dont les origines chrétiennes et l'engagement envers des valeurs chrétiennes sont hautement affirmés et constituent un fondement de leur identité politique.
Ces élus, profondément enracinés dans les valeurs et les principes chrétiens, ne se contentent pas d'exercer de l'influence ; ils ont le pouvoir de peser sur les législations, de modeler les agendas politiques et d'orienter les débats sur des sujets cruciaux. Leur cohésion et leur capacité à mobiliser des alliances au sein du PPE leur confèrent une force de frappe politique considérable.
L'influence croissante des lobbys chrétiens
Au-delà de cette faction interne au PPE, des groupes tels que le Parti Politique Chrétien Européen (ECPP) œuvrent activement à la promotion de valeurs chrétiennes au sein de l'Union européenne. Anciennement connu sous le nom de Mouvement Politique Chrétien Européen (ECPM), ce parti rassemble des formations nationales et des individus partageant une vision de la politique influencée par la démocratie chrétienne et la droite chrétienne.
Des évêques européens ont récemment appelé les institutions de l'UE à un dialogue accru avec les églises et ont exhorté les candidats parlementaires à intégrer les principes chrétiens dans leurs programmes politiques.

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Le cas Niels Geuking : une tradition familiale politique
L'examen de certaines carrières politiques au sein du Parlement européen révèle une dimension particulière de cet entrisme : la transmission de mandats au sein de lignées familiales. Le député allemand Niels Geuking, membre du Parti des Familles d'Allemagne (Familien-Partei Deutschlands), incarne parfaitement cette dynamique. Son parcours politique est inséparable de celui de son père, Helmut Geuking.
Niels Geuking a accédé au Parlement européen le 5 février 2024, en tant que successeur de son père, Helmut Geuking. Ce dernier, bien qu'élu lors des élections européennes, a choisi de ne pas siéger, laissant ainsi la place à son fils. Cette passation de pouvoir, dans la pure tradition chrétienne où l'héritage et la continuité familiale sont souvent valorisés, est significative. Elle illustre comment, pour certains, la vie politique peut être perçue comme une affaire de lignée, où le "siège" est conservé au sein du cercle familial, par la "grâce" d'une filiation.
Cette pratique n'est pas unique au sein de la politique européenne, mais elle prend un relief particulier dans des partis qui mettent en avant des valeurs familiales traditionnelles et une identité chrétienne forte. Elle interroge sur la méritocratie et la représentativité réelle des élus, surtout lorsque l'accès à un poste aussi important que celui de député européen semble davantage lié à un héritage qu'à un processus de sélection indépendant et compétitif.