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Billet de blog 24 janvier 2025

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Redonner du sens au mot « racisé.e »

Dans le tumulte médiatique et politique, certains mots, à force d’être détournés ou mal compris, finissent par nourrir les travers qu’ils étaient censés combattre. Le mot « racisé.e » en est un exemple frappant.

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Illustration 1

Initialement conçu pour analyser les mécanismes du racisme et dénoncer les systèmes de domination, le mot «racisé.e» se retrouve aujourd’hui souvent instrumentalisé ou mal employé, au point de banaliser l’injustice qu’il devait mettre en lumière. Revenir à son sens originel est nécessaire pour redonner de la force à la lutte contre les discriminations.

Une origine critique et engagée

Le terme «racisé.e» a été forgé par la sociologue et féministe française Colette Guillaumin dans son ouvrage «L'idéologie raciste»  (1972). Ce concept repose sur l’idée de «racisation», un processus par lequel un groupe dominant construit socialement des catégories raciales pour exclure, hiérarchiser et opprimer.

Dans sa définition originale, «racisé.e» ne désigne pas une identité innée ou un trait intrinsèque, mais une assignation externe, un regard discriminant imposant une différence pour justifier l’exploitation ou l’oppression. Ainsi, le terme avait une portée critique claire : dénoncer les systèmes de pouvoir qui fabriquent les inégalités raciales.

Une diffusion aux effets paradoxaux

Depuis son intégration au dictionnaire «Le Robert» en 2018, le mot s’est largement diffusé dans le langage courant. Si cette vulgarisation a permis de rendre visible la réalité des discriminations raciales, elle a également entraîné une simplification de sa signification. Dans certains discours, être « racisé.e » est présenté comme une condition figée ou une essence, renforçant une vision binaire et statique entre «racisés» et «non-racisés».

Ce glissement sémantique réduit la portée critique du terme. Au lieu d’analyser les dynamiques de pouvoir qui produisent le racisme, il devient parfois une étiquette identitaire. Pire, cette vision figée contribue à perpétuer les catégories raciales que le concept cherchait initialement à déconstruire.

Dans certains médias ou débats, une personne décrite comme «racisée» est présentée avant tout comme une victime permanente du racisme, sans que soient explorés les contextes sociaux, économiques ou politiques dans lesquels cette assignation se produit. Cette approche peut finir par essentialiser une expérience individuelle ou collective, alors même que le terme visait à dénoncer ces assignations.

Le danger des raccourcis

Cette simplification ne profite qu’à ceux qui souhaitent détourner ou discréditer les luttes contre les discriminations. Par exemple, des individus malintentionnés peuvent utiliser le terme «racisé.e» de manière ironique ou pour minimiser les revendications, en prétendant que les concernés se sont eux-mêmes enfermés dans cette catégorisation. En outre, certains discours tendent à nier que des membres de groupes dominants puissent être victimes de discrimination raciale, bien que le racisme, sous ses multiples formes, puisse toucher différentes populations.

Revenir à une approche relationnelle

Pour redonner toute sa pertinence au terme «racisé.e», il est crucial de ne pas l’employer sans son corollaire : «racisant.e». Le racisme est un phénomène relationnel. Parler de «racisé.e» sans évoquer ceux qui perpétuent le racisme revient à figer les rôles et à dépolitiser les inégalités.

En outre, il est essentiel de rappeler que le racisme n’est jamais la cause unique des inégalités économiques et sociales. Il en est une circonstance aggravante, un symptôme des systèmes de domination. Défendre les droits des personnes discriminées ne devrait pas passer par leur assignation à des catégories raciales, mais par la reconnaissance de leur statut de citoyen.ne.s à part entière, égal.e.s en droits.

Une responsabilité collective

Les mots ont un pouvoir. Leur emploi dans l’espace public façonne nos perceptions et nos actions. Plutôt que de figer les identités ou d’alimenter des clivages, nous devrions nous efforcer de recentrer les débats sur les structures d’oppression à déconstruire.

Si nous choisissons de continuer à utiliser le terme «racisé.e», alors adoptons une cohérence : utilisons-le avec précision et rigueur, en rappelant les systèmes et dynamiques qu’il vise à dénoncer. Et si nous choisissons de l’écarter, que ce soit au profit d’une langue qui met l’accent sur les discriminations et les inégalités structurelles, plutôt que sur les identités assignées.

Défendre les droits de toutes et tous passe par cette responsabilité collective dans l’emploi du langage et la façon dont nous choisissons de décrire et de transformer la réalité sociale.

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