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Billet de blog 6 septembre 2015

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Mille et un virages au pays des milles collines

 Dans un Papa de sang, l’écrivain et journaliste Jean Hatzfeld revient sur le génocide rwandais et donne la parole aux adolescents originaires de Nyamata, un village de la région de Bugesera.

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 Dans un Papa de sang, l’écrivain et journaliste Jean Hatzfeld revient sur le génocide rwandais et donne la parole aux adolescents originaires de Nyamata, un village de la région de Bugesera.

Depuis deux décennies, l’auteur travaille sur la thématique génocidaire. On se souviendra encore longtemps de son ouvrage Une saison de Machette couronné par le prix Femina essai en 2003 dans lequel il donnait la parole aux bourreaux. La démarche littéraire de Jean Hatzfeld n’est jamais de comprendre ni d’expliquer le génocide. Dans Un Papa de sang, il construit la mémoire trouée et fragile à travers les discours d’adolescents des collines.

Des jeunes hutus et tutsis déclinent leur identité (nom, âge, origine, passe-temps favoris) puis se racontent dans une langue impeccable et poétique. Ils racontent «  sans anicroches » comment, soit en rescapés soit en enfants de tueurs, ils se construisent et comment, même s’ils n’ont pas vécu les massacres, le passé des parents les questionne et les affecte. Chacun leur tour, ils se confient aux lecteurs, racontent les crises terribles d’enfants seuls dans leur coin à l’école, les disputes, le silence des mères qui se cachent derrière leur tristesse, les insultes répétées visant les enfants dont les papas ont « mouillé la machette », les visites en prison, l’exclusion de leurs camarades trop pauvres car orphelins, les moqueries, les jalousies liées aux faveurs dont jouissent les enfants rescapés. Ils parlent beaucoup, certains acceptant bien volontiers de se soumettre à la politique de réconciliation initiée par le gouvernement, d’autres qui peinent à masquer leur soif de vengeance, mais surtout, même si le passé hante, ils parlent de Dieu, beaucoup, du futur, d’amour, d’internet, d’amitié, de football. Il y a chez le lecteur autant d’émotion pour les enfants rescapés que pour les enfants de tueurs.

Le cinquième livre de Jean Hatzfeld, en lice pour le prix Goncourt, est celui d’une tumultueuse quête identitaire. Mais alors, qu’est-elle au fond ? Est-il possible comme le souhaite le gouvernement rwandais, d’effacer toute appartenance à une ethnie ? Que devient-on quand on se voit dépouillé de son identité, de son passé, de sa communauté, surtout quand on a subi ? Comment grandir quand on est issu du viol ? Avec un père derrière les barreaux ? Et les adultes dans tout ça ? Autant de questions auxquelles on ne trouvera pas forcément de réponses, et c’est tant mieux. Car l’histoire est complexe, certes, la transmission de la mémoire génocidaire créé des nœuds dans l’existence des individus, elle  expose ses racines qui sont nouées dans l’angoisse . Elle n’est pas droite et directe

, elle est autre. La transmission provoque du ressentiment chez les enfants forcés de voir les papas sortis de prison se courber sous le poids de la honte. A chaque fois que les parents, « zigzaguent » entre les explications, refusent de transmettre la mémoire, les peurs et les maux des enfants se cristallisent. Même si le papa a coupé des Tutsis à la machette dans les papyrus, la rancune de l’enfant n’est jamais plus forte que l’amour et le respect dus au premier. Tutsis et Hutus partagent le drame des marais mais le ton diffère d’une famille à l’autre, on n’emploie pas les mêmes mots pour raconter. On raconte l’histoire en zigzag, on la manipule,  la dissimule, puis quand les hommes s’imbibent de Primus, les tueries coulent en histoires qui se laissent bien raconter 

Ces récits à la première personne, sublimes, poétiques et bourrés de métaphores montrent encore la singularité d’un français que les personnages manient avec élégance.  Mon cœur aspire à fonder une famille. C’est la destinée de toute jeune fille rwandaise. Des soupirants ne manquent pas, qui rôdent autour de moi. Ils gesticulent la galanterie. Ils me demandent surtout l’amour, en vain.

 En sociologue, Jean Hatzfeld reconstruit la mémoire fragmentée, agence parfaitement récits et images comme dans un film. Il fait de la littérature totale, met à nu le conditionnement et la construction des êtres avec leurs désirs, leurs contradictions, leur humanité.  

Un papa de sang, Jean Hatzfeld,

Gallimard, 261 pages, 19 euros.

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