Un matin d’Aout 2016, quelques individus se sont réveillés avec une idée géniale, celle d’intimer aux femmes de retirer leur surplus de tissu sur les plages. Les femmes en question, comme souvent, celles dont on parle, celles qu’on infantilise, celles dont du haut de notre grandeur on juge la bassesse, n’ont pas eu droit de parole. On peut se demander quelle mouche a donc piqué ces hommes. Le féminisme majoritaire, celui redistribué en haut lieu est malade et cette maladie ne date pas d'hier. C’est le constat que faisaient déjà en 2012 Félix Boggio Éwanjé-Epée et Stella Magliani-Belkacem dans un ouvrage intitulé Les féministes blanches et l’empire publié aux éditions la fabrique. En 110 pages, les deux intellectuels redistribuent les cartes des combats identitaires en rappelant l’héritage ambigu du mouvement féministe français et ses affinités stratégiques avec le projet impérial.
De la gauche marxiste à l’extrême droite, la question des femmes et des homosexuels a longtemps été instrumentalisée à des fins racistes. L’ingérence de l’Occident (pour ne pas dire des Blancs) dans les affaires des femmes non blanches s’inscrit dans un long processus colonial. La parole des autres femmes, celles qui sont opprimées par le sexisme et le racisme est rendue inaudible. Il y a quelques années, ces femmes n’étaient invitées au pupitre que pour évoquer l’excision ou les mariages forcés (on se souvient du téléfilm Fatou la malienne) diffusé en 2001, comme si elles n’étaient que des sujets anthropologiques. Et tant pis pour le reste. Tous ces problèmes liés à « la condition des femmes des quartiers » ont conduit à faire du problème de l’immigration un enjeu légitime du féminisme tout en faisant l’impasse sur les problématiques totalement occultés. Les deux auteurs égratignent au passage des personnalités comme Fadela Amara et son collectif Ni putes ni soumises qui dans l’ombre, fomentent et cristallisent les préjugés racistes. Le Front National, dont on sait qu’il n’a jamais cherché à défendre les droits LGBT, invoque occasionnellement les droits des femmes et des homosexuels seulement quand il s’agit d’attaquer les Noirs et les Arabes. Bien étrange que de défendre une communauté en attaquant une autre…
Loin de véhiculer des idées victimaires ou d’entrer dans le jeu des compétitions entre communautés, l’ouvrage s’attache à réinventer un féminisme qui prendrait en compte la diversité des conditions des femmes et la distribution du travail quand on sait que beaucoup de femmes, parce qu’elles sont noires ou voilées sont cantonnées à des emplois subalternes ou domestiques. Impossible de ne pas enrager quand les deux essayistes rappellent à ceux qui ont la mémoire courte le sort réservé aux femmes venues des Antilles dans les années 60, à qui on promettait du travail en métropole et qui suivaient à leur arrivée une formation qui les initiait aux travaux ménagers et à l’apprentissage des bons usages.
Les idées, quand elles deviennent des combats et des luttes doivent s'ouvrir à la pluralité pour se renouveller au risque de se transformer en idéologies totalitaires.
Yancouba
Les féministes blanches et l'empire, Felix Boggio Ewangé-Epée et Stella Magliania-Belkacem, éd La fabrique, 12 euros, 2012