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Billet de blog 24 juin 2025

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L’État territorial face à la mondialisation

La mondialisation fragilise le lien entre État et territoire. Face à l’érosion des frontières et à la montée des logiques financières globales, le droit constitutionnel doit repenser ses fondements spatiaux pour préserver la légitimité du pouvoir.

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Illustration 1

Redécouvrir l’espace 

Nous avons hérité d’un imaginaire politique façonné par Hegel et Kant, où le temps est érigé en matrice de la pensée constitutionnelle. L’espace, lui, serait un décor inerte. 

Pourtant, comme le soulignait Henri Lefebvre, l’espace est aussi une construction politique, un objet de pouvoir en soi.

De la carte militaire au cadastre, en passant par les tracés de frontières, l’État ne se contente pas d’occuper l’espace; il le façonne, l’encode, le rend intelligible à ses propres logiques.

Cela suppose un tournant. Le constitutionnalisme ne peut plus ignorer la matérialité spatiale du politique. Institutions, lois, normes,  toutes prennent forme quelque part, dans un territoire, dans un bâtiment, sur un sol. Et cette spatialisation n’est jamais neutre. Elle sélectionne, hiérarchise, invisibilise parfois. En somme, elle produit un monde ordonné.

Le territoire comme capital

Dans le droit contemporain, l’État continue d’exercer un pouvoir quasi-absolu sur le territoire; non pas seulement en tant que gardien, mais aussi comme propriétaire éminent. Un héritage à peine masqué des prérogatives royales. Ce pouvoir lui permet de découper, céder, valoriser ou sécuriser des portions d’espace, souvent en réponse à des logiques économiques globalisées.

C’est ici que la financiarisation du foncier introduit une rupture de taille. 

Le sol, autrefois enraciné dans un ordre local, devient actif spéculatif. Par un glissement insidieux, la titrisation, la sécuritisation, l’espace est transformé en valeur abstraite, circulant sans attache. Ce phénomène produit une disjonction inquiétante entre le réel et sa représentation économique.

La crise de 2008 et l’effondrement  du réel

L’effondrement des subprimes illustre cruellement ce divorce. 

Des logements bien réels, posés sur des terrains concrets, ont été intégrés à des chaînes de titres échangés sur les marchés mondiaux. Quand la bulle a éclaté, les conséquences furent d’abord spatiales; ce furent des quartiers désertés, des expulsions, des friches urbaines. Le droit, qui n’avait pas anticipé cette déterritorialisation des flux financiers, s’est révélé impuissant. Le constitutionnalisme, ici, a failli.

La souveraineté à l’épreuve du marketing territorial

À l’ère des zones franches et de l’optimisation fiscale, les États s’alignent de plus en plus sur des logiques de compétitivité. Le droit devient outil d’attractivité. Les Constitutions elles-mêmes se retrouvent détournées, réduites à des brochures d’investissement destinées aux multinationales. Ce glissement transforme le citoyen en client, et le peuple souverain en variable d’ajustement.

Peut-on encore parler d’égalité devant la loi 

quand celle-ci est configurée pour séduire des investisseurs 

plutôt que pour protéger l’intérêt commun ?

Penser autrement l’espace politique

Face à cette homogénéisation néolibérale, certaines expériences post-coloniales, en Afrique notamment, tracent des alternatives. Loin d’un modèle étatique importé, souvent mal arrimé au tissu social local, ces sociétés explorent d’autres formes de production spatiale. 

Par l’éducation enracinée, les formes communautaires de gestion ou les pratiques coutumières de territoire, elles esquissent un constitutionnalisme plus sensible aux contextes, aux mémoires, aux solidarités.

Vers un constitutionnalisme spatialement lucide

Ce moment historique appelle une refondation. 

Il ne s’agit pas seulement de gérer autrement le territoire, mais de repenser l’État comme acteur spatial. Le « mode de production étatique » dont parlait Lefebvre doit être confronté aux exigences de la démocratie contemporaine. C’est à cette condition qu’un nouvel équilibre pourra émerger entre souveraineté populaire et interdépendance mondiale.

Le territoire n’est pas un simple cadre d’exercice du pouvoir. Il en est la matière première. L’oublier, c’est fragiliser la légitimité même de nos institutions.

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