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Billet de blog 3 mai 2016

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L'apocalypse selon Chigozie Obioma

Les éditions de l’Olivier publient Les Pêcheurs, premier roman de l’auteur nigérian Chigozie Obioma, un roman à succès publié dans 26 pays et finaliste du Man Booker Prize.

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L’histoire commence en 1996, à Akure, dans le sud-ouest du  Nigéria. Quatre frères, Ikenna, Boja, Obembe et Benjamin, décident au départ de leur père d’abandonner les interminables parties de football pour devenir des pêcheurs. Ça commence comme ça, rien d’extraordinaire. Sauf que le fleuve dans lequel ils vont pêcher, aucune personne normale n’oserait s’y approcher. Le fou Abulu, sorte d’oracle crasseux, pose le regard sur ce quatuor et prononce des mots qu’il est mauvais d’entendre. Trop tard : la pêche ne sera pas bonne, la peur se distille dans l’âme d’Ikenna. Depuis le départ du père, l’ainé est seul dépositaire du tribut paternel. Malheureusement, comme  c’est souvent le cas, la passation de pouvoir est trop lourde à assumer. Ikenna quitte son propre corps. Il lui pousse des cornes. C’est le début des ennuies.

J’ai entendu dire que lorsque la peur prend possession d’un cœur, la personne s’en trouve affaiblie, on aurait pu le dire de mon frère car lorsque la peur prit possession de son cœur, elle le dépouilla de bien des choses : sa sérénité, son équilibre, ses relations, sa santé et même sa foi.

Chigozie Obioma entraine le lecteur dans l’œil du cyclone d’une famille igbo où chaque membre revêt une enveloppe animale. Le clivage fraternel, symbolisé par la transformation du héro malgré lui prend un tour cataclysmique et ronge les entrailles de la maison.  Le récit des Pêcheurs est celui d’un cercle familial qui se referme sur lui-même. Comment neutraliser le mal ? Faut-il se débarrasser de la pomme pourrie ? Comment préserver l’unité de la famille ? La tension traverse la prose de l’auteur nigérian. Le lecteur traverse l’œuvre avec au ventre l’angoisse d’une catastrophe imminente. Dès lors que le cyclone est passé, il ne reste pas grand-chose ni dans le foyer ni dans la ville et c’est seulement à ce moment que tout peut recommencer. Se laisse-t-on attendrir pour autant ? Il faut attendre, il faut souffrir. L’émotion, la lumière, la vérité  viennent après. Les jours et les nuits finiront par se décomposer.

Quand on nait en Afrique noire, on parle au minimum deux langues, celle de l’ethnie, celle de la ville et une troisième peut-être : la langue du colonisateur. Dans ce roman, on navigue d’une langue à l’autre selon l’importance ou la gravité de la situation. Chigozie Obioma, professeur de Creative Writing dans le Nebraska, explore ces différents niveaux de langue que nous offre en français Serge Chauvin, traducteur de  Jonathan Coe et Zadie Smith. Entre l’igbo (langue maternelle de Chigozie Obioma), le yoruba et l’anglais, la langue des châtiments que la mère parle seulement en cas de force majeure et qui a le pouvoir de creuser des cratères entre soi et les autres.

Les Pêcheurs, Chigozie Obioma, traduit de l'anglais ( Nigéria) par Serge Chauvin, éd . de l’Olivier, 304 pages, 21,50 €. 

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