C’est Ignacio Rodriguez Aponte, un jeune noir de la Havane qui parle. L’homme qu’il vient récupérer à l’aéroport de la Havane au début de l’histoire n’est pas un touriste comme les autres. Il n’est pas à la recherche des muchachas bien cambrées qui aguichent avec une voix remplie de rhum. Il n’est pas venu éperdument dépenser ses dollars dans tous les excès de l’île. Il cherche autre chose, quelque chose de féroce, de plus grisant, quelque chose qu’on ne trouve pas dans les bouteilles ou dans la fumée des stupéfiants. Celui qu’on surnommera plus tard El Palenque a pour seule valise une chanson, tellement lointaine qu’il n’en connait que les trois premières notes. El Palenque cherche à Cuba la piste qui mène à la chanson, le mystérieux cordon ombilical qui le lie à cette île. Il fouille la terre comme un fou furieux, cherche la voix de la sainte-mère comme un nouveau né. Ce silence de l’oubli est brûlant, c’est ce feu intérieur qui le ronge.
L’écrivain guinéen Tierno Monénembo signe un fabuleux hymne aux origines africaines de Cuba, l’île qui forme une miniature de l’univers. Quelque chose de vertigineux règne sur l’île.Les coqs cubains chantent à minuit est un voyage initiatique, un pèlerinage secret auquel on accède que par la chanson. C’est une seule et gigantesque fête de la Havane à Conakry, de Conakry à la Havane à bord de l’Amiral nakhimov où l’on croise la crème de la crème des musiciens africains. C’est à bord de ce bateau, au milieu des guirlandes, sous les envolées d’un beau saxophoniste qui fait tourner la tête d’une demoiselle qu’a commencé le périple d’El Palanque. Ce roman, présenté comme une longue lettre

de 188 pages, se lit d’un seul souffle. C’est une partition jouée sans fausse note.
Et puis il y a ce personnage, Poète, qui un jour s’est confondu avec la pluie. Comme l’oiseau face au discours d’entrée de Sage L’ancien dans La ferme des animaux de George Orwell, Poète se tient au dessus du degré zéro de la banalité. On se laisse séduire par sa poésie mystique et ses réflexions philosophiques surtout quand, sur la plage le Poète rencontre le musicien. Les personnages parlent car ils savent. L’œuvre de Tierno Monénembo balaye tout, torpille le doute, les voix qui traversent sont sourdes et mélodieuses, suaves et féroces. Dans un style quelque peu voyeuriste, le narrateur filme et commente chaque scène, chaque danse. Il se joue des personnages qui se laissent bien draguer quand le mojito, la musique et le déhanché des belles dames font leur effet. Alors on s’aime et on baise à tord et à travers et le lendemain la musique reprend, toujours étourdissante.
Tierno Monénembo, Les coqs cubains chantent à minuit, Seuil, 17euros.