Yamine Boudemagh (avatar)

Yamine Boudemagh

Citoyen Hyper-Engagé

Abonné·e de Mediapart

304 Billets

2 Éditions

Billet de blog 24 mars 2022

Yamine Boudemagh (avatar)

Yamine Boudemagh

Citoyen Hyper-Engagé

Abonné·e de Mediapart

Abraham et la vie politique française

Abraham est un prophète particulier. Il est le premier à se poser la question de la représentation. Ses conclusions s’appliquent parfaitement à la vie politique : Le représentant fait oublier le représenté. Le candidat d’un courant politique n’est pas le courant politique. Il n’en est même pas son expression. Il en est juste un avatar. On dirait un variant aujourd’hui. Sans rapport à l'original.

Yamine Boudemagh (avatar)

Yamine Boudemagh

Citoyen Hyper-Engagé

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’histoire est connue :

Abraham essaie de convaincre son père d’arrêter d’idolâtrer des statues. Sans succès. 

Un jour, Abraham se retrouve seul dans la pièce où sont entreposées les statues divines. Il prend un bâton, les brise toutes… sauf une. Puis il place le bâton près de cette dernière. 

Son père revient, découvre le carnage et demande à son fils : « Mon fils, pourquoi as-tu fait cela ? » 

Et Abraham de lui répondre « Ce n’est pas moi, c’est elle ? » en désignant la seule statue restée intacte.

Son père s’enrage « Mais comment aurait-elle pu ? Ce n’est qu’une statue ! »

Et Abraham, triomphant, de s’écrier : « Mais c’est ce que je m’évertue à t’expliquer : Ce n’est qu’une statue. »

Et il conclut :

Lorsque l’on prend un représentant, on oublie le représenté.

Cette conclusion millénaire s’applique parfaitement à la vie politique française.

Il y a 12 candidats à l’élection présidentielle. Existe-t-il 12 idées politiques ? Non !

Illustration 1

Pourtant chaque candidat est censé représenter un courant politique. Derrière chaque candidat est un parti, plus ou moins structuré. Surtout derrière chaque candidat s’activent des militants.

Et les militants sont souvent face à un dilemme cornélien : défendre leurs idées politiques ou défendre le candidat censé les représenter.

Il n’est pas rare en effet que le candidat s’affranchisse du courant qu’il est supposé incarner.

Emmanuel Macron a été socialiste, puis ne l’a plus été et il est aujourd’hui le champion des Républicains ex RPR ex UMP. La victoire aidant, les militants l’ont suivi. Ces derniers seraient pourtant incapables de définir une ligne politique. Le représentant a dépassé le représenté. On vote Emmanuel Macron, on ne vote pas pour une vision de la société française. Certains de ces militants parviennent à réaliser le grand écart, les uns avec Anne Hidalgo, d’autres avec Valérie Pécresse, toujours dans le sens d’un ralliement au président. Bien malin celui qui pourrait définir la pensée politique derrière ce revirement.

Valérie Pécresse a réussi l’exploit d’être la candidate du parti « Les Républicains ». Une femme, candidate à l’élection présidentielle, est une véritable révolution dans ce parti aux idées machistes bien trempées. C’est d’autant plus un exploit que Valérie Pécresse avait quitté le parti en 2019. Par  « conviction » avait-elle dit car elle trouvait  le parti « cadenassé de l'intérieur, dans son organisation mais aussi dans ses idées. » . Elle en est aujourd’hui la représentante officielle. Et le militant est sommé de suivre ses atermoiements.

Encore plus à droite, mais tout contre, la droite xénophobe a maintenant trois candidats, Marine Le Pen, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan. L’un est inaudible, l’autre est trop audible et la troisième nous rappelle que dans la fable de la Fontaine, c’est la tortue qui gagne la course. Un cheveu, de préférence blond,  sépare la pensée politique de ces trois candidats. Là encore, les représentant.es ont dépassé le représenté. Les militants seraient bien en peine d’attribuer à l’un d’entre eux l’exclusivité de la représentation de la pensée xénophobe.

Bien loin de ces miasmes morbides, se trouve la pensée politique républicaine. On l’oublie trop souvent mais la république est une idée de gauche. La dichotomie gauche/droite est née de l’idée même de république. La gauche estimait que l’Assemblée nationale, expression de la volonté générale, n’a pas d’ordre à recevoir. La droite voulait accorder au roi un droit de véto : Un homme seul face à la volonté générale. La pensée politique de l’égalité en droit et de la prospérité commune est représentée cette année par 4 candidats : Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud. Une fois de plus, les représentant.es dépassent le représenté. Et bien malin le militant qui pourrait définir l’orthodoxie en cette matière.

Il reste Jean Lasalle et Yannick Jadot.

Ce sont les seuls qui ont réussi le pari de l’exclusivité de la pensée politique. Jean Lasalle représente les idées de… Jean Lasalle et Yannick Jadot peut se targuer d’être le candidat officiel de l’écologie politique.

Mais les choses ne sont pas si simples.

Jean Lasalle pourrait être le candidat des abstentionnistes. 

Que faire lorsqu’aucun candidat ne représente vos idées politiques ?

Illustration 2

Ne pas voter ? 

Mais ne pas pas voter, c’est voter pour le candidat sortant. Car ne pas voter, c’est agir pour que le système reste tel qu’il est. En un mot, l'abstention est un vote conservateur.

Voter blanc ?

Oui mais en France, le vote blanc n’est pas reconnu. Reconnaître le vote blanc suppose d’annuler l’élection au cas où celui-ci arrive premier. C’est donc rendre inéligible tous les candidats ayant participé à l’élection. 

En 2017, l’abstention est arrivé en tête au premier tour, et de loin. L’abstention a recueilli 10, 5 millions de voix, Emmanuel Macron 8,6 millions de voix et Marine Le Pen 7,6 millions de voix.

Si le vote blanc était reconnu, tous les candidats ayant participé à cette élection seraient devenus inéligibles.

Et donc Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lasalle, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud ne pourraient se représenter cette année.

Certains, parmi ces candidats, sont pour la reconnaissance du vote blanc. Pourtant ils ne poussent pas la cohérence jusqu’à se retirer de la politique.

Choisir un candidat hors système, classé dernier dans les sondages et voter pour lui pour faire dérailler une élection qui n’offre pas votre courant de pensée ?

Il s’agit dans ce cas de choisir un candidat non clivant. Plutôt neutre sur le plan politique, voire inclassable sur l’échiquier politique. Jean Lasalle pourrait être ce candidat, le candidat des abstentionnistes.

Mais dans ce cas, le représentant ferait oublier le représenté. Une fois de plus.

Reste Yannick Jadot.

S’il est clair que Yannick Jadot représente l’écologie politique, d’autres candidats ne se privent pas de venir sur ce terrain. Et certains avec brio. C’est le cas de Jean-Luc Mélenchon.

Illustration 3

Pourtant récemment Yannick Jadot a déclaré la guerre à Jean-Luc Mélenchon. Ce qui peut dérouter, et déroute certainement une grande partie de son électorat. Après tout, lors de la primaire des écologistes, Sandrine Rousseau a réalisé près de la moitié des suffrages. Or Sandrine Rousseau et ses militants sont largement Mélenchon compatible. Le troisième candidat EELV ayant pris part à cette primaire s’appelle Éric Piolle. Et celui-ci comme ses militants sont très largement Mélenchon compatible. D’ailleurs Éric Piolle a été élu, et réélu maire de Grenoble, sur cette alliance.

La nouvelle stratégie de Yannick Jadot déroute une grande partie des militants de l’écologie politique. D’abord les critiques ad hominem ne sont jamais pertinentes ni efficaces. Ensuite, cette stratégie remet en cause la stratégie d’alliance qui sera mise en place lors des législatives. L’élection législative est l’élection qui permet de financer tout parti politique. 

Surtout, si Jean-Luc Mélenchon réussissait le pari d’être au deuxième tour sans l'aide du parti communiste, au moins 38% des électeurs EELV voteraient pour lui. Et beaucoup d'autres pourraient franchir le pas pour contrer le président de l’inaction climatique.

L’autre dilemme posé aux électeurs EELV se pose dès le premier tour. Devant le succès de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, certains sont d'ores et déjà tentés par le vote utile. 

Cette nouvelle stratégie de Yannick Jadot impose aux militants de l’écologie politique un choix cornélien.

Et le militant est sommé de choisir… sous peine d’excommunication. Le candidat a lui, le droit de s’affranchir de la ligne du parti. Certains ont même donné un nom à cet affranchissent : le droit d’inventaire.

Pourtant ce droit est nié au militant. Lui doit, en toutes circonstances, justifier les faits et dires du candidat censé représenter ses idées politiques. Sinon il est déclaré n’être pas un « vrai » militant de la cause. Certains pourraient même être exclus pour n’avoir pas supporté toutes les contradictions de « son » candidat.

Sur le terrain, le militant est sommé de justifier chacune des interventions du candidat censé représenter son courant politique. Pourtant, la plupart de ces "interventions" ne sont que des réponses à des questions saugrenues de la part de journalistes en mal d'audimat. Là encore, le représentant se révèle plus important que le représenté.

Cette difficulté entre la représentativité et l’efficacité est la raison pour laquelle Socrate refusait la démocratie. Démocratie au sens de pouvoir de la majorité sur la minorité.

Dans le livre 6 de « la République », Platon fait dialoguer Socrate et Adimante sur la démocratie représentative. Socrate utilisera la fameuse allégorie du bateau : Vous êtes sur un bateau en mer. Une énorme tempête surgit. Qui préférez-vous pour diriger le bateau ? Celui qui a les mêmes idées politiques ou celui qui a l’expérience des tempêtes ? 

Là est tout le malentendu de l’élection présidentielle. Et l’hyper-personalisation de la vie politique oblige les militants à justifier non plus leurs idées politiques mais les faits et gestes du candidat censé représenter leurs idées politiques.

Alors il n’est plus question que de remarques sur les personnes. Et nous oublions les idées derrière ces personnes.

Pire, cette hyper-personalisation de la politique ne met en exergue que les différences.

Elle oublie que la politique est l’art du compromis. Et quiconque, ayant participé à un conseil municipal ou consulaire, sait que les points de convergence sont légion, lorsqu’il s’agit d’attribuer un budget pour un projet concret.

Franck Lepage, dans ses conférences gesticulées, fait le pari des convergences. Il organise des débats mouvants, où il n’est plus question d’exprimer sa différence mais plutôt sa convergence. Il pose une question clivante et au départ les uns et les autres se positionnent avec les pour ou avec les contre. Puis chacun écoute tour à tour les arguments de l’autre camp. Dès qu’un militant juge l’argument de l’autre camp recevable, il se déplace dans l’autre camp. Et il peut faire autant d’aller-retours qu’il jugera pertinents. Là n’est pas l’objectif. Cette expérience fonctionne d’abord parce qu’il n’y a pas qu’un seul représentant du courant d’idées en question. C’est la première différence. Et ça change tout. Ensuite cette expérience fonctionne parce que les uns et les autres sont prêts à s’écouter et admettre la possibilité que l’autre ait raison.

LEPAGE ET CHOUARD #3 - Le débat mouvant, par Franck Lepage © Canard Réfractaire

Enfin, cette expérience fonctionne parce qu’elle décèle une expertise dans l’autre camp qui pourrait être utile à son propre camp. 

Ce devrait être cela la politique : un concours de convergences et d’expertises.

Il est dommage que l’élection présidentielle ne mette pas plus en valeur les domaines d’expertise des candidats.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.