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Billet de blog 26 octobre 2025

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L’injustice de la taxe carbone européenne

Bruxelles veut taxer les importations polluantes. Belle idée sur le papier. Sauf que le système est truffé de coquilles. Et ce sont les pays les moins pollueurs qui paieront le prix fort. Bienvenue dans le grand bazar du MACF.

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Illustration 1
© Yamine Boudemagh

Premières failles

En Europe, chaque tonne de CO₂ émise lui coûte entre 80 et 100 euros. Normal, c'est la règle européenne depuis des années. Sauf que dans d'autres régions du monde, il n'existe pas de système équivalent de tarification carbone.

La conséquence est inéluctable.

Les industriels délocalisent là où la pollution ne coûte rien. La logique économique l'emporte sur l'ambition climatique.

C'est précisément ce paradoxe que le MACF (Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières) est censé résoudre. À partir du 1er janvier 2026, tous ceux qui importent de l'acier, du ciment, de l'aluminium ou des engrais en Europe devront acquérir des certificats carbone alignés sur les prix européens.

Rétablir l'équilibre concurrentiel.

Sur le papier, la démonstration tient.

L'OCDE a fait ses calculs; sans ce mécanisme, supprimer les avantages donnés aux industriels européens ferait exploser les émissions ailleurs dans le monde. Avec le MACF, on gagnerait 0,54% d'émissions mondiales en moins. Ce n'est pas spectaculaire, mais c'est un début.

Les contradictions du système

Et là, les incohérences apparaissent.

  • Première contradiction : Le MACF taxe les importations, certes. Mais il ne prévoit aucune compensation pour les exportations européennes. La conséquence est immédiate; nos industriels paient le carbone chez nous ET se font concurrencer sur les marchés mondiaux par des producteurs qui ne supportent aucun coût carbone. Le différentiel est vertigineux, 45 milliards d'euros de surcoût par an pour l'industrie européenne, contre 2 petits milliards que le MACF va rapporter. L'équation ne tient pas.
  • Deuxième problème : Le MACF ne concerne que les matières premières de base. Très bien. Mais tous les secteurs qui utilisent ces matières (constructeurs automobiles, entreprises du BTP, fabricants de machines) vont voir leurs coûts exploser sans aucune protection à la frontière. L'OCDE est formelle, les pertes de ces industries annulent presque tous les bénéfices du système. Au final, l'économie européenne perdrait 0,29% de valeur ajoutée. Un chiffre modeste, mais suffisant pour pousser certains à délocaliser leur production finale.
  • Troisième anomalie : Le régime douanier de "Perfectionnement Actif". Ce mécanisme permet aux grandes entreprises d'importer leurs matières premières sans payer le MACF, à condition de réexporter le produit fini. Les grands pays exportateurs s'en tirent, les petits producteurs de l'Est européen en font les frais. L'outil censé unifier le marché européen risque d'en creuser les fractures internes.

La faille juridique

La fragilité la plus criante du MACF réside dans la persistance des quotas gratuits. Pour éviter les délocalisations, l'Union européenne continue de distribuer gratuitement des droits à polluer à ses industries. Or, cette pratique entre en contradiction frontale avec le principe même du MACF.

La question se pose :

Comment justifier de taxer les importations tout en continuant de subventionner, indirectement, la production européenne ?

Juridiquement, c'est indéfendable. Moralement, c'est contestable.

La Chine, l'Inde, le Brésil dénoncent déjà un protectionnisme déguisé. Et l'argument n'est pas dénué de fondement.

Bruxelles promet de supprimer ces quotas gratuits... d'ici 2035. Dix ans. Pendant dix ans, le système sera une passoire juridique.

Le risque d’éco-blanchiment

Autre diffculté majeure, la question des données.

Pour que le MACF fonctionne, il faut des mesures précises sur les émissions de carbone.

Or, la plupart des pays ne disposent pas de systèmes de mesure fiables. Des industriels comme Solvay tirent déjà la sonnette d’alarme; sans vérifications rigoureuses, le MACF risque de devenir un festival d'éco-blanchiment. Des déclarations approximatives, des chiffres invérifiables, et l'on importe de la pollution en se donnant bonne conscience.

L'argent qui ne va pas où il faut

Le MACF devrait rapporter 2 milliards d'euros par an.

Question : Qu'est-ce qu'on en fait ?

Pour Bruxelles, la réponse est évidente; on met tout ça dans le budget général pour rembourser les emprunts du plan de relance post-Covid. Voilà. Circulez, il n’y a rien à voir.

Les Organisations Non-Gouvernementales crient au scandale. Et elles ont raison. Cet argent devrait aller aux pays du Sud, ceux qui vont trinquer à cause du MACF alors qu'ils n'ont rien demandé et n'ont pas les moyens de s'adapter.

Le Niger, le Mozambique, entre autres pays qui n'ont presque rien émis historiquement mais qui vont se faire taxer sans recevoir un centime d’aide.

L'Europe rate une occasion en or de prouver qu'elle peut faire du climat ET de la solidarité. Au lieu de ça, elle se comporte comme le dernier des Tontons flingueur :

Touche pas au grisbi !

Ce qu'il faudrait faire (mais qu'on ne fera pas)

Les Écologistes ont une liste de cinq mesures non négociables pour sauver le MACF :

  1. Supprimer immédiatement les quotas gratuits. Sinon, le système est vidé de sa substance.
  2. Arrêter de subventionner la pollution et mettre l'argent dans les technologies propres.
  3. Imposer une transparence totale sur les émissions importées. Avec des documents et attestations vérifiables.
  4. Transférer les recettes au Fonds vert pour le climat, pas au budget général de l’Union Européenne.
  5. Réformer l’Organisation Mondiale du Commerce pour que le dumping environnemental soit considéré comme une pratique déloyale.

Le test de vérité

Le MACF, c'est une première mondiale. Jamais une grande puissance économique n'avait tenté d'imposer ses normes climatiques au commerce international. Le Canada, le Royaume-Uni, la Turquie observent. Si ça marche, ils suivront.

Mais pour l'instant, c'est un édifice bancal. Un bricolage entre ambition écologique et craintes industrielles.

Pour que le MACF devienne vraiment un outil de transition et pas juste une taxe de plus, il faudra le réformer en profondeur.

Sinon, dans dix ans, ce sera juste un acronyme de plus dans le cimetière des grandes idées européennes qui n'ont jamais vraiment décollé.

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